Europe: le coup de dés de Matteo Salvini

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La gauche italienne fera tout pour ne pas aller en élection


La crise est complexe et les acteurs multiples. Dans la plénitude estivale, l’Italie sursaute. Des alliances se font et se défont. Galvanisent les espoirs ou réveillent des peurs. Aujourd’hui — tout comme hier et encore plus demain —, un nom est sur toutes les lèvres : celui de Matteo Salvini.


Dans un coup de dés retentissant, lancé en plein mois d’août, l’homme fort d’Italie a accéléré la cadence pour prendre le contrôle plein et entier du pays. Galvanisé par les sondages qui le placent en tête des intentions de vote, celui qui était jusque-là ministre de l’Intérieur a fait voler la coalition gouvernementale en éclats le 8 août. Un geste qui était attendu, mais pas de manière si imminente.


« Ce qui se produit était dans les cartes depuis l’élection qui a porté au pouvoir le gouvernement actuel », soutient Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) de l’Université de Montréal et professeur d’études européennes à l’Université Luiss à Rome. « Mais c’est une surprise : personne ne s’attendait à ce qu’il le fasse au mois d’août. » Et de surcroît avant même l’adoption du budget italien — « ultradéficitaire avec une dette publique qui est la deuxième plus importante d’Europe » — ouvrant ainsi la voie à une période d’instabilité économique.



En très peu de temps, [Matteo Salvini] est devenu l’homme le plus puissant d’Italie, le politicien incontournable. Et rien ne permet de prédire sa chute prochaine.




Depuis le 1er juin 2018, une alliance improbable — et certainement intenable à long terme — gouvernait le pays. Après s’être prêtés au jeu des invectives, Luigi Di Maio, à la tête du Mouvement 5 étoiles (M5S), et Matteo Salvini, son homologue de la Ligue (Lega), décidaient d’unir leurs destinées politiques, le temps d’une courte parenthèse dans l’histoire politique italienne.


En s’installant dans les officines du pouvoir, le M5S — un mouvement antisystème prônant la démocratie participative directe — venait de remporter la joute électorale avec 32 % des voix, tandis que la Lega — parti d’extrême droite — avait en poche 17 % des votes. Mais très rapidement, le ratio s’est inversé : la Lega a doublé ses intentions de vote pendant que le soutien populaire au M5S fondait de moitié.


Une inversion des forces en présence qui a été confirmée lors des élections européennes de mai dernier. La Lega remportait alors 34 % des voix, devenant du coup la première force politique d’Italie.


Une ascension fulgurante


La principale variable qui a transformé la donne le temps de ce mariage de raison : Matteo Salvini. « En très peu de temps, il est devenu l’homme le plus puissant d’Italie, le politicien incontournable. Et rien ne permet de prédire sa chute prochaine », relève Frédéric Mérand.


Une ascension fulgurante, nourrie par une rhétorique populiste et propulsée par une présence de tous les instants sur les réseaux sociaux. « C’est une stratégie de communication très agressive, très crue, mise en marche par un système qu’on appelle La Bête (un algorithme qui analyse les commentaires sous les publications de Salvini permettant ainsi de cibler les thèmes les plus porteurs) et qui utilise le langage du peuple plutôt qu’un langage institutionnel », analyse Roberto Angrisani, chercheur à la Chaire Jean-Monnet en intégration européenne de l’Université Laval.



À la tête du ministère de l’Intérieur, celui qui est surnommé le « Capitaine » a du même souffle pris le contrôle du programme politique, s’assurant d’une couverture médiatique abondante. « Il a su rapidement tirer bénéfice (de la coalition), puisqu’il est en politique depuis 25 ans, alors que les autres (du M5S) sont arrivés hier », illustre Roberto Angrisani.


Pendant que le M5S prônait le développement de programmes sociaux — dont les résultats ne sont visibles qu’à long terme —, Salvini misait plutôt sur la lutte contre l’immigration clandestine. « Qu’on le veuille ou non, c’est une ligne d’action qui est populaire dans beaucoup de pays européens », souligne Frédéric Mérand.


Pendant les 14 mois qu’aura duré la coalition, Salvini a ainsi réussi à faire voter deux décrets antimigrants. Le premier restreignant l’accès à l’emploi et aux programmes sociaux pour les migrants et facilitant leur expulsion ; le second criminalisant l’aide apportée par les ONG aux migrants en mer. « C’est après avoir réussi à faire adopter ce deuxième décret qu’il a eu la force et l’envie de renverser la table pouressayer d’enclencher un processus électoral », et ainsi avoir les coudées franches, rend compte Roberto Angrisani.


Un succès non garanti


Mais son empressement n’est pas garant de son succès. La première étape que Salvini doit franchir pour arriver à ses fins est de faire voter au Parlement une motion de défiance contre l’exécutif. Un pari qui n’est pas gagné d’avance, puisque la Lega ne peut le faire seule. Convoqués d’urgence en plein été, mardi, les sénateurs du M5S ont tissé une nouvelle alliance cette fois avec ceux du Parti démocrate (PD) — au centre gauche de l’échiquier politique — pour voter contre la motion présentée par Salvini.


Le prochain chapitre de cette crise à l’issue incertaine s’ouvrira mardi lorsque le premier ministre Giuseppe Conte s’adressera aux parlementaires. « Il aura la possibilité de s’exprimer et d’expliquer les termes de la crise actuelle », explique Roberto Angrisani. Plusieurs options se dérouleront alors : un renversement du gouvernement, suivi du déclenchement d’élections, la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale ou la mise en place d’un gouvernement technocratique.


Dans l’éventualité où aucune alliance n’émergerait, les parlementaires pourraient décider de mettre en place un gouvernement apolitique, composé de technocrates, ce qui permettrait d’éviter un enlisement du pays dans une crise économique et budgétaire.


Mais déjà, le rapprochement entre le M5S et le PD laisse croire qu’une nouvelle majorité de rechange pourrait être à portée de main. « Le M5S aurait tout intérêt à le faire, puisque le parti est impopulaire, donc il perdrait beaucoup de sièges si des élections étaient déclenchées, estime Frédéric Mérand. Mais la stratégie du PD n’est pas claire : est-ce qu’ils préfèrent des élections ou tenter le coup avec le M5S ? »


Un brouillard dans lequel se mêle l’ombre de l’ancien premier ministre Matteo Renzi, qui semble placer ses cartes pour reprendre les rênes du PD. « Il se positionne comme la solution de remplacement à Salvini et pourrait transformer cette bataille en un combat de coqs entre les deux Matteo », suggère le chercheur.


Si des élections étaient déclenchées, les sondages laissent croire que Matteo Salvini pourrait gagner son pari en se hissant à la tête d’un gouvernement d’extrême droite. Une majorité serait à portée de main si la Lega s’alliait à la formation Fratelli d’Italia (extrême droite) de Giorgia Meloni et/ou avec le parti Forza Italia (droite) de Silvio Berlusconi.


« C’est très inquiétant, laisse tomber Roberto Angrisani. L’Italie est un laboratoire des conséquences et des ravages de l’avancée du populisme. […] Tous les totalitarismes en Europe ont accédé au pouvoir par la voie légale. »




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