Les données du recensement de 2021 sont sans appel. Tous les indicateurs sont au rouge. Au point de discréditer totalement les politiques préconisées par les gouvernements Legault et Trudeau. Loin d’assurer l’avenir du français, elles garantiront, au contraire, l’anglicisation du Québec comme du Canada.
Dans cette première de deux chroniques, examinons la situation au Québec.
Le mouvement d’anglicisation que j’ai décrit dans Le français en chute libre (2020) s’est accéléré. Entre les recensements de 2016 et 2021, le poids de la minorité de langue d’usage anglaise a de nouveau augmenté, tandis que celui de la majorité a encore reculé. Désormais lourde, cette tendance se nourrit, entre autres, d’une remarquable consolidation de la position de l’anglais comme langue d’assimilation. Au point que la question de l’anglicisation des Québécois francophones eux-mêmes vient de surpasser en importance celle de l’orientation linguistique des allophones.
Fini, donc, le rattrapage du français sur l’anglais en matière d’assimilation. Sur ce plan, l’anglais creuse maintenant son avantage.
Une nouvelle réalité
Il importe de bien se pénétrer de cette nouvelle réalité. Notre tableau met à jour le tableau 3 de Le français en chute libre, de façon à faire le point sur l’évolution la plus récente des indicateurs essentiels du phénomène d’assimilation.
Examinons d’abord la part du français dans l’assimilation nette des allophones. En chiffres absolus, le nombre net d’allophones anglicisés est passé de 186 800 en 2016 à 212 400 en 2021, pour une hausse de 25 600. Le nombre net d’allophones francisés est passé en même temps de 230 400 à 278 700, pour une augmentation de 48 300, soit presque deux fois la hausse pour l’anglais. Par conséquent, la part du français dans l’assimilation nette des allophones a continué de progresser, passant de 55,2 % en 2016 à 56,7 % en 2021.
Voyons maintenant l’assimilation nette des Québécois francophones à l’anglais. En chiffres absolus, le nombre net de francophones anglicisés a bondi de 23 000 à 37 000, soit une augmentation de 14 000 francophones anglicisés additionnels depuis 2016.
Or, cette hausse marquée du nombre net de francophones anglicisés, qui s’est sans doute réalisée pour l’essentiel en milieu de vie québécois, a plus qu’annulé le progrès de la part du français dans l’assimilation des allophones, tributaire avant tout de francotropes francisés à l’étranger avant d’immigrer au Québec.
Pour bien saisir cette nouvelle donne, dressons, enfin, le bilan global des gains réalisés par l’anglais et le français au moyen de l’assimilation. En chiffres absolus, nous avons vu ci-dessus que, depuis 2016, l’anglicisation nette des allophones a progressé de 25 600 allophones anglicisés. Nous avons vu également que l’anglicisation nette des francophones a aussi progressé, soit de 14 000 francophones anglicisés. Au total, ces progressions représentent des gains globaux de 39 600 nouveaux locuteurs usuels de l’anglais à la maison en cinq ans. Sur le même plan, l’augmentation correspondante pour le français a été de 48 300 allophones francisés moins 14 000 francophones anglicisés, soit un solde de seulement 34 300 nouveaux locuteurs usuels du français.
Le tout représente une progression des gains globaux pour l’anglais qui est supérieure de 5 300 à celle des gains globaux pour le français. La hausse de l’assimilation des Québécois francophones à l’anglais a ainsi dépassé en importance la hausse de la part du français dans l’assimilation des allophones : l’anglais a creusé de 5 300 son avantage global sur le français en cette matière. Cela découle notamment du fait que les 14 000 francophones anglicisés additionnels comptent double : ils augmentent de 14 000 les gains globaux de l’anglais en même temps qu’ils réduisent de 14 000 les gains globaux du français.
La dernière ligne de notre tableau exprime en pourcentage le recul de la part du français dans les gains globaux que l’assimilation procure soit à l’anglais, soit au français. En 2016, l’anglais avait engrangé des gains globaux de 209 800, en regard de 207 400 pour le français. La part du français dans l’ensemble des gains réalisés par les deux langues par voie d’assimilation était donc, à ce moment, de 49,7 %. En 2021, les gains correspondants s’élevaient à 249 400 pour l’anglais et 241 700 pour le français. Le creusement de 5 300 dans l’écart entre les gains globaux en chiffres absolus, que nous avons constaté ci-dessus, fait en sorte que la part du français a reculé à 49,2 %. La part de l’anglais dans l’ensemble des gains par voie d’assimilation a augmenté en conséquence, passant de 50,3 % en 2016 à 50,8 % en 2021.
Accélération de l’anglicisation des francophones
J’avais souligné dans Le français en chute libre (p. 46) que, depuis le recensement de 2006, la progression de la part du français dans les gains globaux apportés par voie d’assimilation soit au français, soit à l’anglais, avait commencé à stagner, en particulier à cause d’une anglicisation croissante des francophones entre les recensements de 2011 et 2016. Cette tendance à la hausse de l’anglicisation des francophones s’est si bien poursuivie que maintenant, la part des gains globaux par voie d’assimilation qui revient au français recule. Rappelons qu’en matière d’assimilation, l’équilibre entre les deux langues exigerait que la part du français dans les gains globaux par voie d’assimilation soit de 90 %. Voici que plutôt d’avancer vers ce but, le Québec s’en éloigne.
Le point de bascule est ainsi derrière nous. L’anglicisation du Québec est désormais bien en marche. En raison notamment d’une accélération de l’anglicisation des Québécois francophones eux-mêmes.
Le profil par groupes d’âges du phénomène d’assimilation des Québécois francophones à l’anglais, en 2016, m’avait conduit à prévoir aussi que « l’anglicisation des Québécois francophones poursuivra sa hausse, du moins dans un proche avenir » (ibid., p.55). Voilà qui est fait. Tout indique, d’ailleurs, que cette assimilation à l’anglais poursuivra sa hausse, puisque le profil des données par groupes d’âges demeure toujours, en 2021, le même : le taux d’anglicisation des jeunes adultes de langue maternelle française est de nouveau nettement plus élevé que celui de leurs aînés.
En fixant comme cible à son projet de loi 96 d’assurer au français une part de 90 % dans l’assimilation des allophones, le ministre Jolin-Barrette n’a pas vu plus loin que son nez. Le premier ministre Legault s’est montré encore davantage à courte vue, en taxant d’« extrémistes » ceux qui estiment essentiel d’étendre la loi 101 au cégep. Car le ver est rendu beaucoup plus loin dans la pomme qu’ils ne le pensent. Toutes choses cessantes, il faut mettre fin à l’anglicisation de la majorité québécoise elle-même.
Le Québec ne manque pas de moyens pour agir en ce sens. Étendre la loi 101 au cégep et au baccalauréat, comme l’a proposé Guy Rocher. Redonner au Québec le paysage linguistique voulu par René Lévesque et qui a fait la fortune de la loi 101 jusqu’au milieu des années 1990, en rétablissant l’affichage en français seulement, comme M. Rocher l’a également proposé. Réformer l’enseignement de l’anglais, langue seconde, pour que les écoles françaises cessent de se transformer, au moyen de l’enseignement « intensif » de l’anglais à la fin du primaire, en foyers d’anglicisation.
Sans quoi la suite des choses est parfaitement claire. L’anglicisation du Québec se poursuivra.
« Continuons. » Vraiment ?
Legault, lord Durham, même combat ?