En automne, le Québec vivra sa première élection provinciale depuis le début de la pandémie. Une crise qui a exacerbé les discours haineux et la désinformation. À moins de quatre mois du scrutin, Élections Québec est «préoccupé» par les deux phénomènes, qui ont été amplifiés par les médias sociaux.
Les lois électorales ne peuvent pas empêcher un candidat ou un parti ayant un discours haineux de s’enregistrer auprès d’Élections Québec. «Nous n’avons aucune assise légale pour refuser une demande d'autorisation d'un parti ou retirer une autorisation déjà accordée sur la base de son programme politique ou des idées véhiculées, même s’il s’agit d’un discours haineux, incitant à la violence ou même si le parti était un groupe criminalisé», explique la porte-parole de l’organisme, Julie St-Arnaud Drolet.
Élections Québec se dit d’ailleurs «préoccupé» par cette possibilité. «Avec l’autorisation viennent des avantages importants comme l’accès à du financement public et l’accès aux listes électorales», ajoute-t-elle.
Cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, David Morin affirme toutefois que les chances qu’un parti politique qui aurait ce genre de discours prenne le pouvoir sont pratiquement nulles. «Le risque, c'est que des partis extrémistes portent des enjeux sur la place publique ou banalisent certaines problématiques. On pourrait penser qu'un parti extrémiste amènerait la théorie du grand remplacement et qu’il serait capable de la populariser dans un contexte électoral avec 20, 30 ou même 40 candidats», dit celui qui est aussi professeur à l’Université de Sherbrooke.
David Morin est cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.
ARCHIVES LA TRIBUNE
Le grand remplacement est une théorie du complot associée à l’extrême-droite, selon laquelle les gouvernements cherchent à remplacer les populations blanches par des afflux importants d’immigrants. Elle a été popularisée par l’auteur français Renaud Camus. Le candidat d’extrême-droite à la présidentielle française, Éric Zemmour, a fait campagne notamment sur ce thème. Il a terminé avec 7% du vote. «Le grand remplacement, fondamentalement, c'est un concept haineux», lance David Morin.
Même scénario sur la scène fédérale, où il n’existe pas de moyen d’empêcher un groupe haineux de s'enregistrer en tant que parti politique. Dans un rapport déposé en juin dernier, toutefois, le directeur général des élections du Canada recommande que les électeurs puissent s’adresser aux tribunaux pour déterminer si un parti politique a pour objectif de fomenter la haine contre un groupe identifiable. Si la cour statuait que c’est bien le but du parti, il ne pourrait pas participer aux élections.
«La pandémie a été un vecteur»
Les risques de désinformation sont également bien réels à l’approche du prochain scrutin. «Nous sommes préoccupés par l’incidence de la désinformation sur la démocratie […], car elle alimente la méfiance entre les individus, mais aussi entre les individus et les institutions démocratiques», affirme la porte-parole d’Élections Québec.
Selon la directrice du Centre d'études sur les médias, Colette Brin, «la désinformation consiste à produire une information qui est tronquée ou qui est fausse avec des fins malveillantes et souvent pour brouiller les cartes».
Aussi professeure au département d'information et de communication de l’Université Laval, elle croit que les médias sociaux sont le vecteur principal de désinformation. «Les types de contenus qui circulent beaucoup, c'est justement des contenus qui suscitent des réactions émotives, comme la colère, la peur, la haine. Ce sont des sentiments très forts et très négatifs, alors que l'information fiable est souvent très grise et très nuancée. Elle ne suscite pas vraiment ce genre de réactions», affirme-t-elle.
Colette Brin est directrice du Centre d'études sur les médias et professeure au département d'information et de communication de l’Université Laval.
COURTOISIE
Durant la crise sanitaire, beaucoup de fausses informations ont circulé, particulièrement sur les réseaux sociaux. «La pandémie a été un révélateur et un accélérateur de la désinformation», observe Colette Brin.
David Morin croit que la pandémie et la grogne qu’elle a suscitée chez des individus pourraient se répercuter sur le scrutin québécois. Selon lui, des complotistes ou des éléments plus radicaux pourraient tenter d’investir le Parti conservateur d’Éric Duhaime.
« Les plus radicaux se cherchent des véhicules pour les emmener plus à droite. [...] Je pense que sans être complotiste, Éric Duhaime est quand même conscient qu'il peut capitaliser sur le mouvement de contestation des mesures sanitaires. Il leur envoie régulièrement des signaux avec des phrases bien senties sur la fameuse dictature sanitaire. Il y a des chances pour que ces gens-là tentent d'intégrer ce parti. »
— David Morin, chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent
David Morin ajoute que le défi pour le parti sera de vérifier les antécédents de tous ses candidats pour éviter de se retrouver dans l’embarras.
Rappelons que le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier a récolté 5% des votes lors du scrutin fédéral de 2021, en faisant campagne principalement contre les mesures sanitaires, alors que le pays était encore en pandémie. Il avait obtenu moins de 2% des suffrages en 2019.
Au Québec, les prochaines élections générales auront lieu le 3 octobre 2022.
ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE, GRAHAM HUGHES
Au Québec, le parti politique Citoyens au pouvoir a regroupé plusieurs figures importantes du mouvement complotiste. En 2018, le parti n’a obtenu que 0,34% des votes. Il avait présenté 56 candidats, dont Alexis Cossette-Trudel. Ce dernier est l’un des principaux porte-parole du mouvement QAnon au Québec, qui affirme se battre contre une élite mondiale composée de pédophiles satanistes. Le parti n’est plus enregistré auprès d’Élections Québec.
L’organisme ne recommande pas pour l’instant de modifier la Loi électorale pour combattre la désinformation. Toutefois, il recommande de mettre en place une vitrine d’information pour les électeurs sur les candidats, leurs priorités et leur programme électoral. On assure que cela se ferait en toute «neutralité et impartialité.» Élections Québec croit que cette vitrine pourrait être un outil pour lutter contre la désinformation.
«On a vraiment du rattrapage à faire»
Selon le Centre de la sécurité des télécommunications, le Canada n’est pas à l'abri d’ingérence étrangère durant ses processus démocratiques. Dans le rapport Cybermenaces contre le processus démocratique du Canada, publié en juillet 2021, on indiquait que l’écosystème des médias sociaux canadiens et américains était intimement lié. La désinformation aux États-Unis peut donc avoir des effets ici.
« En 2020 et au début de 2021, nous avons pu constater à quel point la désinformation et la mésinformation croissantes aux États-Unis et dans d’autres pays alliés peuvent se répercuter sur la population canadienne. »
— Extrait du rapport
Il note toutefois que le Canada n’est pas une cible prioritaire pour l'ingérence étrangère en ligne. Mais la désinformation est aussi produite ici.
Aux yeux du professeur David Morin, le Québec n’est pas équipé adéquatement pour contrer la désinformation, qu’elle provienne de l’extérieur ou de l’intérieur. «On n'est absolument pas prêt à faire face à une campagne de désinformation massive pendant une campagne électorale. On serait incapable de la juguler. [...] À l'heure actuelle, on a vraiment du rattrapage à faire, que ce soit au niveau provincial et fédéral », dit-il.
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Ce que la Loi électorale au Québec interdit
- Donner intentionnellement une fausse interprétation de la Loi
- Contrefaire ou détourner, à des fins partisanes, un document émanant d’Élections Québec
- Propager la fausse nouvelle du retrait d’un candidat
- Porter atteinte à la liberté de vote, empêcher ou tenter d’empêcher une opération relative au vote, changer ou tenter de changer les résultats de l’élection.