Que veut la Chine ? Englué dans une guerre commerciale avec les États-Unis et empêtré dans une crise qui ne veut pas s’essouffler avec Hong Kong, le régime communiste semble être de tous les fronts, bombant le torse et haussant le ton, de manière parfois inquiétante, face à ses adversaires. La Chine, plus puissante et frondeuse, tente-t-elle de ravir la place de l’hégémon américain ? Loin de là, estiment les experts interrogés, qui assurent que le régime de Xi Jinping n’en a ni la volonté ni la capacité.
« La Chine ne veut pas disputer la place de superpuissance des États-Unis ; elle se préoccupe avant tout de son développement économique », analyse Zhan Su, professeur de gestion internationale à l’Université Laval et titulaire de la Chaire Stephen-A.-Jarislowsky en gestion des affaires internationales. « La Chine n’a pas d’intérêt à aller conquérir le monde. »
Avec un PIB par habitant qui oscille autour de 10 000 $US, alors que celui des États-Unis tourne autour de 62 000 $US, la Chine est encore en situation de rattrapage sur le plan économique. Et elle est loin de détenir des capacités militaires équivalentes à celles des États-Unis.
« Il serait suicidaire pour les Chinois — qu’on considère comme pragmatiques — de s’attaquer sur ce plan aux États-Unis », ajoute Éric Mottet, professeur de géopolitique spécialisé dans les questions asiatiques à l’UQAM. « La Chine n’a pas pour ambition d’être présente sur toutes les mers du monde et d’avoir des bases militaires à l’échelle de la planète comme les États-Unis. » La Chine ne détient actuellement qu’une seule base militaire à l’extérieur de son territoire, à Djibouti.
Mais dans une structure économique et politique mondiale dominée par les pays occidentaux, l’Empire du Milieu souhaite de plus en plus faire entendre sa voix, une voix qu’elle sait bien dissonante. « Depuis l’entrée en poste de Xi Jinping en 2012, il y a une nouvelle approche diplomatique, une approche d’affirmation internationale », relève Ping Huang, du Groupe de recherche en cyberdiplomatie et cybersécurité de l’UQAM.
« La Chine dit qu’elle veut avoir un droit de parole. Elle dit : “Je ne veux pas vous remplacer, mais je veux vous expliquer notre modèle” », explique Zhan Su, parlant d’une « ascension pacifique ». « Elle veut construire une communauté internationale au destin commun. » Une proposition véhiculée par des politiciens chinois non élus, donc en mal de légitimité dans l’oeil occidental, et qui ne bénéficie que de peu d’écho auprès des pays démocratiques.
Le droit de se développer
La conviction chinoise est on ne peut plus claire : le pays revendique le droit de se développer et d’effectuer un rattrapage économique. « L’État chinois se positionne comme un protecteur, qui subventionne et encourage des secteurs naissants névralgiques, comme la haute technologie, qui a longtemps été la chasse gardée des pays occidentaux », ajoute Zhan Su. Un rattrapage qui ne se fait pas sans heurts, puisque déployé par des pratiques liées au capitalisme d’État, qui, « selon la logique occidentale, sont discutables, sinon déloyales ».
Avec son programme Made in China 2025, la Chine s’est ainsi donné pour objectif de se délester de son rôle de « col bleu du monde » (qui fabrique des biens de faible valeur) pour s’investir davantage dans des produits à plus forte valeur ajoutée, comme la haute technologie, l’intelligence artificielle et la robotique.
« C’est un point central des négociations dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, explique Ping Huang. Le régime de Xi Jinping ne veut pas cesser de subventionner ces entreprises de haute technologie puisqu’il veut que la Chine devienne un leader mondial dans ce secteur ; avoir cette capacité d’innover est crucial pour le gouvernement chinois. »
La Chine ne veut pas disputer la place de superpuissance des États-Unis ; elle se préoccupe avant tout de son développement économique
Donald Trump y voit plutôt une concurrence déloyale envers les entreprises américaines. Et comme son prédécesseur, Barack Obama, il perçoit dans l’élan économique de la Chine une menace à la suprématie américaine. Le déficit commercial des États-Unis envers la Chine est d’ailleurs passé de 20 à 366 milliards de dollars de 1992 et 2016. « Le pays qui a en ce moment le vent en poupe et qui a des réserves économiques importantes pour restructurer les flux mondiaux de commerce, c’est la Chine et non plus les États-Unis », note Éric Mottet.
Dans cette marche accélérée vers son épanouissement économique, la Chine garde bien en vue l’horizon 2049, année qui viendra couronner le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine et au cours de laquelle le pays devrait concrétiser le fameux « rêve chinois », redonnant toute sa splendeur et sa gloire à l’Empire du Milieu.
Contourner plutôt qu’affronter
Lancé en 2013, l’ambitieux projet de nouvelle route de la soie devrait d’ailleurs être achevé en 2049. Un projet étourdissant dans lequel des centaines et des centaines de routes, de chemins de fer et de ports seront construits dans toute l’Asie, puis vers l’Europe et l’Afrique. Près de 70 pays sont engagés dans le projet. L’objectif ? Développer de nouveaux flux commerciaux avec pour point focal la Chine et son besoin avide d’écouler ses exportations grandissantes.
« Ce n’est pas un projet hégémonique pour contrer les États-Unis, mais bien pour les contourner et mettre en place un nouveau système sans attaquer de front les États-Unis », soutient Éric Mottet.
La nouvelle route de la soie devrait également permettre à la Chine d’étendre son « soft power » pour « rééquilibrer » l’influence américaine, estime-t-il. « Il y a une volonté de mettre en place de nouveaux standards chinois, et non plus seulement américains. Pour les Chinois, il n’est pas question que les États-Unis ou l’Occident soient les seuls diffuseurs de savoir, de culture. » Des hôpitaux où l’on prône la médecine traditionnelle chinoise sont ainsi bâtis, des musées retraçant l’histoire de la mythique route de la soie voient le jour et le système d’éducation chinois y est promu.
Ce projet pharaonesque pourrait mobiliser jusqu’à 26 000 milliards $US d’ici 2049. Le projet soulève néanmoins certaines réserves, des pays craignant une érosion de leur souveraineté.
Avec un ordre du jour déjà bien garni et une lutte interne contre la corruption qui se poursuit, la Chine n’avait donc pas prévu, et encore moins souhaité, cet été d’affrontement avec les États-Unis et Hong Kong. « La Chine ne voulait absolument pas de la guerre commerciale avec les États-Unis et elle se serait bien passée des émeutes à Hong Kong, avec lesquelles elle ne sait plus quoi faire », souligne Éric Mottet, qui estime qu’une intervention militaire de l’armée chinoise dans la ville côtière est fort improbable.
Mais ici comme là-bas, c’est avant tout un « fossé d’incompréhension » qui sous-tend les relations Chine-Occident, croit Zhan Su.