Les États-Unis menacent de porter devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) les projets européens de taxe sur les géants de l’Internet.
« Nous pensons que toute la base théorique des taxes sur les services numériques est mal conçue et que le résultat est extrêmement discriminatoire à l’égard des multinationales basées aux États-Unis », a déclaré mardi à Paris le responsable du Trésor et délégué américain pour les discussions fiscales internationales, Chip Harter. Aussi, les États-Unis « étudient si cet impact discriminatoire [leur] donnerait le droit [de contester] en vertu des accords commerciaux et traités de l’OMC », a menacé l’émissaire américain avant le début de discussions sur le sujet, cette semaine, au siège de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
La réponse des principaux intéressés n’a pas tardé à venir. D’abord de la France, qui s’est justement engagée officiellement dans cette voie en présentant, la semaine dernière, un projet de taxe de 3 % sur la publicité numérique, la vente de données à caractère personnel et d’autres revenus enregistrés sur son territoire par les entreprises du secteur numérique dont le chiffre d’affaires mondial dépasse 750 millions d’euros. La France « est un État libre et souverain qui décide de sa taxation et qui la décide librement et souverainement », a déclaré son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, disant ne pas craindre de mesures de rétorsion de la part de Washington.
Les autorités européennes ont aussi dénoncé « l’attitude agressive » des États-Unis dans le dossier. Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a affirmé à son tour que « la France et d’autres pays sont parfaitement fondés à décider d’une taxation nationale sur l’activité numérique ».
Les GAFA (pour Google, Amazon, Facebook et Apple) et autres géants de l’Internet se font reprocher de profiter du caractère largement immatériel de leurs activités pour rapporter leurs profits et leurs pertes où bon leur semble afin de réduire artificiellement leurs impôts à payer.
Difficile recherche de consensus
Au coeur des efforts pour trouver une solution internationale au problème et, plus généralement, à l’évitement fiscal par les multinationales et riches particuliers, l’OCDE espère un accord d’ici le milieu de l’année prochaine. Fort de l’appui de principe de 126 pays, le projet avance toutefois lentement et difficilement. Le Français Bruno Le Maire a admis lui-même qu’il préférait une solution qui reposerait sur « un consensus à l’OCDE » sur le sujet et assuré que la France retirerait sa taxe aussitôt qu’elle pourra la remplacer par une taxation internationale.
La recherche de solution commune n’est pas plus facile en Europe. Soumis, en la matière, à la règle de l’unanimité, les 28 ministres des Finances des pays de l’Union européenne ont dû admettre, mardi, avoir été incapables, malgré des mois d’efforts et de tractations, de trouver une formule susceptible de venir à bout de l’opposition de l’Irlande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande. Le mieux qu’ils ont pu faire est de laisser la porte ouverte à une reprise des discussions autour du projet de taxation européenne dans le cas où, d’ici la fin de 2020, il apparaîtrait que la conclusion d’un accord sur une taxe internationale de l’OCDE prend plus de temps que prévu.
En attendant, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Autriche et l’Italie ont signifié leur intention de faire comme la France et d’adopter leur propre version d’une « taxe sur les services numériques » dès cette année. D’autres pays ont exprimé le même désir ailleurs dans le monde, dont l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Les États-Unis se disent favorables au principe d’une taxe minimale sur toutes les entreprises, mais en avoir contre une taxe qui viserait spécifiquement les géants du numérique, qui sont pour l’essentiel américains et chinois, alors que l’Europe ne compte que peu d’acteurs de premier plan dans ce secteur.
« Nous comprenons qu’il existe des pressions politiques dans le monde entier pour taxer plus lourdement diverses entreprises internationales et nous sommes convenus que cela était approprié », a déclaré mardi Chip Harter. « Mais nous pensons que cela devrait être fait sur une base plus large que la sélection d’un secteur particulier. »
Avec l'Agence France-Presse