J'ai ri, moi aussi, en regardant le clip diffusé vendredi sur Youtube avec Michel Rivard, Benoît Brière et Stéphane Rousseau pour dénoncer les compressions budgétaires des conservateurs dans certains programmes culturels.
Comique, certes. Mais je ne peux pas m'empêcher de voir comment on aime s'en faire accroire, au Québec. Comment on aime se flatter le culturel dans le sens du poil de castor.
Résumons le scénario de cette vidéo, il est emblématique à bien des égards.
On aperçoit un sympathique artiste (Rivard) comparaissant devant ce qui ressemble à une commission parlementaire composée de députés unilingues anglophones. Ces députés, bien entendu, sont tous plus stupides et bornés les uns que les autres. Ils ne comprennent pas le pauvre artiste qui chante Le Phoque en Alaska et l'empêchent de chanter. «Did you say fuck?» «Non, phoque.» Et, évidemment, ce sont des bigots finis.
Efficace, j'en conviens. On ne demande pas aux artistes de fabriquer des commentaires équilibrés.
Même le très culturel Denis Coderre est devenu, le temps d'une campagne, un chantre de la culture québécoise menacée par les conservateurs. J'aurais peur, si j'étais la culture, de voir surgir cet appui écrasant. Soyez cependant assuré d'une chose, lecteur: en voilà un qui a compris que c'était une excellente ligne d'attaque au Québec. Un habit pseudo-nationaliste bon marché.
Or, si la situation pouvait se résumer dans le scénario d'un clip de trois minutes, il faudrait pour être honnête asseoir à la table politique de bons Québécois francophones, tout aussi indifférents à la chose culturelle que les Anglais de service de la vidéo, tout aussi allergiques à la danse contemporaine dans de drôles d'accoutrements ou sans le moindre accoutrement.
On pourrait également faire défiler devant ce comité des artistes d'Edmonton, de Vancouver, de Winnipeg et de Toronto, des endroits où, croyez-le ou non, plein de gens sont outrés de ces compressions budgétaires.
Ça ne ferait pas rire autant, j'en conviens. L'Anglais castrateur culturel, c'est payant. Et puis, on aime mieux dépeindre l'autre (l'Anglo-Canadien) comme un inculte. Personne ne vous reprendra au Québec - ou si peu.
Sauf qu'il faudrait torturer longuement les statistiques pour leur faire dire que les Québécois sont les champions de la chose artistique au Canada.
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Certes, le Québec est la province qui dépense le plus par habitant pour la culture, et de loin. Mais dans plusieurs autres provinces, les municipalités investissent davantage - ce qui fait, par exemple, qu'il s'investit plus de dollars provinciaux (province plus villes) par habitants en Saskatchewan. Comme c'est également au Québec que le fédéral investit le plus par habitant en culture, le Québec est champion dans la catégorie des dépenses publiques en culture. C'est tout à fait compréhensible, s'agissant du foyer d'une culture nationale.
Va pour l'État. Mais qu'en est-il des individus? Sommes-nous les grands amoureux de la culture et des arts? Pas sûr.
Selon les enquêtes de la firme Hill, c'est au Québec, entre toutes les provinces canadiennes, que les gens dépensent le moins pour la culture - livres, sorties, disques, etc. En dollars mais aussi en proportion du budget familial.
Les Québécois sont parmi les lecteurs les moins enthousiastes. Moins de la moitié des ménages québécois ont déclaré avoir acheté des livres l'an dernier (41%), en dehors des livres scolaires. Et parmi ceux qui en ont acheté, le Québec est derrière l'Ontario, la Colombie-Britannique et même (oui madame) les Prairies pour les sommes dépensées. Eh oui, madame, derrière la Saskatchewan, pensez donc. Quand on connaît l'état moyen de nos bibliothèques publiques, on ne peut pas arguer qu'on se rattrape de ce côté.
Les données publiées en 2006 sur la fréquentation des musées montrent que les Québécois sont sous la moyenne canadienne, derrière la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse. Les galeries d'art publiques? Nous voilà encore en sixième place.
Par contre, les Québécois vont voir davantage de spectacles et participent à plus de festivals que les autres Canadiens et fréquentent plus de galeries commerciales. Les Québécois sont également des consommateurs inégalés de télévision québécoise. CBC a des cotes d'écoute faméliques qui ressemblent à celles d'une bonne télé spécialisée, et les grandes chaînes privées anglophones sont largement branchées sur le pipeline télévisuel américain.
Mais remarquons-le: les Québécois n'ont pas le monopole de l'enthousiasme culturel, c'est le moins qu'on puisse dire. Partout au Canada, en fait, les villes voient l'immense intérêt qu'il y a à créer des manifestations artistiques d'envergure. Et pas seulement pour la culture populaire. Toronto organise pour le 4 octobre une Nuit blanche (avec le nom français) d'avant-garde totalement flyée, où des artistes contemporains feront d'immenses installations dans la ville, pour une nuit de 12 heures. Du genre: 10 conteneurs empilés dans un terrain de stationnement, ou 50 mascottes poursuivant les passants pour les fouetter... Oui, oui, à Toronto!
D'autre part, comme les chiffres le suggèrent et comme on l'a vu par les subtiles réactions de politiciens ou de citoyens qui trouvent les artistes gâtés, l'indifférence artistique et les préjugés ne sont pas une affaire de rednecks. Ils sont très bien représentés au Québec.
Ça, Stephen Harper le sait.
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