Mémoire de L'Action nationale

Immigration pour un Québec français plus fort

La planification de l'immigration pour la période 2020-2022

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La réforme de l'immigration vue par L'Action nationale

Mémoire soumis à la Commission sur les relations avec les citoyens par la Ligue d’Action nationale et la revue L’Action nationale


SYNTHÈSE


Nous mettons en lumière dans ce mémoire le caractère très limité des pouvoirs du Québec dans les domaines de l’immigration et de l’intégration, soulignant les contraintes tant juridiques que politiques liées au statut du Québec comme province au sein du Canada. Ces contraintes font en sorte que l’orientation touchant la fourchette d’immigration globale demeure arbitraire, plutôt que d’être basée sur des observations objectives tenant compte des contextes linguistique, socioculturel, démographique et économique du Québec moderne. L’absence de balises et d’indicateurs de résultats pour mesurer la réussite de l’ensemble des orientations est soulignée et déplorée. En particulier, nous trouvons décevante l’orientation concernant les moyens d’assurer une immigration francophone, notamment parce qu’elle ne fixe aucun objectif quant au nombre ou à la proportion des admissions des personnes connaissant le français. C’est pourtant la sélection avant l’entrée au pays et non la francisation des adultes après l’arrivée qui est garant d’une population immigrante qui participera à la vie publique en français. L’accent mis sur l’immigration temporaire est remis en question pour plusieurs raisons. Il n’y a jamais eu un débat public au Québec sur la pertinence de ce virage et ses conséquences à long terme pour l’avenir du français, sur les impacts pour les personnes peu scolarisées et à bas salaire et sur la démographie du Québec. Une nouvelle forme de gouvernance est proposée pour l’élaboration des orientations pluriannuelles relatives aux seuils et à la composition d’immigration, une option qui donnerait tout son potentiel si le Québec contrôlait l’ensemble des leviers de gestion de l’immigration et d’intégration. Enfin, nous concluons que le Québec, comme province, n’a pas les outils nécessaires pour définir et conduire une politique d’immigration cohérente et efficace.


I. INTRODUCTION


L’immigration est un enjeu critique dans le contexte moderne de la mondialisation. Elle devient d’ailleurs de plus en plus critique compte tenu des migrations mondiales croissantes constatées au cours les dernières décennies. La bonne gestion de ce phénomène est essentielle pour assurer non seulement le bien-être des personnes qui se déplacent, mais l’intégrité et la cohésion sociale des sociétés qui les accueillent. L’accueil – sa nature et son ampleur – n’est pas une idéologie. Il doit être un choix éclairé, une réponse à des enjeux clairement posés. Il est un choix que chaque société libre doit faire en fonction de ses particularités, afin justement d’assurer le meilleur résultat pour la personne immigrante et les communautés qui les reçoivent. Il est donc normal que le Québec, avec son évolution culturelle, linguistique et socio-économique unique aspire à contrôler la gestion intégrale de cet enjeu incontournable. Les efforts du gouvernement du Québec pour augmenter ses leviers de contrôle dans le domaine datent de presque 50 ans, avec la première entente avec le gouvernement canadien signée en 1971.


Nous proposons dans ce mémoire une analyse des réels pouvoirs du Québec en immigration. Est-ce que le Québec est en mesure de faire ce choix éclairé qui est propre à chaque société libre ? À partir de cette analyse, nous commenterons les orientations proposées dans le cahier de consultation et leurs limites, notamment l’orientation touchant la fourchette d’immigration globale proposée. Nous toucherons l’absence de balises et d’indicateurs de résultats pour mesurer la réussite de ces orientations. Nous aborderons également brièvement la question de l’immigration temporaire. Une nouvelle forme de gouvernance sera suggérée pour l’établissement des orientations concernant les seuils et la composition d’immigration, une option qui prendrait tout son potentiel si le Québec contrôlait l’ensemble des leviers de gestion de l’immigration et d’intégration. Enfin, nous exposerons notre conclusion selon laquelle le Québec, comme province, n’a pas les outils nécessaires pour définir et conduire une politique d’immigration cohérente et efficace.


II. POUVOIRS LIMITÉS EN MATIÈRE D’IMMIGRATION


Plusieurs facteurs concourent à donner l’impression à la population du Québec que son gouvernement contrôle l’action gouvernementale dans le domaine de l’immigration. Par exemple, l’Accord Canada-Québec, le droit constitutionnel des provinces de légiférer dans le domaine de l’immigration et même l’exercice régulier auquel nous nous prêtons aujourd’hui de planification pluriannuelle des seuils d’immigration. Pourtant, le réel pouvoir d’une province dans le domaine est minime.


Les migrations des personnes se font sur le plan mondial et sont influencées par les décisions qui se prennent au niveau international. Les accords commerciaux qui incluent des provisions pour la libre circulation des personnes des pays concernés, les ententes sur les changements climatiques, sur les migrations, sur les réfugiés, sur l’aide au développement international, sur les conflits et sur le commerce des armes ont chacun leur part d’influence sur le nombre de personnes qui se déplacent. Ces ententes, conventions et accords sont négociés par les États-nations. Le Québec n’y participe pas directement.


Ce sont les États-nations qui contrôlent leurs frontières, soit les conditions d’entrée, les conditions d’expulsion, la durée du permis de séjour ou du visa et les caractéristiques des types d’immigration (économique, familial, humanitaire). Quant à l’intégration, le gouvernement canadien contrôle plusieurs leviers qui chevauchent et parfois contredisent les activités et formations mises en place par le Québec, c’est-à-dire la politique de deux langues officielles, la politique de multiculturalisme – le plus puissant levier – l’octroi de la citoyenneté, incluant les conditions et le contenu des connaissances exigées des valeurs, de l’histoire et du système politique du Canada.


 Les lois et pratiques du Canada ont préséance sur les lois du Québec et diminuent l’étendue de ces dernières en matière d’immigration. Les objectifs que le Québec se donne sont forcément colorés par cette situation de subjugation.


III. CONTRAINTES MENANT À UN SEUIL ARBITRAIRE D’ADMISSIONS


Comme nous l’avons signalé dès le départ, l’accueil des personnes étrangères sur notre territoire, en particulier le nombre à accueillir annuellement, devrait être un choix éclairé basé sur une analyse neutre des enjeux bien identifiés de la société et de l’administration. Pourtant, l’Accord Canada-Québec et le contexte canadien lient considérablement les mains du gouvernement du Québec dans l’exercice de détermination des niveaux à privilégier.


L’article 7 de l’Accord Canada-Québec stipule que «le Québec s’engage à poursuivre une politique d’immigration dont l’objectif est de lui permettre de recevoir un pourcentage du total des immigrants reçus au Canada égal au pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada.» Selon l’article 5, le Canada prend en considération dans sa planification le nombre que le Québec veut recevoir. De plus, l’article 8 précise que « le Québec s’engage à accueillir un pourcentage du nombre total de réfugiés et de personnes en situation semblable accueillis par le Canada au moins égal à son pourcentage da la population canadienne.»


Quant à la catégorie de la réunification familiale, selon l’article 14 de l’Accord Canada-Québec, «le Canada établit seul les critères de sélection pour les immigrants appartenant à la catégorie de la famille». Le rôle du Québec se résume à une vérification de l’engagement du parrain. Le cahier de consultation mentionne que le gouvernement veut «rapatrier» la compétence en matière de réunification familiale, sans spécifier pourquoi. Pour ce faire, il faudrait rouvrir un accord très avantageux financièrement pour le Québec et mettre en place un important mécanisme bureaucratique et informatique pour recevoir et traiter les demandes. Si nous présumons que le gouvernement canadien est ouvert à l’idée, les ressources et le temps requis pour l’application de cette initiative ne sont pas estimés. Il faudrait des raisons précises pour entreprendre une telle démarche comme gouvernement provincial. Est-ce surtout pour pouvoir contrôler le nombre de personnes accueillies dans cette catégorie? Est-ce que le gouvernement appliquerait des conditions différentes de celles appliquées par le Canada actuellement? Bref, la problématique justifiant une telle initiative n’est pas présentée. Si nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée que le Québec contrôle l’ensemble des volets normaux d’une politique d’immigration, nous considérons que, comme province, il faut faire la démonstration que nous sortirions gagnants d’un tel projet.


Pour ce qu’il concerne de la catégorie humanitaire, le Canada définit le «réfugié » et le nombre de ces personnes qu’il accueillera selon ses obligations internationales négociées selon la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. Comme mentionné, le Québec ne participe pas aux tables internationales qui adoptent ces conventions et obligations. Pour les personnes de l’étranger qui réclament un statut de réfugié une fois sur le sol canadien, communément appelées les demandeurs d’asile, l’article 20 de l’Accord est très clair: « dans le cas où le droit d’établissement est attribué à une personne qui est reconnue comme réfugiée alors qu’elle se trouve déjà au Québec, le consentement du Québec n’est pas requis».


Le Québec fait donc face à beaucoup de contraintes dans sa détermination d’objectifs globaux d’immigration. Ce sont des enjeux qui rendent presque impossible une analyse profonde et neutre du contexte socio-économique québécois à court et à moyen terme. Nous comprenons donc la conclusion du Ministère selon laquelle l’immigration économique est le principal moyen pour planifier le nombre global et pour influencer les caractéristiques des admissions. Pourtant, le pourcentage de personnes admises dans cette catégorie (Orientation 2) 6 sera ultimement déterminé par le nombre de personnes admises par le gouvernement canadien dans les catégories familiales et humanitaires.


Un autre enjeu majeur n’est pas abordé par le cahier de consultation. Il s’agit du poids de la population du Québec au sein du Canada. Ce poids est à la baisse depuis plusieurs années, étant passé de 27 % en 1976 à moins de 23 % en 2018. Une des explications de cette baisse est le fait que le Québec a toujours accueilli un seuil d’immigration de 2 à 6 points de pourcentage inférieur à sa part de la population. La décision du gouvernement du Québec de baisser le nombre total de personnes immigrantes à 40 000 en 2019 fera en sorte que la part du Québec dans l’immigration canadienne cette année se situera autour des 12 %.


Nous constatons déjà les conséquences de cette tendance dans la diminution de la proportion de sièges du Québec au parlement canadien, réduisant d’autant l’influence politique du Québec au sein du pays. La part de la population du Québec au sein du Canada influe également sur le calcul de certains transferts canadiens vers le Québec. Cette baisse affecte aussi le poids général des francophones dans la population canadienne, déjà gravement touché par le taux d’assimilation des francophones hors Québec.


Avec les ambitions d’augmentation des niveaux d’immigration canadiens quasi exponentielles du gouvernement fédéral actuel, la situation ne peut que s’aggraver. La seule porte de sortie sûre pour contrer cette situation est l’indépendance du Québec. Dans ces circonstances, l’objectif de l’Orientation 1 proposé par le gouvernement d’augmenter progressivement le nombre de personnes immigrantes admises au cours de la période pour atteindre 49500 à 52500 personnes en 2022 ne peut donc qu’apparaître fort arbitraire.Avec un objectif de base arbitraire, il n’est peut-être pas surprenant que les autres orientations demeurent vagues quant aux cibles à viser.


IV. ORIENTATIONS NON DOCUMENTÉES ET SANS CIBLES


Évidemment, pour établir des cibles, il faut documenter l’état de la situation actuelle pour avoir des repères qui permettent de mesurer le progrès. Malgré un recueil impressionnant de 82 pages de statistiques, on ne fait aucun lien entre ces données et les orientations proposées. Le cahier de consultation présente quelques enjeux, mais le portrait n’est pas toujours complet. Par exemple, on y trouve des données sur le taux de surqualification et le taux de chômage uniquement pour les personnes immigrantes arrivées depuis cinq ans ou moins. Pourtant, il est bien connu que ces résultats s’amenuisent avec le temps. De multiples tableaux sont fournis dans le recueil de statistiques sur les contextes international, canadien, démographique et socioéconomique, mais rien sur le contexte linguistique au Québec ou sur le fait que le gouvernement canadien a comme objectif stratégique d’augmenter le nombre de personnes immigrantes francophones dans les communautés francophones des autres provinces, en concurrence directe avec les orientations du Québec. Les documents sont muets sur les enjeux administratifs, informatiques et budgétaires qui pourraient influencer l’atteinte des objectifs.


Le ministère met beaucoup d’accent sur une immigration économique qu’il souhaite voir combler les besoins en matière de pénurie de main-d’œuvre, mais sans fournir des indicateurs ciblés qui permettraient d’en faire la démonstration. On semble convaincu que de prioriser l’obtention d’un statut permanent pour les personnes à statut temporaire contribuera à cet effort. Pourtant, dans son rapport du printemps 2017 sur le Programme de travailleurs étrangers temporaires, le Vérificateur général du Canada a constaté que le ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada «n’avait pas mesuré les résultats ni l’incidence du Programme. Il ignorait donc ses effets sur le marché du travail canadien.» Nous reviendrons plus tard sur l’orientation touchant l’immigration temporaire, mais nous trouvons, comme le Vérificateur général du Canada, qu’il est très important de bien documenter une problématique pour pouvoir déterminer si les solutions mises en place seront efficaces. 7 Trois fois plutôt qu’une dans les années récentes, dans son rapport de 2010 sur la sélection et dans ceux de 2017 sur les programmes d’intégration et de francisation, le Vérificateur général du Québec a rappelé le gouvernement à l’ordre sur la question des indicateurs de résultats.


Il est désolant de constater que, outre la fourchette de seuil total (Orientation 1), le pourcentage des admissions découlant de la catégorie économique (Orientation 2, une proportion de personnes admises dans la catégorie de l’immigration économique de l’ordre de 65 %) et les projections d’admissions de personnes réfugiées (dans le tableau 2 sur les admissions projetées), aucune des orientations ne présente un indicateur avec cible qui permettra de mesurer les résultats dans trois ans.


L’Orientation 4 propose la sélection des personnes avec une formation en demande et une offre d’emploi validé sans préciser d’objectif. Le cahier de consultation ne fait pas référence au fait qu’une proportion de 80,1 % des personnes immigrantes sélectionnées en 2018 dans la sous-catégorie Travailleurs qualifiés détenaient une formation en demande au Québec. Le nouveau système permettra-t-il de dépasser ce résultat ? Combien sont sélectionnés annuellement avec un emploi validé ?


L’Orientation 5 prévoit l’arrivée plus rapide des personnes de la catégorie économique. Pourtant, tout comme pour les objectifs de niveau, le rôle du gouvernement canadien rend téméraire un tel objectif. Même si le processus de traitement des demandes devenait plus rapide grâce à la technologie du système de déclaration d’intérêt et à un taux de rejet réduit, le Québec ne contrôle pas le temps que peut prendre le gouvernement du Canada pour délivrer un visa de résidence permanente ni le temps que prendra la personne immigrante pour préparer ses déménagements et déplacements. De plus, il faudra préciser qu’il s’agit ici des personnes qui font leur demande à partir de l’étranger. Or ces dernières années, compte tenu de la gestion de la demande, la sélection a été faite presque exclusivement à partir des personnes déjà au Québec. Nul besoin donc d’accélérer leur arrivée.


L’Orientation 6 déborde d’objectifs, «augmenter le nombre (de travailleurs étrangers temporaires), diminuer les délais avant leur arrivée, faciliter les démarches, répondre aux besoins de main-d’œuvre à court terme». Malheureusement aucun de ces objectifs n’est documenté ou ciblé. Voilà qui est peut-être normal parce qu’encore une fois, on parle ici d’un programme qui relève du gouvernement canadien. Nous constatons que le gouvernement du Québec «souhaite accroître ses responsabilités dans la gestion du Programme des travailleurs étrangers temporaires, afin d’en assouplir les règles et d’accélérer la venue des travailleurs». (page 6) Permettez-nous de douter de l’intérêt du gouvernement canadien de permettre au Québec d’établir des conditions pour les travailleurs temporaires différentes de celles qui s’appliquent au reste du pays. Nous reviendrons sur cette question dans la prochaine section.


L’Orientation 7 vise la sélection des personnes immigrantes ayant une connaissance des valeurs communes. Elle fait ensuite référence à des services déjà en place post-sélection pour bien expliquer les valeurs québécoises. Elle ne mentionne pas le fait que, dans un dossier de demande d’immigration, que ce soit dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) ou le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), chaque adulte doit signer une déclaration sur les valeurs communes du Québec. Cette déclaration inclut notamment les principes de la démocratie, de la règle du droit, de l’égalité des femmes et des hommes, de la séparation de la religion et de l’État, ainsi que de la place du français. L’engagement signé à la fin de la déclaration se lit comme suit: «Comprenant la portée et la signification de ce qui précède et acceptant de respecter les valeurs communes de la société́ québécoise, je déclare vouloir vivre au Québec dans le cadre et le respect de ses valeurs communes et vouloir apprendre le français, si je ne le parle pas déjà̀.» Ce geste fait partie de toute demande de Certificat de sélection du Québec. Même pas besoin de cible ici, 100 % s’engagent déjà avant même d’être sélectionnés!


 Cette orientation manque de cohérence avec le projet annoncé du gouvernement de renvoyer les personnes qui, trois ans plus tard, ne réussiront pas un « test des valeurs». Une telle initiative exigera l’assentiment du gouvernement du Canada. La question se pose à savoir si cette politique s’appliquerait à toutes les catégories d’immigration. Est-il possible d’imaginer expulser après trois ans une personne arrivée en catastrophe comme réfugiée ou une personne qui a attendu deux ou trois ans pour joindre sa famille au Québec, parce qu’elle ne réussit pas un « test des valeurs»?


Clairement, toute cette préoccupation sur la connaissance et l’adhésion aux valeurs québécoises serait caduque si le Québec contrôlait l’octroi de la citoyenneté sur son territoire. Ce serait dans un processus de naturalisation que la personne immigrante (toutes catégories confondues) apprendrait l’histoire du Québec, son système politique et ses valeurs et réussirait un test pour obtenir sa citoyenneté. La réussite d’un test de français serait également nécessaire pour devenir citoyen du Québec. Il n’y aurait plus de confusion sur la langue officielle.


Il est décevant de voir la langue française reléguée au huitième rang sur les dix orientations. Ne pas fixer des cibles pour cette orientation  est le plus important recul dans toute cette planification.


Dans le passé, le gouvernement a toujours établi un objectif pour la proportion de personnes admises qui déclarent connaître le français. Jusqu’à la dernière période de planification, où le gouvernement a précisé que l’objectif s’appliquerait aux requérants principaux des travailleurs qualifiés, l’objectif s’appliquait à l’ensemble des admissions. On induit donc la population en erreur en suggérant que l’orientation présentée cette année est plus significative parce qu’elle couvre l’ensemble des personnes immigrantes. Cela n’augure rien de bon si le gouvernement ne s’engage pas à ce qu’au moins 50 % des admissions déclareront une connaissance du français, comme dans le passé. En fait, le ministère ne mentionne même pas le volet « sélection» en matière de langue, mais met plutôt tous ses œufs dans le panier de la francisation des adultes. Il s’agit d’une position téméraire puisqu’il a été démontré que pour la majorité des immigrants, le transfert vers le français se fait avant leur arrivée au Québec. C’est donc par la sélection que le Québec obtient des gains en personnes immigrantes francophones et non par les cours de francisation au Québec, surtout chez les adultes.


L’idée d’ouvrir l’offre de service gouvernementale aux personnes en séjour temporaire suscite beaucoup de questions. Allons-nous payer pour apprendre le français des personnes qui n’ont pas encore manifesté le moindre intérêt à rester au Québec ? Sans un objectif chiffré, comment peut-on être assuré qu’on ne jette pas l’argent des contribuables par la fenêtre ? Nous trouvons ironique de vouloir payer pour franciser les adultes en séjour temporaire sans avoir modifié la Charte de la langue française pour rendre obligatoire l’inscription de leurs enfants aux écoles françaises.


Ici encore, on ne dispose pas de repères pour pouvoir mesurer les résultats potentiels des initiatives en francisation. Pourtant, le Vérificateur général du Québec a proposé des indicateurs de résultats qu’il serait important de suivre (par exemple, la proportion des personnes immigrantes ayant besoin des cours de francisation et qui s’inscrivent). Sera-t-il possible de suivre ces indicateurs maintenant que le ministère a ouvert son offre de service à toutes les personnes immigrantes au Québec ainsi qu’aux personnes en séjour temporaire ? L’utilisation d’indicateurs tels le taux de réussite et le taux d’abandon était également envisagée. La planification présentée ne définit aucune cible pour ces indicateurs de base. Ne serait-il pas une meilleure utilisation des fonds publics de cibler l’action là où elle sera la plus avantageuse tant pour la société d’accueil que pour les personnes immigrantes qui cherchent une meilleure place dans le marché du travail ?


Parlant du marché du travail, le cahier de consultation ne fait aucune mention de la francisation en milieu de travail. C’est l’obligation de travailler qui freine souvent les efforts de francisation des personnes immigrantes. Les entreprises voulant tellement embaucher les personnes immigrantes qu’elles favorisent la baisse des exigences de scolarité et de compétences en français s’engagent-elles à contribuer à la francisation de ces travailleuses et travailleurs étrangers dans le milieu de travail ? Même si la francisation en milieu de travail n’est plus la responsabilité du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’inclusion, il y aurait lieu de mentionner, dans un tel contexte de consultation, les efforts gouvernementaux à cet égard.


Viser une immigration jeune (Orientation 9) est logique, non seulement dans une perspective économique, mais également pour une immigration durable. Dans la grille de sélection, les points sont accordés pour les personnes demandant un CSQ qui seront accompagnées de leurs enfants surtout parce qu’une fois installées, les familles ont tendance à rester. En 2017, 65,6 % des admissions au Québec étaient âgées de 35 ans ou moins. Malheureusement, l’orientation ne définit plus un seuil d’âge et on ne fixe pas de cible. Il faudrait également considérer que l’âge n’est pas une condition d’admissibilité au Programme de l’expérience québécoise (PEQ) qui a fourni la majorité des personnes sélectionnées ces dernières années. Y a-t-il eu des études pour déterminer l’influence de la sélection par voie du PEQ sur l’âge des personnes admises ? La réponse pourrait influencer l’atteinte des objectifs liés à cette orientation.


Quant à l’immigration humanitaire (Orientation 10), une autre responsabilité relevant du gouvernement canadien, l’indice de cible se trouve dans le Tableau 2 sur les admissions projetées. On remarque que le Québec prévoit un maximum de 7500 personnes par année. Encore une fois, à moins d’une négociation réussie avec le Canada, cette projection sera sûrement dépassée. L’Accord Canada-Québec oblige le Québec à prendre sa part de l’immigration humanitaire canadienne. Selon la planification canadienne, la part québécoise s’élèvera à 11 000 réfugiés. Le gouvernement canadien est libre d’admettre ce nombre au Québec, ce qui rendra difficile l’atteinte de l’orientation 2 de 65 % des admissions dans la catégorie économique.


V. IMMIGRATION TEMPORAIRE: UN CHOIX À DÉBATTRE


L’Orientation 3 visant à sélectionner des personnes en séjour temporaire ne représente pas une approche nouvelle. Mais ici aussi, les orientations antérieures du ministère proposaient des objectifs ciblés qui ne se trouvent plus dans le cahier de consultation cette année.


S’il serait tentant de présumer que l’intégration de ces personnes est plus facile parce que déjà amorcée, l’orientation mérite une attention particulière dans le contexte du Québec. Il est même incongru de trouver tant d’accent sur l’immigration temporaire dans un texte sur la planification pluriannuelle, et cela pour deux raisons. L’immigration temporaire ne peut être planifiée. Elle est totalement dépendante des offres d’emploi des entreprises et des personnes à l’étranger qui répondent à ces offres. En fait, compte tenu de la gestion de la demande des dernières années, la sélection s’est concentrée presque exclusivement sur cette clientèle.


Encore une fois, c’est le gouvernement canadien qui gère les programmes d’immigration temporaire. Le gouvernement du Québec a très peu de moyens ou d’outils pour influencer le flux d’immigration temporaire. Le gouvernement veut récupérer plus de contrôle sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), mais même dans un scénario improbable de négociations positives avec le gouvernement canadien, il serait peu probable que les nouveaux dispositifs administratifs, réglementaires et informatiques du 10 gouvernement du Québec soient en place pour la période 2020-2022. On s’entend que le PTET est le programme d’immigration temporaire qui compte le plus petit nombre de personnes. Le Programme de mobilité internationale et les étudiants étrangers sont des programmes beaucoup plus importants en termes de nombre.


Le cahier de consultation mentionne le volet «étudiants étrangers» du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), mais selon les nouvelles récentes, le ministère a suspendu ce volet. Cette décision est surprenante pour plusieurs raisons. Le nombre de personnes en séjour pour études a augmenté significativement au cours des deux ou trois dernières années. L’immigration jeune est généralement plus durable, les jeunes personnes assimilent plus le français que les personnes plus âgées et un diplôme du Québec enlève tout obstacle de reconnaissance des acquis auquel certaines personnes immigrantes font face. Nous considérons qu’il serait pertinent de maintenir ce volet du PEQ au moins pour les personnes diplômées des établissements d’études supérieures de langue française, quitte à mettre en place une initiative pour soutenir leur insertion en emploi. Ou le gouvernement se prépare-t-il à ajouter les exigences de travail au Québec aux personnes diplômées au Québec imitant ainsi la Catégorie d’expérience canadienne?


Outre les enjeux administratifs et juridiques, il serait important d’examiner les conséquences et la pertinence du virage vers la «permanentisation» des temporaires au Québec. Le cahier de consultation cite deux sources pour justifier cette approche, mais n’évoque pas l’ensemble des constats de ces sources.


La première étude, une enquête d’Emploi-Québec, affirme effectivement qu’un séjour antérieur au Québec est un atout pour l’intégration socio-économique, mais le constat réel de l’enquête est que «Les seuls critères de sélection qui ont un effet systématiquement positif sur la rapidité́ d’insertion en emploi sont les séjours antérieurs au Québec et la connaissance de l’anglais .»! 


Il n’est pas surprenant que l’anglais soit un atout quand les enquêtes de l’Office québécois de la langue française sur les exigences linguistiques des entreprises révèlent que 73 % des entreprises privées cherchent des personnes qui ont des compétences en anglais. Pourtant, et heureusement, il n’y a pas d’orientation pour augmenter les points pour la connaissance de l’anglais. De la deuxième étude citée, le cahier de consultations retient le constat que «Les résidents temporaires qui détenaient des permis de travail pour des emplois spécialisés et qui ont obtenu le droit d’établissement obtenaient des gains initiaux beaucoup plus élevés en comparaison des immigrants qui n’avaient aucune expérience antérieure acquise au Canada. Cet écart de gains se rétrécit au cours des 10 premières années, mais ne disparaît pas». Pourtant la même étude poursuit: «En comparaison, les résidents temporaires qui détenaient des permis de travail pour des emplois non spécialisés et qui avaient obtenu le droit d’établissement obtenaient des gains initiaux beaucoup moins élevés et une croissance plus lente des gains en comparaison des immigrants qui n’avaient aucune expérience de travail antérieure acquise au Canada .» 


Rappelons que les employeurs veulent justement baisser les critères de scolarité pour les travailleurs temporaires. «Les deux tiers de nos postes vacants requièrent un secondaire 5 ou moins, détaille Véronique Proulx, présidente de Manufacturiers et exportateurs du Québec. On n’a pas besoin uniquement d’ingénieurs, mais de commis, de journaliers .» 


Le Globe and Mail a récemment publié les résultats d’une enquête sur le programme de travailleurs étrangers. La conclusion: «the temporary-foreign-worker system is […] very much prone to abuses. It still seems to be almost designed for the exploitation of vulnerable, low-wage migrants5 .» Le programme semble presque fait sur mesure pour exploiter les migrants vulnérables à bas salaire. L’éditorial du Globe souligne que le programme nuit même aux Canadiennes et Canadiens les plus vulnérables.


Il peut être justifié dans certaines circonstances limitées (secteurs de la haute technologie ou de l’agriculture) pour des emplois à durée déterminée, mais embaucher les personnes désespérées de l’étranger à bas salaire dans le secteur des services a pour effet de baisser les salaires et les conditions de travail pour tout le monde. Il ne faut pas non plus oublier que ces personnes qui occupent un emploi essentiellement permanent avec un permis de séjour temporaire vivent dans la précarité, à la merci d’employeurs et de la bureaucratie canadienne pour le renouvellement de leur permis. Elles seront les premières mises à la porte en cas de ralentissement économique et seront difficiles à reclasser.


Ce virage vers l’immigration temporaire est d’autant plus surprenant venant d’un gouvernement qui visent la création d’emplois bien payants. Le premier ministre est allé jusqu’à laisser entendre que les postes manufacturiers peu payants pouvaient convenir à d’autres pays, mais que ce n’était pas ce qu’il voulait encourager ici. Pourtant le gouvernement propose un niveau de dépendance à l’immigration temporaire rarement vu au Québec.


Que ce soit pour des raisons linguistiques ou économiques, l’immigration temporaire à grande échelle n’est pas un choix qui augure bien pour l’avenir du Québec, même si le gouvernement obtenait plus de contrôle en la matière.


VI. GOUVERNANCE DEPOLITISÉE, BASÉE SUR UN CONSENSUS SOCIAL


La question du nombre de personnes devant être accueillies au Québec est devenue de plus en plus délicate et parfois source de divisions. De la désinformation sur « la menace» que constitue « l’immigration massive » circule librement sur les réseaux sociaux. Il devient donc plus important que jamais de dépolitiser le plus possible la décision quant aux niveaux et la composition de l’immigration qui conviennent au Québec et de chercher le plus grand consensus possible sur la question. Cette voie est la plus indiquée pour atteindre l’objectif louable du ministre «de faire du Québec une société encore plus attrayante et accueillante pour les personnes immigrantes ».


Nous avons rappelé à plusieurs reprises l’importance de bien définir nos objectifs et de la capacité de mesurer les résultats. Une telle transparence est essentielle pour acquérir la confiance des Québécoises et Québécois à l’égard des décisions prises. Il n’y a pas de honte à la non-atteinte d’un objectif, si on apprend des résultats et ajuste ses actions pour trouver une solution. La confiance est rehaussée également si le processus pour arriver à la définition des objectifs est ouvert et participatif.


Ce n’est pas une mince affaire que de trouver les réponses à des questions sur la façon de mesurer objectivement si les personnes immigrantes sont bien intégrées, combien de temps leur est nécessaire pour apprendre le français, quels sont les signes dans les prévisions économiques qui indiquent que dans un ou deux ans le Québec aura besoin d’un certain nombre de nouvelles personnes avec un certain type de formation, etc. Il faudrait retenir une série d’indicateurs dont plusieurs sont déjà mesurés dans les documents préparés pour cette consultation. Des milliers d’études existent sur le sujet reproduisant des réflexions des universitaires et des gouvernements de partout dans le monde. Des organisations internationales de l’Union européenne se sont penchées sur les indicateurs d’intégration touchant une multitude d’indicateurs économiques, sociaux, linguistiques et culturels.


Une fois qu’il y a un consensus sur les quelques indicateurs qui sont pertinents pour le Québec, il est critique que la collecte, l’analyse et la présentation des informations et des données soient neutres et sans reproche, distancées de l’influence politique. L’Institut de la statistique du Québec serait l’instance toute désignée pour produire à une fréquence prédéterminée des rapports mesurant les résultats. À partir de ces rapports, fournis à cette commission parlementaire, les décisions éclairées pourraient se prendre sur les niveaux opportuns d’immigration. Évidemment il serait difficile, sinon impossible de mettre en œuvre une telle façon de faire tant que le Québec subit les contraintes, les pressions et les obligations liées à sa place dans la fédération canadienne.


VII. SOLUTION INCONTOURNABLE: UN QUÉBEC SOUVERAIN


En conclusion, nous saluons le fait que le gouvernement se rende compte qu’il manque plusieurs outils et moyens pour mettre en application tous les changements qu’il voudrait apporter en matière d’immigration. Il souhaite plus de pouvoirs sur les programmes de réunification familiale et d’immigration temporaire. Mais il sous-estime l’ampleur des autres défis qui découlent de notre statut de province. Nous n’avons même pas abordé le fait que le Québec est hautement dépendant du gouvernement canadien en ce qui a trait aux données d’immigration, et que le recensement et les statistiques sont une juridiction fédérale exclusive.


Le Québec doit être aux tables internationales où se discutent les facteurs qui influencent les migrations mondiales et où se négocient les engagements humanitaires. Il doit contrôler ses frontières. Il doit pouvoir gérer l’immigration sur son territoire sans la pression du maintien de son poids au sein de la population canadienne. Il doit pouvoir baser plutôt ses politiques sur les conditions objectives et claires déterminées par la société québécoise. Il doit établir les critères de citoyenneté qui lui sont propres et qui éliminent la confusion créée par les politiques de deux langues officielles et de multiculturalisme. Il doit être un pays indépendant.


VIII. RECOMMANDATIONS


À la lumière de cette analyse et tenant compte des pouvoirs limités du gouvernement du Québec, la Ligue d’Action nationale et la revue Action nationale recommande :


1. qu’une connaissance de niveau intermédiaire du français, la langue officielle du Québec, soit une condition obligatoire pour obtenir une Certification de sélection du Québec dans la sous-catégorie des travailleurs qualifiés;


2. que la Charte de la langue française soit modifiée pour retirer le séjour temporaire de l’élève au Québec des dispositions justifiant l’admission à l’école anglaise ;


3. que la Loi sur l’immigration du Québec soit modifiée en vue d’obliger le gouvernement à associer les objectifs documentés et ciblés aux orientations pluriannuelles déposées pour consultation en commission parlementaire ;


4. que les résultats de ces objectifs soient présentés et débattus annuellement en commission parlementaire ;


5. que le gouvernement entreprenne les démarches nécessaires pour obtenir l’ensemble des pouvoirs requis pour élaborer et mettre en application une politique d’immigration intégrale et cohérente qui permettra à la fois de « bien répondre aux besoins du Québec et de préparer des milieux d’accueil favorables, qui facilitent l’intégration rapide et réussie des personnes immigrantes à la société québécoise».