Une question se pose davantage chaque jour à propos de Stephen Harper: mais pourquoi s'enfonce-t-il dans le bourbier de guerres lointaines avec lesquelles le Canada a peu à voir ? L'inexpérience ? L'entêtement ?
Un autre jeune premier ministre conservateur, Joe Clark, avait plongé le Canada dans une crise politique et commerciale avec les pays arabes en promettant, en pleine campagne électorale, de déménager l'ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem. Il avait dû reculer.
Stephen Harper n'avait jamais donné l'impression de s'intéresser particulièrement aux affaires du Moyen-Orient avant son arrivée à la tête du Parti conservateur. Pendant la campagne électorale, le sujet n'a même pas été abordé. Et en ce qui concerne la participation canadienne à la lutte au terrorisme en Afghanistan, le chef conservateur ne l'abordait que pour déplorer le manque d'investissements des libéraux dans leur armée.
Signes avant-coureurs
Mais les signes avant-coureurs d'un rapprochement des positions de Washington et d'Ottawa sur les points chauds de «l'axe du mal» n'ont pas manqué : on ne les a simplement pas vus.
Le 13 mars, le nouveau premier ministre fait une visite surprise au camp de Kandahar en Afghanistan. Il s'agissait plus que d'encourager les troupes : Harper signalait au pays et à son allié des États-Unis que «la lutte au terrorisme international» -- une expression qu'on retrouvera le 6 avril dans son premier discours du Trône - faisait désormais partie de ses priorités. Puis le 31 mars, Stephen Harper eut un tête-à-tête à Cancun (Mexique) avec George W. Bush : les ambitions nucléaires de l'Iran étaient au coeur de leurs discussions. La question de la présence du Hezbollah dans le sud du Liban - véritable tête de pont de l'Iran aux portes d'Israël - fut aussi évoquée.
Et le 25 avril à Ottawa, au cours de cérémonies commémorant l'Holocauste, le premier ministre affirmait que, désormais, il prendrait toutes les menaces au sérieux, abandonnant la traditionnelle prudence dont a toujours fait preuve la diplomatie canadienne. Dans son discours, il a parlé de la nécessité de faire preuve de vigilance et de tirer des leçons du passé, de «ne jamais fermer les yeux face aux signes de mauvais augure.»
Les agressions en provenance du Hamas à Gaza, puis du Hezbollah au Liban, étaient manifestement «un signe de mauvais augure». Pour Stephen Harper, le temps n'était plus aux nuances. Méprisant les réactions de ses adversaires - des «poules mouillées» -- et des journalistes - tous des gauchistes pro-Palestiniens -, il prenait fait et cause pour Israël : «Ce n'est que par notre vigilance et par nos actes que nous pourrons éviter un autre Holocauste», avait-il suggéré à Ottawa.
Dès lors, Stephen Harper était engagé dans une spirale dont on ne peut encore dire si elle le conduira à un échec électoral ou à une victoire retentissante.
Pour ce qui est de la guerre au terrorisme en Afghanistan, il est bien difficile pour le Canadien ordinaire de faire le lien entre le rôle pacificateur traditionnel de ses soldats et la reconstruction d'un État aussi lointain. Tant que nos soldats portaient le casque bleu des Nations unies, ils avaient une image de «bons soldats». Mais ils font la guerre, et pour un pays et un régime politique qu'ils ne connaissent pas.
Et les Québécois ?
Cette question se posera avec encore plus d'acuité au Québec, l'été prochain, lorsque ce seront des soldats du 22e Régiment de Québec qui prendront la relève... Les victimes québécoises auront-elles alors plus d'impact, ou déclencheront-elles un sentiment de fierté des Québécois ? La question reste posée...
Quant au conflit entre Israël et ses voisins arabes, il a toujours revêtu une grande importance dans la presse du reste du pays. Le lobby juif est plus influent dans les médias du Canada anglais que dans ceux du Québec. Mais cette fois, la crise a touché les Québécois de près du fait qu'une partie importante de la communauté libanaise, francophone de surcroît, vit chez nous. Et les victimes innocentes de ce conflit sont libanaises. Stephen Harper n'a pas compris cela, retranché dans sa capitale anglaise, et mal conseillé par des députés de la région de Québec ou du Saguenay-Lac-Saint-Jean qui ne connaissent pas la réalité multiculturelle de Montréal.
Les journalistes québécois sont des colons
Hier en conférence de presse, le premier ministre n'a pas modifié sa position d'un iota. Il refuse toujours de souhaiter un cessez-le-feu et n'exprime aucune compassion pour les victimes civiles. On mesurera le degré de mécontentement des Québécois demain après-midi lors de la marche organisée par une cinquantaine d'organismes.
S'il y a un prix politique à payer pour les conservateurs, c'est d'abord au Québec qu'ils le paieront...
Hier, tous les journalistes québécois francophones ont une fois de plus boycotté la conférence de presse du premier ministre.
Ils rejettent la façon dont ces rencontres sont organisées, sous la direction du secrétaire de presse. Stephen Harper a donc répondu à sept questions, dont cinq posées par des membres de la Tribune de la presse parlementaire à Ottawa.
C'était la première conférence de presse du chef du gouvernement depuis le début des hostilités au Moyen-Orient.
Ce conflit a particulièrement échauffé les esprits au Québec en raison de l'empathie naturelle des Québécois pour les Libanais et les Arabes francophones en général. Il eut été normal qu'on entende Stephen Harper là-dessus, en français naturellement.
Comme des enfants
Pour tout dire, ce n'était pas le temps, pour les journalistes, de régler leurs comptes avec le Bureau du premier ministre à Ottawa. Leur ego a-t-il donc plus d'importance que l'intérêt de leurs lecteurs et de leurs auditeurs ?
Dans cette affaire, tant le bureau du premier ministre que la Tribune de la presse parlementaire se conduisent comme des enfants.
En regard de l'importance des conflits au Liban et en Afghanistan, qui préoccupent les Québécois autant que les autres Canadiens, et face à la souffrance de toutes les victimes, ces journalistes se conduisent comme de véritables colons !
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