Le passage du général de Gaulle sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal est gravé dans ma mémoire. Pourtant, je n’avais que 11 ans en 1967.
Mes parents vouaient un culte à la France et au grand Charles. Dans ma famille, être canadien-français ne voulait pas dire être un Canadien qui parle français, mais être un Français du Canada.
Devant notre chalet flottait le tricolore, pas le fleurdelisé.
Soirée sous tension
Rita et Rémi n’étaient pas du genre à descendre acclamer leurs idoles dans la rue. Le général sur écran noir et blanc suffirait.
Nous voilà donc tous les trois, le 24 juillet, dans la cuisine, suivant les faits et gestes du général de Gaulle sur une télé portative 14 pouces. Papa, soldat pendant la Deuxième Guerre mondiale, a la larme à l’œil. Maman, nerveuse, boit son thé Salada par petites gorgées rapides, comme si elle appréhende une catastrophe.
Malgré l’assassinat de JFK, les personnalités de l’époque saluaient toujours les foules de l’arrière d’éléphantesques décapotables Cadillac de ville Parade. Pour De Gaulle, on avait trouvé une Lincoln noire en Ontario, raconte André Duchesne dans La traversée du Colbert, au lieu de la Caddy bleu ciel proposée jugée inappropriée.
L’immatriculation ontarienne avait été retirée.
Moment historique
Voilà que de Gaulle apparaît, tel un sauveur, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal. L’atmosphère est alimentée au 220. Le peuple attend un sauveur : à Trois-Rivières plus tôt ce jour-là, de Gaulle avait parlé d’un « Québec, maître de lui-même ».
Certains historiens croient que c’est là qu’a germé l’idée du « Vive le Québec libre », mais sur le Colbert, le navire amiral français qui l’avait mené à Québec, il aurait confié à son fils, l’amiral Philippe de Gaulle : « On va m’entendre là-bas, cela va faire des vagues, je vais frapper un grand coup ».
Charles de Gaulle n’improvisait pas.
Quand « Vive le Québec libre » a quitté la bouche du président français, mon père, qui photographiait sa télé en quête d’un souvenir, a déposé Instamatic et Flashcubes sur le comptoir, s’est essuyé le front et a lâché un rare « tabarnak », ajoutant : « je me demande ce que Churchill (que de Gaulle irritait souverainement) aurait pensé de ça. »
Churchill, l’Anglais, était l’autre idole de papa.
Le FLQ
Mes parents étaient nationalistes, mais la séparation du Québec, comme on disait alors, était un sujet tabou chez nous depuis que ma cousine avait semé la consternation en fondant, en 1963, le FLQ avec son mari, le Belge Georges Schoeters, Raymond Villeneuve et Gabriel Hudon.
Elle avait été condamnée à deux ans de prison, avec sursis, pour participation à un attentat à la bombe.
Je crois que ce secret de famille qui a fait beaucoup pleurer mes tantes explique pourquoi l’indépendance n’a jamais eu la cote chez nous.
Le cri du cœur du grand Charles n’a pas modifié l’opinion de papa sur la question nationale, mais comme chez bien d’autres Québécois, son fédéralisme goûtait la guimauve.
Il en a beaucoup plus voulu à Trudeau d’avoir traité Robert Bourassa de « mangeur de hot dog » qu’à De Gaulle d’avoir crié « Vive le Québec libre ».
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Québécois sont prisonniers de leurs paradoxes.
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