Faux-monnayeur

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On gagne toujours à connaître l'histoire

À la caisse de la pépinière, une dame arrivée avant moi achetait des sacs de terre. Mon grand-père disait : « C’est toujours bon d’acheter de la terre : il ne s’en fait plus. » Mais devant cette terre ramenée à l’échelle du sac en plastique, je ne suis pas bien certain qu’il aurait dit la même chose.

Toujours est-il que la dame a tendu ses billets frappés d’un côté du portrait de notre Majesté pour payer sa terre. « Votre 10 $ est un faux, Madame », lui a dit la caissière. « Il n’y a pas de filigranes et regardez comme le nez du bonhomme est bizarre. » Le nez de Sir John Alexander Macdonald avait en effet l’air faux. Mais comme l’homme tout entier l’était assez de son vivant, j’ai trouvé au contraire que cette liberté prise par le faux-monnayeur lui donnait un petit air plus vrai que nature.

En 1867, Macdonald fut le premier premier ministre d’une Confédération que l’on s’emploie depuis à présenter comme le creuset d’un pays de conciliation. Le nationalisme canadien considère ce conservateur comme l’un de ses plus illustres fondateurs. À Ottawa, on a déjà mis sur pied, par l’entremise d’Héritage Canada, une commission pour que l’an prochain, à l’occasion de son deux centième anniversaire de naissance, on le célèbre partout dans l’ancien Dominion. Après la commémoration de la guerre de 1812, que peut-on bien célébrer à la gloire de cet homme ?

En 1864, à la conférence de Québec qui ouvre le chemin à la Confédération, Macdonald dit : « Nous devrions avoir un gouvernement fort et stable sous lequel nos libertés constitutionnelles seraient assurées, contrairement à une démocratie, et qui serait à même de protéger la minorité grâce à un gouvernement central puissant ». Qui constitue pour lui cette minorité menacée ? « Nous devons protéger les intérêts des minorités, et les riches sont toujours moins nombreux que les pauvres. » C’est donc contre cette « tyrannie des masses », en opposition totale au suffrage universel, « un des plus grands maux qui puissent frapper le pays », dit-il, que Macdonald établit un projet politique lié aux intérêts d’immenses fortunes privées.

À propos des Chinois qui construisent le chemin de fer et qui blanchissent ses chemises, Macdonald dira que ces gens n’ont pas ou si peu d’« instincts britanniques » qu’il convient de leur refuser le droit de vote. Macdonald promulgue même une taxe sur les immigrants chinois. Cette mesure, ouvertement raciste, les oblige à payer 50 $ chacun et bientôt davantage.

Ce père fondateur manifeste un intérêt soutenu en faveur de l’esclavage. Comme avocat, Macdonald ira jusqu’à conseiller les conspirateurs Copperheads, cette bande favorable aux politiques ségrégationnistes des États du Sud. Pour Macdonald, qui prononcera un discours en leur faveur, les esclavagistes méritent d’être louangés pour leur « défense vaillante ».

De cet orangiste, on connaît aussi les vues sur le Québec. En 1885, lorsque d’immenses manifestations se déroulent pour protester contre le simulacre de procès dont Louis Riel et les Métis sont les victimes au Manitoba, Macdonald ne bronche pas. Sa phrase est devenue célèbre : « Riel sera pendu, même si tous les chiens du Québec jappent en sa faveur. » Majoritaires en 1870, les francophones du Manitoba seront écrasés pour ne plus représenter aujourd’hui que moins de 4 % de la population.

On trouve des statues de Macdonald en bronze froid d’un océan à l’autre. Celle de Montréal, montée sur un piédestal, vient d’être restaurée au coût de 436 000 $. En 2002, elle avait été décapitée le jour anniversaire de la mort de Riel. Ce monument s’élève place du Canada, autrefois le square Dominion, exactement où se trouvait auparavant un champ d’osselets : ici furent ensevelis, dans une fosse commune, les patriotes pendus de 1837-1838.

Aucun historien n’ignore non plus l’intérêt de Macdonald pour la bouteille. Même assis, il n’arrivait souvent pas à tenir debout tandis que sa femme adorée, de son côté, consommait chaque jour de quinze à vingt boulettes d’opium.

Mais en règle générale, les historiens ignoraient jusqu’à récemment que Macdonald avait été au centre d’une politique d’extermination des Amérindiens de l’Ouest. C’est aux travaux de James Daschuk, un historien de l’Université de Regina, que revient le mérite d’avoir le mieux documenté l’usage de la famine comme arme politique utilisée par Macdonald.

D’abord, les bisons ont été tués en masse afin que les autochtones n’aient plus de viande. L’administration de McDonald fait alors en sorte que ces hommes dépendent entièrement des rations qu’on leur donne dans des réserves. En cas de soulèvement ou de protestation, les autorités n’ont qu’à supprimer les maigres rations. Ils ne se gênent d’ailleurs pas pour le faire. Cette politique soutenue par le gouvernement opère une soumission aussi rapide qu’incroyable.

Mais pour les conservateurs de John A. Macdonald, on dépense toujours trop à nourrir les peaux rouges. En chambre, Macdonald assure qu’on ne laissera personne mourir de faim, mais promet qu’on sera rigide, voire parcimonieux, dans la distribution des rations. Dans les faits, un proche de Macdonald est chargé de conduire une politique criminelle à l’égard des Indiens.

Le professeur Daschuk vient de recevoir le grand prix de la Société historique du Canada pour son remarquable travail publié sous le titre de Clearing the Plains. Le nom du prix de cette société ? Le « Sir John A. Macdonald »… Il y a de quoi célébrer.


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