Les observations de Richard LeHir et Nestor Turcotte sont symptomatiques

Indépendance ou déliquescence

La dégradation de nos institutions est le prix de notre refus d'exister

Tribune libre

Au cours des derniers jours Richard LeHir et Nestor Turcotte nous ont entretenus successivement de la dégradation de deux institutions québécoises symboles de notre société distincte , l'une économique, l'autre politique : le Mouvement Desjardins et le Parti Québécois. J'essaie ici d'établir ici un parallèle entre les deux.
Nous n'avons jamais eu que deux choix : la libération ou la déliquescence. La déliquescence est bien engagée.
L'article de Richard LeHir sur les visées bancaires et canadiennes du Mouvement Desjardins le démontre encore une fois de brillante façon. Mais il n'y a pas que les institutions qui sont déliquescentes il y a aussi l'âme de chacun de nous qui en paye le prix, alors que nos vies tournent à perte. Les Québécois subissent et se taisent. Jeannette Bertrand et Huguette Proulx avaient soulevé bien des tabous de notre société mais ce travail inachevé, toujours à reprendre a été interrompu. Les gains de liberté arrachés dans les années soixante-dix ont fait place à un nouvel ordre où les Québécois se retrouvent emprisonnés dans de nouvelles formes de structures qu'ils n'osent pas plus nommer qu'autrefois. C'est même pire qu'autrefois parce que maintenant ils ont à tort l'impression d'être libres alors qu'ils sont livrés à des structures plus rigides que jamais. C'est l'ensemble de leur vie qui est maintenant conditionnée plus qu'elle ne le fut au cours des trois siècles précédents. On a confondu la liberté du désir immédiat facilitée par l'accès au crédit et la libéralisation des interdits avec la liberté de choisir son destin. Ne sommes-nous pas venus au monde métissés entre l'Europe et le Nouveau Monde pour subir un destin autre que celui d'endosser alternativement les rôles de contribuables et de bénéficiaires, de voir les plus vieux d'entre nous abandonnés dans des poulaillers, plus de 10% de pauvreté chez nos enfants d'âge scolaire privés de tout (voilà la seule ressource naturelle et humaine dans laquelle les milliards en voie d'être détournés scandaleusement au profit des autres vers le Plan Nord devraient être plutôt investis), ne sommes nous pas nés aussi pour vivre dans autre chose que des TOD (Transport Oriented Development) tel que proposé comme panacée par la Communauté Métropolitaine de Montréal dans un ordre où le rendement économique nous réduit à notre seule valeur économique et où même l'environnement détaché de la réalité est devenue une question de marchandage. Comment expliquer autrement le silence face au sort des humains sans destin que nous sommes appelés à être en ce pays qui censure l'expression des mots les plus simples et les plus vrais comme "menteur" dans son propre parlement.
Parlant de mots, je me rappelle et je comprends mieux de jours en jours ceux aussi dérangeants à leur époque que prophétiques de Péloquin :
"VOUS ÊTES PAS TANNÉS DE MOURIR BANDE DE CAVES"
qui devraient immédiatement remplacer le mensonge qui apparaît sur les plaques minéralogiques du Québec. Il n'y a d'autre solution : se laisser mourir ou arrêter de mourir. Être ou ne pas être.
La déliquescence de nos institutions se manifeste aussi dans l'importance acquise par ceux qui profitent le plus discrètement possible (sauf quand ils s'attribuent médailles et titres des mains de leurs propres pantins) et avec avidité l'échiquier économique de notre province et du Canada sans parler d'une partie de l'Europe qu'ils colonisent aussi sans avoir jamais été élus. Regardez leur image familiale : ils ont le regard vain et transylvanique des Ceausescau de Roumanie que l'on retrouve aussi chez les valets politiques ou militaire qu'ils dirigent, le même sourire vide que celui des Moubarak d'Égypte, des Ben Ali de Tunisie et des Kadafi de Libye. Ils sont le produits de notre abandon et de notre asservissement qui s'entête à lire un quotidien dont l'espace de liberté diminue à l'instar de son format comme peau de chagrin. Comparez les formats et les contenus journalistiques des journaux d'aujourd'hui à ceux d'hier. Comparez l'information formatée des téléjournaux à ceux d'autrefois. Comparez les bulletins de nouvelle de TV5 à ceux de Radio-Canada.
Des générations arrivent qui n'auront pas lu les journaux libres d'hier, connu la télévision qui informait et éduquait, n'auront lu ni Ferron ni Voltaire, des générations qui ne sauront même plus que nous sommes les descendants d'une civilisation millénaire qui a inventé la philosophie, l'agriculture, l'architecture, l'urbanité, la littérature, le romantisme, le courage, l'indignation, la musique, la sculpture et la peinture qui ne sauront pas la beauté de ce pays il y a un siècle passé et surtout qui ne connaîtront pas le concept de liberté qui a changé le monde et le droit de dire NON comme le font le million d'Égyptiens qui risquent à tout moment d'être écrasés d'un côté par l'Armée ou de l'autre les Frères Musulmans.
Les espaces de liberté dans l'histoire d'une civilisation et d'un peuple sont rares, précieux, frêles et provisoires. Ils ne sont arrachés au temps que par les efforts des humains passionnés qui préfèrent la liberté à la déliquescence de leur être individuel et collectif. Il faut le reconnaître : la révolution tranquille menée par l'équipe de Jean Lesage, le RIN des années 1960, l'appel de Charles de Gaulle, le PQ des années 1970 puis celui de Parizeau en furent de remarquables. Les rendez-vous ont été manqués parce que nous n'avons pas eu le courage d'aller jusqu'au bout et de risquer. Parce que nous nous sommes laissé charmer, séduire, détourner, amuser et divertir de façon récurrente par des roitelets et leurs valets opportunistes et sans envergure qui ont pris le pouvoir en nous laissant nous reposer. Tout est encore à faire parce que nous n'avons pas d'autre choix que la liberté ou la déliquescence qui est pire que la mort. La déliquescence n'est plus une idée abstraite, on n'a plus qu'à décrire le fonctionnement de nos institutions et de nos pratiques pour l'exposer. Examinez seulement à qui vous distribuez les revenus de vos salaires ou de vos rentes. C'est là que se dirige l'argent. Il importe de montrer qu'une autre vie collective est possible. En ce sens Vigile est un laboratoire qui permet l'expression et le partage de ces observations et qui rapproche les personnes. Mais la déliquescence est engagée que restera-t-il à libérer si nous ne comprenons pas l'urgence d'agir ? Que les Québécois se libèrent l'un après l'autre et alors, le Québec sera libre !


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2 commentaires

  • Henri Marineau Répondre

    24 novembre 2011

    Vous dites:
    "Les rendez-vous ont été manqués parce que nous n’avons pas eu le courage d’aller jusqu’au bout et de risquer. Parce que nous nous sommes laissé charmer, séduire, détourner, amuser et divertir de façon récurrente par des roitelets et leurs valets opportunistes et sans envergure qui ont pris le pouvoir en nous laissant nous reposer."
    Et j'ajouterais...parce que nous nous sommes "naïvement laissé berner" par ces roitelets qui ont pris le pouvoir en nous "berçant d'illusions".
    Je crois que nous, les Québécois, nous sommes extrêmement sensibles à notre "petit confort" et que nous apprécions les "douces sérénades" qui nous bercent avant de nous endormir!
    Le danger, c'est qu'une nuit, nous soyons réveillés brutalement par le "tonnerre" de la déliquescence!
    Et là, ça risque de provoquer un réveil brutal!

  • Archives de Vigile Répondre

    24 novembre 2011

    Monsieur McNichols Tétreault
    J'ai bien apprécié votre texte qui expose très clairement la situation au Québec. Je ne suis plus capable de tolérer cette descente aux enfers que nous vivons présentement. Quelque chose doit se passer afin de nous en sortir sinon c'est la fin du Québec tel que nous l'avons connu. Le grand vide collectif que nous ressentons, présentement, est causé, selon moi, au fait que le PQ qui devait nous amener à l'indépendance (hic!) a bifurqué de son idéal (?) pour maintenir une gouvernance souverainiste et provincialiste qui est une forme de statu quo devenu limitatif et inacceptable pour les plus progressistes de notre société.
    André Gignac 24/11/11