Elles sont arrivées à Hérouxville le voile sur la tête et le drapeau du Québec à la main, des baklavas, des livres et de l'artisanat arabe dans leurs bagages. Eux, quelques maires et conseillers de Hérouxville et des environs, quelques citoyens de Hérouxville, d'autres de Montréal, étaient à la fois venus les accueillir et dire à la face du monde qu'ils ne sont pas racistes, malgré le code de vie adopté par la municipalité de Hérouxville à la fin du mois dernier. Il y a eu des embrassades et des discussions presque houleuses, des échanges de promesses et de cadeaux. Bref, si la rencontre, qui se déroulait dans un village d'à peine plus de mille habitants, avait parfois des allures de cirque, de petits pas se sont accomplis vers une meilleure compréhension des cultures.
«On compte énormément sur cette rencontre», a lancé dès son arrivée la musulmane Najat Boughaba, docteure en littérature française et professeur d'université, accueillie à bras ouverts par Lucie Rivard, épouse du conseiller municipal André Drouin, qui est à l'origine du fameux code de vie litigieux. «Entre femmes, quand on dialogue, il y a bien des plaintes qui peuvent être évitées», a ajouté Mme Boughaba d'entrée de jeu.
Déjà, vendredi, après avoir reçu de nombreux commentaires sur le code de vie, le conseil municipal de Hérouxville a présenté une nouvelle version du texte, qui omettait notamment les passages proscrivant la lapidation et l'excision. Par ailleurs, le Congrès islamique du Canada avait fait savoir que sa décision de porter plainte ou non en regard au code de vie de Hérouxville dépendait de l'issue de la rencontre d'hier.
«Nos grand-mères n'ont jamais été lapidées, nos ancêtres non plus», a quand même tenu à faire savoir Mme Boughaba, porte-parole du groupe de quelque huit femmes musulmanes qui s'étaient déplacées pour l'occasion. Toutes étaient d'ailleurs très instruites, plusieurs étant déjà détentrices d'un doctorat. Elles ont fait savoir que plusieurs avaient, avec leur famille immédiate, tout laissé derrière elles pour venir s'installer au Québec. «Nous voulons servir le Québec, ont-elles dit, accommodons-nous les uns des autres», mettant en garde les citoyens de toutes confessions contre «la panique, le délire, et la paranoïa», et contre «les démons qui viennent semer la zizanie». Parmi les quelques cadeaux apportés, la délégation a offert à la bibliothèque de Hérouxville un livre sur les droits de la femme dans l'islam et un livre sur la philosophie de l'islam. «Le port du voile, a précisé Mme Boughaba, n'est pas un accommodement.»
Reste que la totalité des Hérouxvillois interrogés juste avant l'arrivée de ces dames affirmait être tout à fait en accord avec le code de vie adopté par la municipalité. La plupart ont conclu que ce code a été très mal interprété dans les médias, où l'on a complètement occulté son préambule, qui contient notamment cette affirmation: «Tolérants, nous sommes prêts à faciliter l'intégration des immigrants, mais pas à n'importe quel prix.»
Par ailleurs, sur l'épineuse question de l'accommodement raisonnable, l'une des membres de la délégation musulmane, Leila Farhat, a admis qu'il y avait eu certains excès dans les revendications des minorités. En réponse à une citoyenne qui trouvait que la communauté musulmane demandait trop d'accommodements, Mme Farhat a cité quelques exemples qu'elle jugeait elle-même démesurés, notamment celui de la femme musulmane qui a demandé à un père qui gardait son petit de sortir d'une piscine pour qu'il ne la voie pas. Elle a aussi cité celui d'un couple musulman qui a contesté la diffusion d'une vidéo d'accouchement dans un cours prénatal.
Dans l'assemblée, des gens étaient venus de différents endroits pour signaler leur appui aux Hérouxvillois. Clifford Blais, médecin généraliste, s'est dit heureux que le débat se fasse, lui qui, alors qu'il était résident en gynécologie en 1992, et seul médecin de garde, a dû faire face à un mari musulman qui refusait que sa femme soit accouchée par un homme. M. Blais ajoute que la Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada a dû établir, il y a quelques années, qu'il était interdit aux gynécologues de recoudre une femme infibulée (dont les lèvres sont cousues), après l'avoir désinfibulée. «S'ils ont tenu à le préciser, c'est qu'il y avait des demandes», a fait valoir le Dr Blais. Un autre homme originaire de Montréal, qui a refusé de donner son identité, a pris le micro pour reprocher aux femmes d'avoir eu «l'audace» de se présenter à Hérouxville voilées, mais il a rapidement été écarté du débat par le maire de la municipalité, Martin Périgny.
Aucune autre personne ne s'est cependant offensée de la présence de ces femmes voilées dans la municipalité. Les normes édictées par le fameux code de vie affirment en effet que les hommes et les femmes y enseignent, «à visage découvert, aux garçons et aux filles, sans distinction de sexe».
«On a vu leurs visages», s'est réjouie une citoyenne de Hérouxville qui s'était déplacée pour l'occasion. «Elles sont d'accord avec nous. Ce sont des femmes éduquées, et elles sont d'accord avec nous, des gens plus simples», a dit une autre.
Najat Boughaba, à la blague, n'a pas décliné la proposition de Luce Rivard de faire de la politique, ou encore de s'acheter un terrain à Hérouxville. Le conseiller André Drouin a d'ailleurs reçu cette semaine la visite d'un représentant du mensuel Les Immigrants et la capitale, pour parler des dispositions de Hérouxville à accueillir des immigrants. Quant au code de conduite, il devrait encore figurer à l'ordre du jour de la réunion du conseil de ce soir, mais le conseiller Drouin laissait entendre hier que la municipalité procéderait peut-être de la même façon que Québec dans ce dossier, c'est-à-dire en mandatant une commission d'étude sur le sujet.
Hier soir, Mohamad Sawan, secrétaire du Congrès islamique du Canada, a dit que «ça avait l'air positif, dans l'ensemble». Il ne pense pas, finalement, devoir porter plainte dans cette histoire. «On n'a pas besoin de problèmes», a-t-il dit. Après avoir visité Hérouxville, la délégation musulmane a pris la route de Sainte-Thècle où, la semaine dernière, une enseignante a refusé d'inviter une classe de petits Libanais, sous prétexte que la municipalité (qui, contrairement à six autres municipalités de la MRC, n'a pas adopté le code de vie litigieux) se situait près d'Hérouxville.
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