Dans sa chronique de samedi dernier intitulée [Laïcité à deux vitesses->13756], Michel David conteste le fait que les élèves fréquentant les écoles privées pourront, en sus du cours d'éthique et culture religieuse obligatoire, recevoir un enseignement religieux confessionnel, alors que ceux du public ne pourront suivre que le premier. [...]
Soit dit avec respect, le commentaire de M. David repose sur une mauvaise compréhension de la raison d'être de l'école privée et une méconnaissance des règles de droit qui la régissent.
Dans les pays où l'école publique est laïque -- c'est le cas aux États-Unis et quasi partout au Canada et en France --, l'école privée a précisément pour but de permettre aux parents l'exercice de leur liberté de religion à l'égard de l'éducation de leurs enfants. En laïcisant complètement l'école publique, le Québec vient précisément d'entrer dans le même camp.
Or les instruments juridiques internationaux auxquels le Québec a souscrit garantissent précisément aux parents le droit de faire éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses.
Question de droits
D'abord, la Déclaration universelle des droits de l'homme affirme que «les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants». Si le libellé de cette disposition est volontairement vague, le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux des Nations unies en précise la portée: «Les États parties au présent Pacte [c'est le cas du Québec] s'engagent à respecter la liberté des parents [...] de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l'État en matière d'éducation, et de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions». [...]
Les écoles privées du Québec respectent effectivement les «normes minimales» prescrites par l'État puisqu'elles sont assujetties au régime pédagogique et appliquent les programmes dans les «matières obligatoires» du ministère de l'Éducation communs à toutes les écoles.
Obligations
Parmi ces matières obligatoires se trouve le programme d'éthique et de culture religieuse, un programme non confessionnel qui vise, non pas à endoctriner ou catéchiser les élèves, mais à former des citoyens cultivés, réciproquement tolérants et accueillants, et capables d'entrer en dialogue. Les écoles privées doivent respecter aussi le «temps minimum prescrit», soit 25 heures par semaine.
Mais pour le reste, elles sont libres de proposer à leurs élèves ce qu'elles veulent bien, d'ajuster en conséquence leurs horaires et de décider du temps que leurs élèves passent en classe. Évidemment, les écoles privées destinées à une confession particulière peuvent enseigner la religion propre à cette confession. On comprend qu'une école juive enseigne à ses adeptes les croyances et les préceptes de la Torah, une école musulmane, ceux du Coran, une école catholique, ceux des Évangiles, etc. Les écoles privées existent précisément pour cela!
Bref, il n'y a pas «laïcité à deux vitesses», mais laïcité à l'école publique, et confessionnalité dans les écoles privées qui choisissent de se définir par une appartenance religieuse particulière.
Iniquité
Michel David voit pourtant une «iniquité» à ce que les écoles privées confessionnelles subventionnées enseignent leur religion en sus du programme d'éthique et de culture religieuse, alors que les écoles publiques ne le peuvent pas.
L'iniquité se trouve en fait du côté de ces parents qui, bien que désireux que leurs enfants reçoivent un enseignement religieux confessionnel dont ils sont privés à l'école publique, ne pourraient accéder à l'école privée faute de moyens financiers. Ils se verraient donc ainsi empêchés d'exercer un droit fondamental qui leur est garanti, et qui découle de la liberté de conscience et de religion. L'objection est pertinente.
M. David évoque deux solutions: offrir tout à tout le monde ou rien à personne, c'est-à-dire laïciser l'école privée à l'instar de l'école publique, ou remettre les enseignements religieux confessionnels à l'école publique. La première hypothèse est impossible, vu les règles de droit examinées précédemment; la seconde amène à faire marche arrière par rapport aux décisions prises à la suite du débat des dix dernières années. Je doute que cela soit politiquement faisable, encore moins souhaitable. Il y a impasse dans les deux hypothèses.
Des sorties
Il existe pourtant deux voies de sortie à cette impasse. La première existe déjà: la plupart des confessions prennent en charge l'éducation religieuse de leurs adeptes dans le cadre de leurs activités propres. Pour leur part, les diocèses et les paroisses catholiques ont ces derniers temps déjà mis en place des programmes offerts généralement gratuitement à tous ou à très peu de frais. Tous peuvent y inscrire leurs enfants.
La seconde, pour ceux qui tiennent à ce que cette éducation se fasse à l'école, est que le gouvernement adopte des mesures fiscales appropriées prenant en compte la prestation de l'enseignement confessionnel au sein des écoles privées et la capacité de payer des parents. Cela existait encore au Québec il y a pas si longtemps: des établissements privés catholiques remettaient des reçus donnant droit à certaines exemptions d'impôt égales au coût réel de l'enseignement religieux. Sauf erreur, l'Ontario procède de manière analogue.
Quant à la question plus générale du financement de l'école privée, c'est un autre débat. Quand on fera ce débat, il ne sera pas difficile d'y trouver une autre iniquité bien plus importante, comme celle de l'impossibilité pratique pour les enfants en difficulté, ou à risque, d'accéder à l'école privée, celle-ci préférant généralement n'y admettre que ceux qui, aux examens d'admission, démontrent qu'ils seront probablement capables de réussir leurs études. Et comme les difficultés d'apprentissage se retrouvent principalement en milieux défavorisés, on pourrait certainement soutenir que l'école privée sélective, discrimine selon la condition sociale.
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Jean-Pierre Proulx, Professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal
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