Le choc de la visite du général de Gaulle ne s’est pas fait sentir que dans les milieux politiques. Au Devoir, entre autres, il a donné lieu à des réactions très diverses, voire parfois opposées, dont ne sauraient rendre compte les seuls articles du directeur même si ceux-ci expriment seuls en l’occurrence la position officielle du journal. Par souci de loyauté envers nos lecteurs et de respect pour l’un de nos collaborateurs les plus estimés, nous publions dans cette page l’opinion de notre collègue Jean-Marc Léger. — Claude Ryan
Éditorial publié dans Le Devoir du 27 juillet 1967.
Toute l’action politique du président de Gaulle, et particulièrement les quelque dix dernières années, a été dominée par deux grands soucis : la souveraineté nationale et la coopération internationale. Il a acquis la conviction profonde, et il sait la communiquer, que c’est dans la synthèse de l’une et de l’autre que réside la seule possibilité d’une paix réelle dans le monde et d’un progrès durable et partagé pour tous les hommes. Cette conviction, il l’a et il la sert non seulement pour la France, mais pour tous les peuples : il l’a clamée dans tous ses voyages à travers le monde, en Europe occidentale comme en Amérique latine, en Afrique comme en Orient. Et il l’applique.
Pourquoi voudrait-on qu’il ait tu cette conviction ici ou qu’il ait choisi, pour l’exprimer, des termes d’une infinie prudence dans des textes intégralement rédigés, sinon visés d’avance par Ottawa ? Pourquoi voudrait-on qu’il ait fait mine d’ignorer la situation particulière, les difficultés, les aspirations nouvelles du Québec ? Pourquoi au total aurait-on voulu qu’il se fît complice du pieux mensonge qui entoure toujours les visites officielles, alors que les chefs d’État et de gouvernement parlent pour les dirigeants du pays visité et pour les chancelleries, plutôt que pour le peuple ?
Aristocrate de la pensée, de Gaulle est, par sa générosité naturelle et son sens profond de l’histoire, porté vers le peuple, où il a constamment trouvé, d’ailleurs, son réel appui, alors qu’il a toujours trouvé sur sa route les institutions établies, les hommes en place, les notables de tout acabit. Ici, plus qu’ailleurs, dans cette terre fécondée par le génie français, dans ce peuple issu de France, il était combien naturel et combien nécessaire qu’il engageât le dialogue avec le peuple et qu’il apportât un message d’espoir.
On ne saurait sans commettre une grave erreur ou manifester une profonde ignorance jauger de Gaulle à l’aune commune. On ne saurait, d’autre part, estimer que le chef de l’État français d’aujourd’hui dans le Québec comme il est, vit et sent aujourd’hui, doive ici agir en chef d’État étranger, surtout lorsque le visiteur se nomme Charles de Gaulle. Entre la France et le Québec, dans le passé déjà, mais désormais combien plus, les relations sont d’un ordre irréductible à celles qui se pratiquent couramment entre États étrangers, fussent-ils de vieux amis et de grands alliés. Et la notion grandissante de communauté francophone va ajouter en quelque sorte la dimension d’une seconde patrie, à la mesure de la francophonie, pour tous les peuples de langue française.
Compte tenu de tout cela, compte tenu aussi du caractère triomphal de la visite que depuis dimanche matin de Gaulle poursuivait au Québec, il n’y a point lieu assurément de se scandaliser du « Québec libre » lancé du balcon de l’hôtel de ville de Montréal. Cela surgissait tout naturellement et, dans ce contexte, il devient fort difficile d’y vouloir déceler une quelconque « ingérence » dans les affaires intérieures du Canada.
Depuis son arrivée en terre québécoise, le président de Gaulle a apporté un bouleversant message de confiance et d’espoir. Et le pays lui a répondu dans ses profondeurs. Pendant l’historique journée du 24 juillet particulièrement, ce peuple dans ce qu’il a de plus sain, de plus vrai, de plus spontané a vraiment « plébiscité de Gaulle », comme l’écrit notre confrère Guy Cormier de La Presse. Entre lui et le peuple, la communion fut immédiate, chaleureuse : à la fin du chemin du Roy, de Gaulle a résumé ce qu’il avait senti, deviné et, peut-être, prévu.
Il est tout de même étonnant qu’un seul salut au « Québec libre » répande à ce point la panique ou la fureur dans certains milieux : ou faut-il y voir un aveu ? On admirera qu’après des siècles, le vieux mot de liberté retrouve, en certains lieux et à certaines heures, un tel pouvoir et qu’il marque encore un tel clivage : côté rue, lundi soir, c’était l’explosion d’enthousiasme, côté notables, sur la terrasse de l’hôtel de ville, c’étaient le malaise l’irritation, l’inquiétude.
Pour de Gaulle, c’est là une situation familière. Lorsqu’il a engagé la « folle entreprise » de la France libre, comme lorsqu’il a fait la décolonisation prompte et massive de l’ex-empire français, comme lorsqu’il a décidé de reconnaître l’indépendance de l’Algérie, il s’est toujours, pour son honneur, heurté aux notables du moment et aux gens en place.
Qu’a dit de Gaulle depuis son arrivée au Québec, sinon des vérités d’évidence en même temps que des paroles de confiance et d’affection ? D’étape en étape, il a rappelé essentiellement les conditions que doit remplir tout peuple aujourd’hui pour rester dans la course et être digne de vivre.
Il a, d’autre part, marqué la nécessité d’une très étroite coopération entre la France et le Québec, en insistant [sur le fait] qu’elle ne doit pas s’entendre à sens unique. Il a, enfin, constaté que dans le monde entier aujourd’hui, chaque nation, grande ou petite, entend être maîtresse de son destin et se réaliser par elle-même, qu’au reste cela est dans l’ordre des choses, est nécessaire.
Qu’y a-t-il là de faux ou de contestable, et par quel dérèglement de l’esprit veut-on y voir une manifestation d’« ingérence dans les affaires intérieures » ?
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