Jean-Claude Germain et notre jeunesse

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

Jean-Claude Germain est un raconteur compulsif. L'histoire du Québec, pour lui, passe par les histoires et les anecdotes qui révèlent la substantifique moelle de notre aventure nationale. À la rigueur scientifique, Germain préfère la vigueur narrative. Aussi, sa version des faits ne remplace pas celles -- avec un s, parce qu'il y en a plusieurs -- des historiens patentés, mais elle a le mérite, grâce à un ton léger, inventif et indépendant, d'incarner l'esprit d'un peuple, le nôtre.
Le Québec actuel, écrit Germain, accorde si peu d'importance à l'enseignement de l'histoire nationale qu'il peut être considéré comme un «objecteur de mémoire». Cette réticence à l'égard de ce qu'on perçoit comme de vieilles gens et de vieilles choses nous coupe pourtant de la source de notre vitalité. «Lorsqu'on invoque le passé, proche ou lointain, c'est une erreur de perspective de croire que les ancêtres sont les anciens et que nous, nous sommes les jeunots. C'est même le contraire qui est juste. Par rapport à eux, nous sommes les vieux et par rapport à nous, ils sont notre jeunesse. Ne sommes-nous pas la somme de ce qu'ils ont été?»
Aussi, est-ce cette jeunesse que Germain, gaillard et amoureux, raconte dans Nous étions le Nouveau Monde. Le feuilleton des origines. Nous ne sommes pas nés d'hier, explique-t-il. Si, pour Fernand Dumont par exemple, le sentiment national, déjà présent sous le Régime français, a été renforcé par la Conquête, l'affaire, pour Germain, se règle souvent dès la première génération de Français débarqués au Canada. «Charles Le Moyne, Pierre Boucher, Nicolas Perrot n'étaient plus français que d'origine. En tout cas, si ce n'est pas évident pour ceux qui sont devenus "canayens", ça l'est pour tous ceux qui ne le sont pas!»
Deux différences entre Français et «Canayens» justifient cette distinction: le mode de vie, bien sûr, mais aussi la langue. «Pas une variante d'accent, explique Germain, mais une différence profonde dans son usage. Ici, dès le début de l'établissement, la langue française est la langue commune, longtemps avant qu'elle remplisse le même rôle dans la mère patrie.» À l'heure où la Cour suprême conteste la constitutionnalité d'un élément important de notre politique linguistique (loi 104), à l'heure où trop de Québécois continuent de croire qu'ils sont perdus sans l'anglais, le rappel n'est pas inutile. «Bref, près de trois cent cinquante ans avant la France, écrit Germain qui en met un peu, nous avons été le premier pays au monde à vivre en français du matin au soir, en tout temps, toute occasion et tout lieu. Ce qui fait qu'aujourd'hui pour le Québec, la langue française n'est pas une réminiscence, un souvenir, une nostalgie, une idée fixe, une obsession ou un entêtement, c'est l'élément constitutif de notre être collectif, de notre identité et de notre originalité.»
Une allègre épopée
La Nouvelle-France, vue d'aujourd'hui, nous apparaît souvent comme un univers de rigueurs et d'austérité. Elle fut sûrement cela, à certains égards, mais elle fut aussi le théâtre d'une allègre épopée, animée par les volontaires et les audacieux. Ce sont ces derniers qui intéressent Germain. Sous sa plume, la vénérable Jeanne Mance devient «la femme moderne de 1640», qui a trouvé l'autonomie en prenant le voile et qui dispose d'un impressionnant carnet d'adresses. «Le temps d'une génuflexion, d'un Pater et de trois Ave, écrit le feuilletoniste, elle débusque une talle de veuves auxquelles le veuvage a donné les moyens de leurs bonnes oeuvres et de leurs ambitions mystiques.» Elles décoiffent, en effet, ces religieuses à la fois entreprenantes et ardentes. «Marie de l'Incarnation, note Germain, n'est pas du genre à avoir des vapeurs. [...] En revanche, quand elle se retire dans l'intimité de sa cellule pour se recueillir, les paroles de ses prières semblent lui être soufflées par Serge Gainsbourg.»
De Maisonneuve, le feuilletoniste retient qu'il «ne prend ni ne tire jamais un coup» et que «son seul dévergondage est de jouer du luth». Il est vrai qu'il est fort occupé avec les Iroquois et les gens de Québec qui ne font rien pour faciliter la fondation de Ville-Marie. Germain attribue d'ailleurs à Charles Le Moyne, interprète, marchand, militaire et diplomate, le titre de «fondateur véritable de Montréal, première ville nord-américaine, comme Québec est la dernière ville française».
François-Marie Perrot, deuxième gouverneur de Montréal (1669-1684), donne le ton à l'histoire du lieu. Insolent, sans gêne et cupide, il s'enrichit sans vergogne, exploite les Indiens et incarne «la raison d'être de Montréal à travers les âges: "Faire la passe!"» Des contemporains, on le sait bien, poursuivent la tradition, alors que d'autres suivent les traces des Montréalaises libertines du temps, comme la Folleville, une «cabaretière [qui] inspire la débauche et respire le scandale». Lors d'un procès qui la concerne, son mari cocu déclare: «Un jour, monsieur le juge, j'voulais corriger un de mes enfants. Ma femme m'en a empêché. A m'a dit d'attendre que j'en aie un à moi pour le frapper.»
Germain, aussi vigoureux mais moins brouillon qu'à son habitude, n'oublie pas de saluer les Indiens, dont Kondiaronk, le Machiavel huron, et Pontiac. Sévère à l'endroit de Montcalm, «l'incarnation par excellence du "p'tit Français contraireux"», et de Wolfe, un «grand malade psychosomatique», il prend le parti de Vaudreuil et de Lévis. Selon lui, la thèse d'une «possible idylle entre les Canayens et les Américains» à la fin du XVIIIe siècle ne tient pas. Londres, en effet, était plus tolérant à l'égard du catholicisme que le Congrès de Philadelphie.
Les Anglais, d'ailleurs, ne parviendront jamais à effacer l'identité «canayenne». «La bataille des plaines d'Abraham, constate Germain, a été perdue. Mais a-t-elle été vraiment gagnée?» Une prophétie de Tocqueville contient peut-être le fin mot de l'histoire. «Il y a fort à parier que le Bas-Canada finira par devenir un peuple entièrement français, écrivait l'aristocrate après une visite chez nous en 1831. Mais ce ne sera jamais un peuple nombreux. Tout deviendra anglais autour de lui. Ce sera une goutte dans l'océan.» Ce n'est pas une raison pour devenir «one drop».
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louisco@sympatico.ca
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Nous étions le Nouveau Monde
Le feuilleton des origines

Jean-Claude Germain
Hurtubise
Montréal, 2009, 258 pages


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