Il n’y a pas si longtemps, le simple fait de citer les ouvrages du démographe Christophe Guilluy, dont sa fameuse France périphérique, vous faisait aussitôt passer pour un fantaisiste ou un dément.
À l’occasion de ce scrutin européen, sa revanche n’en est que plus éclatante, tel qu’en témoignent les propos de Gérard Collomb, l’ancien ministre de l’Intérieur : « Les résultats des élections européennes de ce 26 mai illustrent clairement la fracture profonde qui existe en France entre le monde urbain, la ruralité et la périphérie des grandes agglomérations, comme l’a montré la crise que le pays traverse depuis plusieurs mois. »
Résultat ? « La première place du Rassemblement national, suivie de près par la liste Renaissance, confirme cette coupure nette. La très forte poussée d’Europe Écologie Les Verts marque aussi ce scrutin, alors que la droite traditionnelle s’effondre. » Voilà qui est assez bien résumé. D’ailleurs, le maire de Lyon sait de quoi il parle, ayant été l’un des premiers à tirer la sonnette, avant de démissionner, sur la limitation à 80 km/h et la hausse du prix du diesel.
À l’inverse, ce dimanche soir, Bruno Retailleau, figure de proue de cette « droite traditionnelle », se lamentait en direct sur le fait que RN et LREM aient confisqué le débat politique. Un peu comme la bande des quatre de naguère qui, de PS en UDF et de PCF en RPR, avait elle aussi un peu tendance à faire de même. On aura donc compris que Retailleau n’avait rien compris à rien. Tout comme un François-Xavier Bellamy par ailleurs, qui se disait « plus proche d’Emmanuel Macron que de Marine Le Pen ». À en croire Valeurs actuelles, le jeune philosophe bien peigné et propre sur lui allait « redonner des couleurs à la droite ». Voilà qui est chose faite, sauf que les « couleurs » tout d’abord envisagées ne sont pas forcément les bonnes.
Ainsi, il suffit de voir les scores anecdotiques de ces partis autrefois donnés pour être de gouvernement pour constater que le paysage politique a radicalement changé. Cela, Emmanuel Macron et Marine Le Pen l’ont bien compris, eux. L’heure n’est plus à la gauche ou à la droite ; de fait, les clivages politiques sont désormais ailleurs : populistes contre mondialistes, classes sociales abandonnées et classes sociales privilégiées, gagnants et perdants de la mondialisation. Cette fracture est également géographique, entre grandes villes, où il y a tout, et campagnes, où il y a de moins en moins.
À ce titre, la lecture de la carte électorale est édifiante. À l’exception de la Bretagne, terre de centre gauche, le Rassemblement national triomphe en province et La République en marche en territoire urbain. Voilà qui explique la descente aux enfers conjointe du PS et de LR. Les électeurs fortunés, de droite comme de gauche, votent LREM ou EELV. Leurs homologues plus modestes pour le RN ou DLF, à la marge. Un raisonnement qui peut aussi s’appliquer à La France insoumise, dont les électeurs se sont égarés, selon leur niveau de vie, qui chez Macron, qui chez Bardella. Étrange qu’un Jean-Luc Mélenchon, pourtant fort d’une solide éducation marxiste, n’ait pas vu que le vent de l’Histoire était en train de tourner.
On notera encore que les gilets jaunes, auxquels le patron de LFI avait tenté de coller, ont voté à hauteur de 44 % pour le RN. Tels de véritables insoumis ? C’est à croire.
Il y a encore un autre fait marquant, dans cette élection : les résultats impressionnants du Rassemblement national dans les France ultra-marines. Ainsi arrive-t-il premier en Guyane, à Mayotte, en Guadeloupe, à La Réunion, à Saint-Pierre et Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Martin/Saint-Barthélemy, se contentant d’une honorable deuxième place en Martinique. Pas mal pour un mouvement que les médias s’acharnent à donner pour « raciste » depuis des décennies.
Mais il est vrai que, là-bas, l’immigration de masse n’est pas que vue de l’esprit et que le bon sens îlien n’a que faire des élégances humanistes de la métropole.