Le Zimbabwe et son ancien dirigeant Robert Mugabe, battu lors de la dernière élection, tiennent la manchette de l’actualité depuis plusieurs semaines déjà. Cela me rappelle qu’au milieu des années soixante-dix, je collais des affiches sur les boîtes à malle de Postes Canada en soutien à la cause zimbabwéenne. À vrai dire, à cette époque, j’étais de toutes les luttes : Kampuchéa, pays Basque, les Kanaks, Chiapas et j’en passe... Depuis la fabuleuse histoire du royaume de l’Anse-Saint-Jean, je me suis calmé quelque peu le pompon.
Du temps du premier gouvernement Lévesque, le Zimbabwe s’appelait encore la Rhodésie et était dirigé par des Blancs, Ian Smith en tête. [C’est pas mêlant, les Rhodésiens sévissaient alors autant en Afrique qu’aujourd’hui encore dans le West Island.->archives/ds-societe/index-racisme-souv.html] L’état de servitude des Noirs remontait à la fin du XIXe siècle, quand un asthmatique anglais du nom de Cecil Rhodes mit le grappin sur le pays. Il ne fut pas long avant que la chimurenga (ou lutte armée, en shona, langue bantoue de ce coin de l’Afrique) ne se propage comme une pandémie pour chasser les colonisateurs, mais ceux-ci, par l’odeur du foin alléchés, s’incrustèrent par la force.
Nous en étions à cette période que les historiens patentés – après avoir cherché dans Wikipédia – nomment la Seconde chimurenga (1966-1979), quand moi, bibi, qui usais son fond de culotte à ne plus savoir qu’en faire sur les bancs de l’université, pris fait et cause pour cette lutte en adhérant au Comité de solidarité avec le Zimbabwe.
Par un beau soir de mai 1978, lesdits membres du comité, qui étaient aussi en tout et pour tout les dix membres du comité, furent appelés à rencontrer, dans un piteux et secret local de la rue Saint-Laurent, un guérilléro frais échappé de la brousse africaine. Depuis le temps qu’on faisait de nos pieds puis de nos mains pour ramasser des bidoux pour leur cause, quel insigne honneur d’avoir sous nos yeux ébahis un combattant de l’Armée de libération du Zimbabwe (ZANLA) venir nous entretenir de son combat.
En apercevant notre invité, la surprise fut de voir comment il était attriqué. Il portait des vêtements de camouflage… à cent coudées de la Place des Arts ! Si cette tenue lui seyait comme un gant, on avait du mal à s’imaginer comment il avait pu passer aux douanes accoutré de la sorte sans éveiller les soupçons (il ne nous était pas venu à l’idée que le quartier regorgeait de magasins de surplus de l’armée).
Notre jeune soldat noir n’était ni un tit-Jos Connaissant, ni un G.I. Joe d’opérette, mais un vrai gars de terrain, qui allait nous mettre au parfum de ce qui se passait dans son pays à libérer. Il y avait un hic cependant : il s’adresserait à nous en anglais, une langue qui, pour lui comme pour nous, était étrangère. Mais, qu’à cela ne tienne, chacun se débrouillerait pour le comprendre. Sauf que l’accent avec lequel il prononçait l’anglais était pour le moins pittoresque. Vu sous cet angle, même Pauline Marois pourrait escompter devenir lectrice chez Berlitz.
Paré de son accent imbattable, l’émule black de Che Guevara entreprit de nous instruire de la lutte révolutionnaire de son peuple, sous la conduite éclairée de Bobby Mugabe. C’est ainsi que l’on apprit que Mugabe avait créé le Zimbabwe African National Union (ZANU) en 1963, mais que, manque de pot, l’année suivante il était arrêté et devait passer dix ans ferme en prison. Marxiste-léniniste redoutable, c’était quand même peu banal d’apprendre que, jeune, Mugabe avait été éduqué par les jésuites. J’ai toujours pensé que radicalisme et religion étaient incompatibles, mais bon, pourquoi pas, Staline a bien été séminariste, Michel Chartrand moine de chœur à la Trappe d’Oka et mon député est bien le curé Raymond Gravel si je ne m’abuse.
C’est quand notre ami zimbabwéen entra dans le vif du sujet (la fameuse chimurenga), que je le perdis, hélas, pour de bon. Je ne suis pourtant pas dur de comprenure, mais une toute petite chose m’échappa qui fut par la suite fatale à ma compréhension de l’exposé. Eh oui, le jeune soldat, qui racontait la guérilla menée contre le régime raciste de Ian Smith, ne pouvait s’imaginer que, dans ma petite tête de bozo, j’avais mal entendu son mot « guerrillas » et compris plutôt « gorillas ». Ce qui fait que, comme pour le battement d’ailes du papillon, tout bascula. Si bien qu’à chaque fois qu’il prononçait le mot « guerrillas » (ou guérilléros), j’entendais le mot « gorillas » (ou gorilles).
Imaginez dans quel imbroglio j’étais plongé. Pour moi, c’était clair, l’armée rhodésienne pourchassait surtout, voire exclusivement, des gorilles, allant jusqu’à les débusquer en hélicoptère dans cette jungle en folie. Quant aux gorilles – comme s’ils étaient rompus à la guerre révolutionnaire – ils encerclaient maintenant les villes.
Bien sûr, je me demandais à part moi comment il se faisait que les Zimbabwéens, sous la conduite éclairée (j’insiste là-dessus) de Mugabe, ne prenaient pas part davantage aux hostilités, comme s’ils se tenaient en réserve de la république. Et aussi comment il se faisait qu’il y avait tant de gorilles dans ce coin de l’Afrique ? Tout cela dépassait l’entendement.
Plus notre homme parlait et plus j’avais l’impression d’assister à un cours de la primatologue Dian Fossey. C’est que la présence des grands singes commençait à prendre des proportions énormes. Il y en avait partout, si bien qu’on se serait cru dans un épisode de la planète des singes davantage qu’en Afrique. C’était rendu que les primates tendaient des embuscades aux soldats rhodésiens et que le régime de Ian Smith était en passe de devenir une république de bananes.
La capitale, Salisbury (aujourd’hui Harare), vivait ses dernières heures. Notre homme racontait que des grands singes, faisant de grandes enjambées, quittaient la campagne, descendaient, qui de leurs cocotiers, qui de leurs baobabs ou de leurs arbres du Ténéré (en tous les cas, ils descendaient assurément pas des érables à sucre), pour se regrouper aux abords de la ville avant l’assaut final.
J’étais sidéré, cela me sciait en deux de l’écouter. Et toujours trottait dans ma tête (de linotte, j’en conviens maintenant) cette inlassable interrogation : pourquoi les Zimbabwéens laissent-ils aux seuls « zim-babouins » le soin d’en découdre avec l’armée de Smith. Il fallait que les congénères de King Kong en aient bavé de ce régime de m… pour être devenus si agressifs, eux d’ordinaire si pacifiques, du moins quand on les croise au zoo de Granby.
Au bout d’une heure d’aventures animales, sans aucune mention d’implication citoyenne, je demeurais pour le moins perplexe. Je sentais que quelque part quelque chose avait dû m’échapper, qu’il fallait peut-être que quelqu’un me pince. Finalement, je connus mon Waterloo quand je m’ouvris, après la séance, à une camarade plus « fluide » dans les deux langues que moi. Elle n’en revenait pas ! Elle m’a dit : compte-toi chanceux mon niaiseux (elle allait devenir ma blonde par la suite) que je ne répète à personne ce que tu viens de me raconter. On se moquerait de toi, camarade Durand, la vie durant. Faut croire qu’elle a tenu parole, puisque pas un chat ne connaît cette gênante histoire… oups !
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
9 mai 2008Monsieur Durand, vous m'avez fait drôlement rire.