Jean Charest récrit l'histoire

Guerre de mots à Québec et à Ottawa à propos de la fondation du Canada

Québec 400e - imposture canadian

Pour justifier la grande visibilité que le Canada s'assure en France grâce aux festivités entourant le 400e anniversaire de la ville de Québec, le premier ministre Jean Charest s'est adonné hier à une réécriture de l'histoire en affirmant que le Québec avait fondé le Canada. Cette conception s'apparente aux vues du premier ministre canadien, Stephen Harper, qui juge pour sa part que la fondation de Québec en 1608 marque celle de l'État canadien.
À Paris en cette deuxième journée de la visite de Michaëlle Jean, la France n'a lésiné ni sur les tapis rouges ni sur les flonflons pour accueillir la gouverneure générale du Canada. Rarement avait-on vu autant de personnalités à la réception donnée hier soir à l'ambassade du Canada pour saluer celle qui apparaît aujourd'hui en France comme la véritable ambassadrice des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec.
De ce côté-ci de l'Atlantique, tant à l'Assemblée nationale qu'à la Chambre des communes, on s'est interrogé sur le sens à donner à cet anniversaire.
Lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a signalé que «le gouvernement fédéral et la gouverneure générale partagent, en France actuellement, l'idée que le 400e anniversaire de Québec marque le début du Canada». Elle a demandé à Jean Charest de «corriger cette impression». Non seulement le premier ministre a refusé d'obtempérer, il en a rajouté: «On est fiers du fait que le Québec ait fondé le Canada, justement.»
Aux yeux du premier ministre québécois, il n'y a «aucune contradiction» entre la présence en France de la gouverneure générale, «qui, soit dit en passant, est du Québec», et la «relation directe et privilégiée» qu'entretient le Québec avec la France, une relation «qui ne changera jamais».
La ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, estime de son côté que le Canada a son mot à dire, en France ou ailleurs, à propos des fêtes du 400e parce qu'Ottawa a financé ces célébrations à la même hauteur que le gouvernement québécois.
Pauline Marois s'est pour sa part indignée du fait que «c'est la représentante de la reine d'Angleterre» qui va donner aujourd'hui le coup d'envoi des festivités du 400e anniversaire de Québec à La Rochelle. Le gouvernement du Québec y a dépêché le ministre responsable de la Capitale nationale, Philippe Couillard.
Le chef de l'opposition officielle, Mario Dumont, note que 2008, en raison du 400e, devait être «une année de renforcement» de la relation Québec-France. Or on assiste plutôt une «canadianisation» de cette relation, a livré au Devoir le chef de l'Action démocratique du Québec. Jean Charest «est emporté par le courant. Il a voulu avoir un ménage à trois; il se retrouve dans l'ombre de ce ménage à trois».
À la Chambre des communes, la question des Fêtes du 400e a fait l'objet d'un débat enflammé lors duquel le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a été hué et où le ministre des Transports, Lawrence Cannon, s'est fait traiter de colonisé. Accusant le gouvernement conservateur de récupérer ces fêtes à des fins politiques fédérales, Gilles Duceppe a déploré que ce soit une monarchie «ridicule», «archaïque», «antidémocratique» et «politiquement folklorique» qui représente Québec en France.
«La fondation de Québec est aussi la fondation de l'État canadien», a soutenu le premier ministre Stephen Harper. «La gouverneure générale est la successeure aujourd'hui de Samuel de Champlain, le premier gouverneur du Canada.»
Le chef libéral Stéphane Dion n'a pas manqué de se dissocier de Gilles Duceppe. «En tant que natif de Québec, je peux vous dire que je suis fier que la ville de Québec soit considérée comme le berceau des francophones de l'Amérique du Nord, des Québécois, des Canadiens français et de tous les Canadiens», a-t-il dit.
Après la période de questions, M. Dion a indiqué qu'il s'est «senti vraiment fâché» contre M. Duceppe. «Beaucoup de mes amis qui sont indépendantistes ne se reconnaîtront pas dans ce qu'il vient dire là», a-t-il avancé.
C'est en évoquant le 400e et le Canada multiethnique que Michaëlle Jean a rencontré hier les plus importants représentants de l'État français, des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat au maire de Paris, Bertrand Delanoë. Clou de cette visite, la gouverneure générale a eu un court entretien d'une vingtaine de minutes avec le président Nicolas Sarkozy, qu'elle reverra à deux reprises aujourd'hui lors des cérémonies de la victoire de 1945 à Ouistreham et au cimetière canadien de Beny-sur-Mer.
«Je tiens vraiment à faire de cette célébration du 400e anniversaire de Québec un moment unique et festif», a-t-elle déclaré à sa sortie de l'Élysée. La gouverneure générale a plusieurs fois insisté sur le «vaste rayonnement du Québec dont nous sommes tellement fiers». Son époux, Jean-Daniel Lafond, a même vanté «ce pays, le Québec et le Canada, qui m'a apporté la part de plus-value dont j'avais besoin». Michaëlle Jean a accordé des entrevues à France 2, à Libération et au Figaro, qui mettent tous en évidence son parcours personnel. L'ambassadeur du Canada en France, Marc Lortie, n'a pas hésité à qualifier cette visite pour l'instant sans faille de «moment très fort» pour la relation du Canada avec la France.
«C'est vraiment une vraie fête d'être ici en France pour saluer l'amitié durable, longue, et qui s'approfondit entre la France et le Canada en raison d'une histoire que nous avons et d'une mémoire que nous avons en partage, et notamment par cette culture française qui est bien enracinée au Canada», a déclaré la gouverneure générale après son entretien avec M. Sarkozy. Michaëlle Jean a aussi abordé avec le président français la possibilité, lorsque celui-ci sera président de l'Union européenne, le 1er juillet prochain, que s'amorcent des négociations de libre-échange entre l'Europe et le Canada.
La soirée s'est terminée à l'ambassade où étaient réunis 350 convives, dont le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, la ministre du Logement, Christine Boutin, ainsi que les secrétaires d'État à la Fonction publique, André Santini, et à la Politique de la ville, Fadela Amara. Quatre autres ministres étaient attendus mais ne se sont pas présentés.
La gouverneure générale a remis l'Ordre du Canada au journaliste littéraire et animateur Bernard Pivot. «Voilà bien des honneurs», a déclaré l'ancien animateur de Bouillon de culture. «[...] Je connais beaucoup de Français qui auraient mérité l'Ordre du Canada plus que moi.» Michaëlle Jean et Bernard Pivot se connaissent de longue date. Michaëlle Jean avait déjà interviewé son ancien confrère. Ils ont aussi animé un spectacle ensemble. L'ancien animateur a conclu en plaisantant: «Je vous ai connue journaliste, je vous retrouve gouverneure générale!»
Par ailleurs, pour justifier l'absence de Jean Charest en sol français, son cabinet a fait valoir hier qu'il s'y rendra la semaine prochaine, du 16 au 19 mai, comme l'écrivait Le Devoir hier. Cette visite, décidée en mars, a fait l'objet d'un article dans un quotidien de la Gironde à la mi-avril.
Or, en choisissant de faire ce voyage, Jean Charest laisse en plan le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, qui débarque au même moment à Québec pour participer à la Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFE). Cette activité, orchestrée par la Chambre de commerce de Québec, réunit des dirigeants d'entreprises de toute la Francophonie. C'est Mme Gagnon-Tremblay qui remplacera le premier ministre pour le discours d'ouverture de la rencontre, a indiqué son attaché de presse, Damir Croteau.
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Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti


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