Ce n’est pas demain la veille que les Américains vont importer massivement les médicaments canadiens, selon les experts à qui nous avons parlé. Ils croient que l’annonce de Trump est avant tout un geste politique.
Faut-il s’alarmer de l’annonce faite mercredi par l’administration Trump de permettre aux Américains d’importer légalement des médicaments sur ordonnance canadiens? Il ne faut pas s’inquiéter outre mesure, croit le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Bertrand Bolduc, interviewé à l’émission La matinale d’été.
Il rappelle d’abord que, de toute évidence, l’industrie pharmaceutique canadienne n’a pas la capacité d’approvisionner le marché américain et ses 300 millions de consommateurs. « Ils sont au moins 10 fois plus nombreux que nous. On n’a pas la chaîne de distribution de médicaments nécessaire pour fournir les États-Unis ».
Et puis le marché canadien ne permet pas une telle chose, note Bertrand Bolduc. « Les filiales canadiennes des sociétés pharmaceutiques ne peuvent vendre qu’au Canada à des grossistes canadiens, qui ne peuvent distribuer qu’au Canada à des pharmacies canadiennes. »
Ça n’a aucun sens pour les Américains de venir chercher leurs médicaments ici, surtout que plusieurs de ces médicaments sont fabriqués aux États-Unis et importés au Canada.
Bertrand Bolduc rappelle que les pharmaciens ont pour rôle de traiter les gens d’ici. « Dépanner un touriste de temps en temps, un bateau de croisière qui arrête à Québec, aux Îles-de-la-Madeleine, bien sûr on va les dépanner ces gens-là. Mais de leur fournir systématiquement des médicaments pour une longue période, c’est hors de question. » D’ailleurs, le consommateur doit présenter une ordonnance valide au Canada, donc faite par un médecin canadien.
Un geste politique
La réduction du prix des médicaments sur ordonnance est une promesse phare de Donald Trump, qui est en pleine campagne de réélection. À ce sujet, le candidat Trump a d’ailleurs déjà déclaré que les Américains devraient avoir le droit d’importer les médicaments.
Pour Marc-André Gagnon, professeur de politique publique à l'Université Carleton, il ne fait pas de doute que l’annonce de l’administration Trump est du « théâtre politique » en vue des élections de 2020. Dans une entrevue diffusée à l’émission 24/60, le professeur Gagnon fait d’ailleurs remarquer que cette mesure, si elle se concrétise, ne sera pas appliquée avant un an ou deux. « On parle de 18 mois avant de mettre en place des projets pilotes dans certains États. Donc, on s’entend que ça ne sera pas demain matin. »
Bertrand Bolduc y voit aussi un geste politique. « On est dans la campagne préélectorale américaine. M. Sanders [sénateur américain et candidat à l’investiture démocrate] remplit un autobus, va à Windsor, en Ontario, chercher de l’insuline, démontre que les prix sont plus bas au Canada. Évidemment que les prix sont plus bas. Nous contrôlons les prix. Les prix sont réglementés au Canada tant au niveau fédéral que provincial. Alors qu’aux États-Unis, dans un libre marché comme le leur où il n’y a aucune réglementation, les pharmaceutiques en profitent. »
Déjà des pénuries au Canada
Le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec répète qu’il n’est pas très inquiet de l’annonce de l’administration Trump. Du même souffle, il ajoute qu’il faut rester aux aguets. « Il y a déjà des pénuries au Canada de toutes sortes de médicaments. On jongle avec ça tous les jours, tant au niveau hospitalier que communautaire. On va être vigilants. »
Essayons de régler les problèmes de pénurie actuelle qu’on a déjà, et évitons d’entrer dans un débat politique américain qui ne nous concerne pas.
Pour Bertrand Bolduc, être vigilants, ça veut dire trois choses :
« Rappeler aux intervenants de la chaîne, que ce soit les fabricants, les grossistes ou les pharmacies, que leur travail, c’est de s’occuper des gens d’ici.
Monitorer les stocks, s’assurer qu’il n’y a pas une baisse soudaine, quelque part, de grandes quantités, qui pourrait indiquer que quelqu’un fait quelque chose qu’il n’est pas supposé faire.
Monitorer ce qui se passe aux États-Unis. Présentement, c’est juste des discussions et des arguments. Encore faut-il être sûr que ça ne se met pas en place. »