En pleine campagne de séduction et désireuse que « ses messages soient mieux entendus », l’Alberta ouvrira au printemps un bureau à Montréal. Un représentant à temps plein sera nommé « pour renforcer l’amitié entre [les] deux provinces ».
« J’entends moi-même être plus présent [ici] », a expliqué mardi en entrevue éditoriale avec La Presse Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta.
Entre le Québec et l’Alberta, il y a des terrains d’entente, insiste M. Kenney, citant à quelques reprises l’exemple du projet GNL, à Saguenay. Il s’est réjoui que son homologue québécois soit « favorable à l’exportation du gaz liquéfié ».
De fait, en après-midi, à l’Assemblée nationale, le premier ministre Legault a vanté le projet de GNL Québec (qui s’approvisionnerait en Alberta et en Colombie-Britannique).
S’il passe le test de l’évaluation environnementale, ce sera un projet « de 14 milliards de dollars et 4000 emplois payants », qui aurait en plus le mérite de réduire « beaucoup les gaz à effet de serre », a souligné M. Legault.
Pourquoi ne pas s’attarder sur de tels terrains d’entente plutôt que sur la discorde autour de l’oléoduc, alors qu’il n’y a « aucun projet concret à l’heure actuelle » ? a demandé M. Kenney.
C’est d’autant plus stérile d’en parler que Justin Trudeau « a tué Énergie Est » en insistant sur l’approbation du Québec, approbation qui n’est pourtant pas nécessaire, a glissé M. Kenney au passage.
« Ce n’est pas une question d’opinion, la loi est claire », a relevé M. Kenney, évoquant deux jugements récents confirmant que « les infrastructures interprovinciales » comme les oléoducs « sont de compétence exclusive fédérale ».
« Mais tout ça, ce sont des questions théoriques. M. Legault et moi, nous sommes des hommes pratiques. »
M. Kenney préfère se concentrer « sur les milliards en échanges commerciaux entre le Québec et l’Alberta ».
« De proches alliés »
« Le soir de ma victoire électorale, en avril, j’ai dit que je voulais renouveler l’alliance historique entre l’Alberta et le Québec. […] J’aimerais avoir une voix ici dans les débats à venir, améliorer nos relations politiques aussi. Si j’ai parlé cinq minutes en français dans mon discours à Calgary, c’est que cette relation est importante au plan stratégique. »
« Nous sommes les plus proches alliés contre l’ingérence du gouvernement fédéral dans nos compétences », estime M. Kenney.
La relation entre les deux provinces a néanmoins été mise à rude épreuve ces derniers temps par le commentaire de François Legault sur « le pétrole sale de l’Alberta » et aussi par le « Québec bashing » qui a cours en Alberta.
Les Albertains n’ont certes pas apprécié en général le commentaire de François Legault. « Je n’en ai pas été heureux non plus », a dit M. Kenney, ajoutant qu’une « bonne relation » s’est néanmoins établie entre les deux hommes.
Questionné sur le ressentiment de sa population contre le Québec, M. Kenney a répondu qu’« il est beaucoup plus dirigé contre Ottawa » et qu’en général, les Albertains « admirent la façon dont le Québec a défendu ses intérêts dans la fédération ».
La contribution albertaine
M. Kenney a par ailleurs rappelé à quel point « les Albertains ont énormément contribué au développement économique du Québec par l’entremise des transferts fédéraux ».
« Des dizaines de milliers de Québécois ont aussi déménagé en Alberta pour profiter de notre économie au cours des dernières décennies. »
Ce que M. Kenney veut notamment faire mieux comprendre aux Québécois en installant une antenne ici, c’est que l’Alberta est beaucoup plus soucieuse de l’environnement que ce qui est véhiculé.
L’intensité carbonique de nos sables bitumineux a été réduite de 30 % depuis 2000, et d’ici 2023, elle sera réduite de 20 % supplémentaires.
Jason Kenney
« Donnez-nous un peu de crédit pour ces progrès », a-t-il plaidé.
Mais les émissions de gaz à effet de serre, en Alberta, continuent d’augmenter, a-t-on soumis. La province donne encore beaucoup dans le charbon et elle n’a pas privilégié une taxe sur le prix du carburant qui aurait ciblé les gros pollueurs aussi bien que les individus.
L’Alberta « n’est pas parfaite », convient M. Kenney. Mais le gouvernement fédéral non plus : malgré son engagement à la Conférence de Paris, il « n’a que des objectifs », mais aucun « plan détaillé » pour les atteindre.
M. Kenney a rappelé son appui à une taxe sur les grands émetteurs. Il a relevé qu’il vient d’ailleurs de l’augmenter, en investissant les sommes ainsi récoltées dans « des technologies vertes ».
En attendant « le dernier baril »
Oui, le monde est dans une période de transition économique, mais de penser qu’« on peut mettre fin au trafic aérien ou à la production de produits pétrochimiques » demeure une utopie. « D’ici 20 ans, il continuera d’y avoir une demande pour cette énergie traditionnelle. »
Et si le Québec n’achète pas de pétrole de l’Arabie saoudite, Irving, à Saint John, au Nouveau-Brunswick, s’approvisionne dans ce pays, à raison de centaines de milliers de barils par jour, a insisté M. Kenney.
Il y aura un jour la production « du dernier baril », mais le premier ministre albertain espère que ce dernier baril « sera produit au Canada, avec nos normes environnementales et notre respect pour les droits de la personne ».
À noter qu’il n’a pas été question pendant l’entrevue de la décision de la Cour d’appel qui a débouté des communautés autochtones de la Colombie-Britannique dans le dossier Trans Mountain, le jugement étant tombé plus tard en journée (voir autre onglet).