Pierre Curzi a défendu la nécessité d’étendre les dispositions de la loi 101 aux cégeps avant et pendant le Conseil national du Parti Québécois et il continue de le faire après, comme il m’a été permis de la constater lors de l’entrevue qu’il m’a accordé à son bureau de la circonscription de Borduas.
« Nous avons examiné plusieurs mesures mais, en tant que porte-parole du dossier linguistique, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas d’autres solutions. Le mathématicien Charles Castonguay a démontré que les gains dans la francisation des allophones réalisés au primaire et au secondaire se trouvaient annulés au cégep », m’avait-il confié avant le Conseil national dans le cadre d’une entrevue publiée sur le site Internet de l’aut’journal.
« Au Conseil national, le consensus des militants en faveur d’une telle politique était très clair », affirme-t-il aujourd’hui et il se sent parfaitement légitimé d’incorporer cette mesure dans la section linguistique de la Proposition principale qui servira de base de discussion en vue du prochain congrès du Parti Québécois.
Évidemment, tous ont noté que Pauline Marois n’a pas encore fait sienne cette proposition. Certains ont parlé d’hésitations, de tergiversations. Pierre Curzi parle plutôt « des points de suspension de Pauline » qui, dit-il, « doit tenir compte de certaines tensions au sein du caucus et d’un électorat francophone divisé sur la question ».
Pour vaincre ces résistances, le député de Borduas croit que deux choses sont essentielles. « Premièrement, il faut que le système public d’éducation ait une offre crédible d’apprentissage de la langue seconde et la présente comme fondamentale. Deuxièmement, il faut recommencer à franciser le monde du travail à Montréal. »
Bien que la question des cégeps ait défrayé la manchette, Pierre Curzi insiste sur la panoplie de mesures qui sont nécessaires pour freiner le recul du français, particulièrement à Montréal.
« Ce n’est pas seulement un problème de langue, nous explique-t-il, c’est un problème de culture. Bon nombre d’allophones et d’anglophones parlent le français, mais vivent dans la culture anglophone. Il ne suffira pas de réécrire la loi 101. C’est tout un environnement qu’il nous faut changer. »
Le responsable du dossier linguistique au Parti Québécois a passé en revue – avec Jean-Claude Corbeil, l’ancien directeur de l’Office de la langue française, et le sociologue Yves Martin – l’ensemble des domaines couverts par la loi 101 et sa jeune équipe de conseillers collige toutes les données utiles sur la situation du français au Québec.
Le portrait qui s’en dégage est particulièrement sombre. La langue de l’administration est souvent l’anglais. La loi sur l’affichage n’est pas respectée. Il y a le problème des municipalités à statut bilingue et la situation, que Pierre Curzi qualifie de « délicate », des soins de santé dans les deux mégahôpitaux.
Plus de 80% des entreprises inscrites à l’Office québécois de la langue française, soit principalement celles de plus de 99 employés, ont leurs certificats de francisation. « Elles ont en théorie des comités de francisation, mais René Roy de la FTQ nous dit que la situation stagne, que plusieurs comités sont inactifs », constate Pierre Curzi qui croit qu’on devrait priver les entreprises délinquantes de contrats gouvernementaux.
« Dans le cas des entreprises de 50 à 99 employés, elles doivent envoyer un bilan à l’Office et, s’il est insatisfaisant, l’Office peut leur imposer un comité de francisation. Mais j’ai la très forte impression que l’Office ne s’en occupe pas. Dans le cas des entreprises de moins de 50 employés, on ne sait rien de ce qui se passe », enchaîne-t-il.
Au Conseil national, les militants se sont montrés favorables à la plupart des pistes de solutions suggérées. Par exemple, on veut faire préciser l’obligation des entreprises de 49 employés et moins en matière d’usage de la langue française comme langue de travail et langue de service à la clientèle et faire en sorte, comme le demande depuis longtemps le Bloc québécois à Ottawa, que la Charte de la langue française s’applique aux entreprises à charte fédérale évoluant sur le territoire québécois.
On ajoute une mesure importante : exiger des entreprises qu’elles démontrent la pertinence de maîtriser une autre langue que le français comme condition d’embauche ou de promotion. « Il faut renverser le fardeau de la preuve », soutient Pierre Curzi.
« Dans le domaine de l’éducation, à part la question des cégeps, il faut s’intéresser à la langue parlée dans les Centres de la petite enfance et les services de garde et s’assurer que le français est maîtrisé par les éducatrices et les responsables des services de garde. À l’autre extrémité, il y a toute la question du financement des universités », précise-t-il.
Pierre Curzi et son équipe consacrent beaucoup d’attention à l’exode des francophones de l’île de Montréal vers la banlieue. Quand on lui demande s’il ne trouve pas suspect que les médias anglophones et des chroniqueurs comme Lysiane Gagnon de La Presse l’aient enjoint de concentrer toutes ses énergies sur ce phénomène, difficile à résoudre à court terme, il sourit. « Au moins, ça les a amenés à admettre qu’il y avait un recul du français! »
Pierre Curzi ose aussi aborder un sujet tabou en questionnant les seuils d’immigration. « Dans un très proche avenir, écrit-il, le Québec a pour objectif d’accueillir 55 000 nouveaux arrivants par année. Proportionnellement à la population totale du Québec, c’est trois fois plus que la France et deux fois plus que les États-Unis. »
Il se demande si ce nombre ne dépasse pas nos capacités d’intégration. Un cinquième des immigrants sont admis sans entrevue par un fonctionnaire québécois et ce taux augmentera à 40% en 2010, par souci d’économie.
De plus, 30% des demandeurs retiendraient les services de consultants en immigration. « Leur conseille-t-on de dire qu’ils parlent français, même si ce n’est pas vrai? », s’interroge Pierre Curzi.
« Souvent le premier contact de l’immigrant avec l’administration québécoise survient lors de sa demande de carte d’assurance-maladie. Et s’il s’exprime en anglais, toute la correspondance qui s’ensuivra se fera en anglais », s’insurge-t-il en soulignant à gros traits qu’il faut renforcer l’article de la loi 101 qui concerne la langue de l’administration.
« Quelle est au juste notre capacité d’intégrer? Avons-nous les professeurs pour les intégrer? », lance-t-il en rappelant qu’il ne s’agit pas seulement de les franciser, mais de faire en sorte que ces nouveaux arrivants partagent nos valeurs. « Une question complexe, comme nous l’avons vue lors du débat sur les accommodements raisonnables ».
Enfin, il y a tout l’impact financier de ces mesures d’intégration souhaitables. Pierre Curzi n’en démord pas. Il nous faut une politique globale qui touche tous les aspects de la question. Mais il est bien conscient que des milliards de dollars sont en jeu. « Ça ne se résoudra pas par la pensée magique. Ça va coûter très cher. Est-ce que la société québécoise est prête à payer ? »
Au cours des prochaines mois, le responsable de la question linguistique au Parti Québécois va continuer à s’informer, se documenter et consulter afin de rédiger la section de la Proposition principale sur la question linguistique.
Mais il a aussi comme objectif d’intervenir à l’Assemblée nationale et d’être actif sur le terrain pour mobiliser la population afin d’exiger du gouvernement Charest qu’il réponde à l’arrêt de la Cour suprême invalidant la loi 104 en assujettissant les écoles privées non subventionnées aux dispositions de la loi 101.
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