Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité.
C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives.
On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité.
Combats
Y a-t-il un problème spécifique avec l’islam ? Si oui, lequel ?
Des lecteurs m’envoient souvent des extraits du Coran censés montrer que cette religion ne serait que paix et amour.
D’autres lecteurs m’envoient des extraits censés « prouver » sa nature violente.
Cette approche par l’étude des textes fondateurs est un cul-de-sac : l’Ancien Testament (pas le Nouveau) contient aussi des messages très violents.
Un misogyne trouvera dans les textes religieux des passages sur l’infériorité supposée des femmes. Une féministe trouvera des extraits servant sa cause.
On trouve tout et son contraire dans ces textes canoniques.
Est-ce que les faits historiques, eux, permettent de conclure que l’islam générerait plus de violence que, disons, le christianisme ?
Pas du tout.
Au nom du christianisme, on a mené des croisades, asservi des peuples entiers et brûlé des hérétiques.
Les deux idéologies les plus meurtrières du XXe siècle — le communisme et le fascisme — sont de purs produits de la civilisation occidentale.
Alors, si les problèmes actuels de l’islam ne s’expliquent ni par la doctrine originale ni par une histoire plus violente que l’histoire chrétienne, par quel bout prendre la question ?
La clé de l’énigme se trouve dans le passé, comme toujours.
Le catholicisme a été contesté successivement par le protestantisme, par la Renaissance, par le libéralisme philosophique des Lumières, par le matérialisme capitaliste, par l’esprit scientifique, par les intellectuels laïques, par le féminisme, etc.
Pour l’essentiel, ces forces de contestation ont triomphé.
L’Église a accepté de se subordonner au pouvoir politique laïque et a renoncé à vouloir imposer ses vues à tout le monde.
Cette réconciliation avec la modernité est encore malaisée, comme en témoigne par exemple la place des femmes au sein de l’Église.
Dans le monde musulman, entendu à la fois comme culture et comme foi, les mêmes forces de contestation existent.
Vous avez des intellectuels, des scientifiques, des politiciens, des militantes féministes qui mènent des combats comme ceux menés jadis au sein du monde judéo-chrétien.
Enjeux
Les combats se livrent autour de trois enjeux principaux.
Le premier est celui de la subordination du pouvoir religieux au pouvoir politique, ce qui inclut évidemment d’établir la laïcité de l’État.
Le second est celui de l’égalité des sexes.
Le troisième est celui du respect des croyances d’autrui, ce qui inclut d’accepter le droit des autres de vous critiquer.
Même chez nous, ces combats ne sont pas terminés, bien qu’ils durent depuis des siècles.
Le problème spécifique de l’islam aujourd’hui est double : d’une part, cette évolution intellectuelle n’a pas encore eu lieu et, d’autre part, ceux qui l’incarnent partent de beaucoup plus loin et sont souvent menacés.