Le Kosovo doit proclamer aujourd'hui son indépendance. Celle-ci semblait inéluctable depuis longtemps. Elle n'en est pas moins problématique sur le plan des principes et porteuse d'inquiétudes sur le plan stratégique.
Cette province à majorité musulmane était toujours officiellement sous souveraineté serbe bien qu'étant de fait un protectorat international depuis que l'OTAN y a mené une guerre, en 1999.
À l'époque, la Russie, extrêmement affaiblie, n'avait pas pu empêcher le déclenchement des hostilités contre son allié serbe, pays chrétien orthodoxe, comme elle. Les pays de l'OTAN avaient choisi la voie militaire sans feu vert du Conseil de sécurité de l'ONU. Ils disaient agir dans l'urgence pour mettre fin au nettoyage ethnique rampant auquel se livraient les Serbes contre les Kosovars musulmans. Ce fut la première guerre que l'OTAN mena dans son histoire, l'année de son 50e anniversaire et 10 ans après la disparition de la menace soviétique qui avait justifié sa création.
Cette guerre très inégale fut rapidement gagnée, Belgrade ayant capitulé après 72 jours de combat. Lorsque l'OTAN était entrée en guerre, il avait bien été précisé qu'il n'était pas question que le Kosovo accède à l'indépendance, que l'intervention militaire de l'OTAN n'avait que des buts humanitaires. Le 10 juin 1999, le Conseil de sécurité entérinait la fin de la guerre par le vote de la résolution 1244. Le Kosovo était administré par l'ONU, les troupes de l'OTAN devenaient responsables de la sécurité de la province. Mais, des exactions (cette fois-ci, des Kosovars contre les Serbes) ont contraint 200 000 d'entre eux à fuir le Kosovo. Le divorce est trop profond entre les deux communautés pour espérer que le rêve d'un Kosovo multiethnique - but officiel de l'intervention de l'OTAN - voie le jour. On restait donc sur un statu quo: ni indépendance ni retour sous l'autorité de Belgrade qui ne satisfaisait personne.
L'ancien premier ministre finlandais Marti Ahtisaari, mandaté par la communauté internationale, a proposé début 2007 que le Kosovo devienne indépendant sous la supervision de l'Union européenne. C'est le voeu le plus cher des Kosovars (90% de la population). Les Américains voulaient leur donner satisfaction espérant ainsi avoir un petit État européen qui serait entièrement à leur dévotion. Ils montreraient ainsi de surcroît qu'ils peuvent être les protecteurs des musulmans! Français et Allemands étaient moins enthousiastes, mais ils n'avaient pas envie de prolonger éternellement leur présence militaire au Kosovo dans un climat de plus en plus hostile, Grecs et Espagnols y étaient hostiles. Les Kosovars qui avaient initialement bien accueilli les troupes de l'Alliance atlantique parce qu'elles les protégeaient des Serbes, risquaient de plus en plus de se retourner contre elles en cas de refus de l'octroi de l'indépendance.
Belgrade refusait le principe de l'indépendance, n'acceptant que de donner une plus grande autonomie. C'était l'impasse. Soit on acceptait que les négociations se poursuivent indéfiniment et les Serbes n'auraient jamais accepté l'indépendance, soit on tranchait en accédant aux demandes Kosovars. C'est ce qui a été fait par intérêt pour Washington et par résignation pour Paris et Berlin. Mais le résultat revient à pénaliser de façon unilatérale la Serbie qui pourrait à juste titre s'estimer avoir été trahie par les Occidentaux. Lors de la guerre, l'OTAN avait en effet affirmé solennellement qu'elle ne contestait pas sa souveraineté sur le Kosovo.
Il y a bien une contradiction dans l'attitude des Occidentaux. Ils acceptent l'indépendance du Kosovo, officiellement au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Mais ils ne veulent pas accorder aux Serbes bosniaques le même droit à l'indépendance au nom du maintien de la souveraineté de la Bosnie ni aux Serbes du Kosovo au nom de son intégrité territoriale.
Certains Européens et les pays arabes feront également une parallèle avec le Proche-Orient. Alors qu'ils ne contestaient pas que le Kosovo appartienne à la Serbie, les Occidentaux ont été jusqu'à se lancer dans une guerre pour protéger la population kosovare. Alors que personne ne reconnaît de souveraineté israélienne sur les territoires palestiniens, l'occupation militaire se poursuit sans que les Occidentaux ne bougent d'une quelconque manière.
La Serbie n'a guère les moyens de réagir. Ce n'est pas le cas de la Russie. Certes, elle n'a pas pu empêcher la proclamation de l'indépendance. Mais, elle pourra - avec la Chine - s'opposer à son entrée à l'ONU, en utilisant son droit de veto. C'est un nouveau motif de confrontation avec Washington. Elle cherchera à obtenir des compensations ou à se venger.
Les Russes pourront également mettre en avant que ce qui a joué au Kosovo peut servir pour l'Abkhazie - où ils appuient les séparatistes qui veulent quitter la Géorgie - ou en Transnistrie - où ils souhaitent une sécession de fait de la Moldavie. L'indépendance du Kosovo ne va-t-elle pas par ailleurs relancer les tendances sécessionnistes particulièrement nombreuses dans les Balkans? Les Albanais de Macédoine ne vont-ils pas pousser leurs revendications?
Enfin, on peut s'interroger sur la viabilité du Kosovo et sur l'importance des maffias qui y sont déjà très puissantes.
(Photo Reuters)
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Pascal Boniface
L'auteur est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, à Paris.
- source
Kosovo: une indépendance problématique
DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)
Pascal Boniface4 articles
Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à Paris.
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