La voix du ténor des indépendantistes québécois s’est éteinte. Jacques Parizeau avait fêté ses 84 ans le 9 août dernier. Éminence grise de plusieurs gouvernements à compter des années 1960, professeur d’économie, ministre des Finances sous René Lévesque, chef du Parti québécois de 1988 à 1995, maître d’oeuvre du référendum de 1995, il a profondément marqué sa société.
C’est son épouse, Lisette Lapointe, qui a annoncé sur sa page Facebook la mort de celui qui aura été «l’homme de [s]a vie». Le pilier politique est parti «tout en douceur, entouré de plein d’amour», a-t-elle écrit sur le premier coup de minuit. «Après un combat titanesque, hospitalisé durant cinq mois, traversant les épreuves, les unes après les autres, avec un courage et une détermination hors du commun, il a dû rendre les armes ce soir, 1er juin, un peu avant 20 heures. Nous sommes dévastés. Nous l’aimons et l’aimerons toujours.»
Sa mort bouleverse bien sûr ceux qui voyaient en lui une sorte de phare solennel planté au milieu de la nuit de leurs rêves politiques, mais aussi ceux, nombreux, qui reconnaissaient en lui l’expression déterminée d’une vision sincère et originale du Québec.
Habitué des complets trois-pièces et d’un maintien quelque peu aristocratique, celui qu’on appellera «Monsieur» est diplômé des Hautes-Études commerciales où l’économiste François-Albert Angers l’encourage à poursuivre ses études en Angleterre.
Élu le 15 novembre 1976, il devient ministre des Finances du gouvernement de René Lévesque. Il reviendra enseigner dans son alma mater de 1985 à 1989, moment où il fait un pas de côté pour mieux pouvoir sauter à nouveau dans l’arène politique.
En parallèle, il est un conseiller de première importance en matière économique dans l’appareil d’État qui se met en place au tournant des années 1960. Il est un de ceux qui jettent les bases de la Société générale de financement (1962) et de la Caisse de dépôt et placement du Québec (1965). Il va aussi suggérer une stratégie économique afin de faciliter la nationalisation des ressources hydro-électriques. On le trouve aussi mêlé à plusieurs réflexions qui donnent des outils à l’État pour valoriser les capacités de ses citoyens.
Indépendantiste
Ministre clé du cabinet de René Lévesque, il démissionne avec fracas du cabinet du gouvernement du Parti québécois le 22 novembre 1984, puis comme député cinq jours plus tard. Même s’il conservera toujours beaucoup d’affection pour René Lévesque, il ne tolère pas le virage que celui-ci affiche désormais en faveur du fédéralisme renouvelé, favorisé par l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Brian Mulroney, aiguillé alors en cette matière par Lucien Bouchard.
Chef du Parti québécois à compter de 1988, il tend la main à Robert Bourassa au moment de la crise qui entoure l’accord du lac Meech et accepte de participer aux travaux de la commission Bélanger-Campeau. L’appui à l’option indépendantiste atteint alors un sommet.
Sa volonté de réaliser l’indépendance du Québec se montre résolue et déterminée. Le Parti québécois, répètera-t-il, est souverainiste avant, pendant et après les élections.
Premier ministre
À l’élection du 12 septembre 1994, il forme le nouveau gouvernement majoritaire. Se met alors en place la stratégie référendaire. Chef du camp du «Oui», Jacques Parizeau convient néanmoins de s’effacer de l’avant-scène au profit d’interventions de Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, plus en phase avec la ferveur populaire du moment.
Au soir du 30 octobre 1995, l’option du Oui passe bien près de l’emporter avec 49,42 % des suffrages exprimés. Ce sont 54 288 voix qui départagent les gagnants des perdants.
Amer, visiblement ébranlé, Jacques Parizeau estime alors, dans un discours livré à chaud, que c’est le vote des minorités ethniques et l’argent qui ont fait perdre le référendum. «On a été battu, au fond, par quoi ? Par l’argent puis des votes ethniques, essentiellement.» Cette déclaration jugée malhabile fait tout de suite rougir les téléphones. Elle sera l’objet d’analyses multiples qui occupent une large place de l’espace médiatique dans les jours et les mois qui suivent la déconvenue référendaire. Cette sortie a sans doute accéléré la décision de Jacques Parizeau de quitter la politique active, du moins dans des hautes fonctions, même s’il avait déjà annoncé son intention de ne pas rester en place pour gouverner une province.
Critique
Jacques Parizeau s’est fait particulièrement critique à l’égard du Parti québécois ces dernières années. Il va désapprouver notamment la politique d’une charte de la laïcité. Il soutiendra aussi ouvertement Option nationale, un jeune parti dirigé par Jean-Martin Aussant, sans pour autant renier son ancien parti. Jacques Parizeau ne cachera pas dès lors l’expression de sa profonde affection envers Jean-Martin Aussant dont il apprécie la fréquentation.
En août 2014 à Montréal, à l’occasion d’un congrès de militants indépendantistes qui se veut neutre, il répètera que le Parti québécois n’a que lui à blâmer pour ses insuccès dont la cause tient à sa propension à cacher ses motivations. «À force de brouiller les cartes, de toujours passer à côté et de cacher ce qui est l’objectif même du mouvement souverainiste, il ne faut pas s’étonner qu’à un moment donné, tout ça se dissout.» Jacques Parizeau aura su pour sa part demeurer fidèle à ses rêves avec une éclatante vigueur et une puissance de réflexion que tous lui reconnaissaient.
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