Français : la foire d’empoigne

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Trahisons linguistiques

Le gouvernement Legault n’a pas préparé la mise à jour de la loi 101 avec la commission d’enquête et le livre blanc que cela méritait. Ce qui devait arriver arriva. L’exercice a fini en foire d’empoigne. Avec quelques dérapages, même, parmi ceux qui voient le français en difficulté.


Jean-François Lisée n’en avait jadis que pour les anglos et l’anglais. Il a même réussi à mener le PQ au naufrage sur ce rocher. Voilà que notre linotte nationale se recycle dans le Anglo-bashing. Invoquant le tableau 6 de l’étude Langue et activités culturelles au Québec (Office québécois de la langue française, 2016), Lisée prétend, dans « Une langue gruyère » (Le Devoir, 4 mai), que 74 % des Anglo-Québécois ne lisent pas de journaux français, 82 % n’écoutent pas de radio française, 86 % n’écoutent pas de chansons en français, 90 % n’écoutent jamais « notre » télé, 93 % ne regardent jamais « nos » films, etc.


Or, le tableau en question présente des données sur la langue habituelle, et non la langue exclusive, de diverses activités culturelles au Québec. Par exemple, que 93 % des anglophones visionnent habituellement des films anglais ne signifie pas qu’ils ne regardent jamais de films français. Nos anglos ne sont pas aussi braqués contre le français que ne le clame Lisée.


Frédéric Lacroix force le trait de semblable façon dans « Le problème, c’est le français ! » (l’aut’journal, 13 mai). Il souligne que les jeunes francophones n’écoutent presque plus de chansons en français, soit « 9 % du temps seulement chez les 15-34 ans vs 47 % du temps chez les 55 ans et plus ».


Déprimant au possible. De quoi se dire que c’est fini.


Lacroix tire cependant ses chiffres de la même étude de l’OQLF. Ils signifient donc que 9 % des jeunes francophones écoutent habituellement des chansons en français. Les autres 91 % peuvent aussi en écouter, mais moins souvent. Autrement dit, nos jeunes francos passent certainement plus de temps à écouter des chansons en français que ne l’affirme Lacroix.


Ce ne sont toutefois là que des couacs comparativement à ce que propagent les apôtres du français triomphant. On se dirait au temps de la commission Larose.


La Presse d’alors en débordait. Calvin Veltman y avait ouvert le bal avec son célèbre « La guerre linguistique est finie : le français a gagné ! » (23 octobre 1999). Alain Dubuc l’avait fermé sur le même ton avec « La bataille du français est gagnée » (11 février 2001). Les jovialistes, comme on les appelait à l’époque, faussaient les données à cœur joie. Des exemples ? Veltman gonflait la francisation des allophones en transformant en « arabe » les déclarations de langue maternelle « arabe et français », mais en « français » les déclarations de bilinguisme semblables quant à la langue d’usage à la maison. Victor Piché haussait le poids du français dans la région de Montréal, en comparant un territoire métropolitain qui excluait l’agglomération massivement francophone de Saint-Jérôme en 1991, avec un territoire qui l’incluait en 1996.


Ceux qui nient maintenant le déclin du français depuis 2001 emploient des procédés similaires pour fausser les données encore davantage. Au dévoilement des résultats du recensement de 2016, par exemple, Statistique Canada, c’est-à-dire Jean-Pierre Corbeil, avait prétendu que le poids du français, langue d’usage, au Québec était passé, entre 2011 et 2016, de 87,0 à 87,1 %. Corbeil avait poussé la méthode Veltman jusqu’à compter comme de langue d’usage française tous les allophones et anglophones, langue d’usage, qui parlent le français comme langue secondaire à la maison. Il persiste à le faire aujourd’hui.


J’avais alors démasqué la manœuvre de Corbeil, dans « Statistique Canada maquille le déclin du français » (l’aut’journal, 5 septembre 2017). J’ai pu vérifier, depuis, que l’usage secondaire du français au foyer s’avère fréquemment éphémère. Notamment parmi les enfants allophones d’âge scolaire qui, loi 101 oblige, emploient le français à la maison en faisant leurs devoirs. Aussitôt parvenus à l’âge du cégep, ce comportement s’estompe. Un comportement secondaire peut ainsi ne témoigner que d’une contrainte, plutôt que d’une « orientation linguistique » solidement engagée vers le français.


Dans une présentation l’été dernier au QCGN « French, English & « les autres » : Perceptions and Realities », Jack Jedwab, méthodes Veltman-Corbeil-Piché au poing, fait feu de tout bois. Il faut visionner ça (youtube.com/watch?v=mi9efU1fYL8). Un véritable appel aux armes. J’y suis traité de « ethnic nationalist demographer ». Aussi bien dire de raciste. Corbeil, Piché, Marcoux seraient, eux, « crédibles ». Qu’importent les faits, quoi, il s’agit de gagner la bataille de l’opinion publique.


Richard Marcoux ? C’est le directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, à l’université Laval. Celui qui voit des « francophones » partout. Le démolinguiste de référence du Devoir. Ils seraient 2,7 millions au Canada hors Québec, selon lui. Émilie Nicolas vient d’en colporter autant (Le Devoir, 9 juin).


Jean-Benoît Nadeau, chroniqueur langue à L’Actualité (9 et 23 avril), et qui sévit, lui aussi, au Devoir, répand les dires de Veltman et Corbeil voulant que de 70 à 80 % de nos allophones s’assimilent au français, sur la foi de leurs comportements linguistiques secondaires à la maison. Comme nous venons de le voir, cependant, en cette matière un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Ce qui n’empêche pas Nicolas de pester, de concert avec Nadeau, contre les données sur la langue maternelle et la langue d’usage à la maison, qui seraient de « valeur douteuse pour diagnostiquer le déclin du français » ainsi que pour mesurer l’assimilation (Le Devoir, 28 avril).


À vrai dire, la seule chose de nouveau depuis la commission Larose, c’est la qualité de l’information sur la langue au Devoir. André Pratte et La Presse peuvent aller se rhabiller. Jusqu’à l’éditorialiste Robert Dutrisac qui proclame que « la langue principalement parlée à la maison est une donnée secondaire […] ce qui compte davantage, c’est la première langue officielle parlée (PLOP) […] concept développé par Statistique Canada » (3 juin).


Bravo. J’ai donc démontré en pure perte, dans « Démystification de la PLOP de Statistique Canada » (l’aut’journal, 17 mars 2017), comment Statistique Canada a défini la PLOP de manière à dissimuler l’assimilation des francophones hors Québec. Il en est parfaitement de même d’un Montréalais francophone, selon sa langue maternelle, mais qui a adopté l’anglais comme langue principale à la maison. D’après la PLOP, il demeure toujours un « francophone ».


Cachez donc, M. Dutrisac, ces 30 000 francophones anglicisés dans la région de Montréal, que nous ne saurions voir. Et dont les Corbeil, Marcoux, Nadeau et cie nous entretiennent le moins possible en vos pages.


André Laurendeau doit se retourner dans sa tombe.