Pour ceux qui l’ignoreraient encore, Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, est actuellement en visite à Paris. Pour un homme de l’ombre, le moins qu’on puisse prétendre est que la lumière ne lui déplaît pas, tel qu’en témoigne l’entretien accordé au Parisien, le 18 mai dernier.
Est-il ici pour « fédérer les populiste européens », tel que prétendu par ce quotidien ? On lui souhaite bien du plaisir. Aider au financement de la campagne du Rassemblement national ? À l’en croire, il ne ferait que « donner des conseils sur la levée de fonds », ce qui demeure du domaine du plausible, et dire le plus grand bien de Marion Maréchal, ce qui n’a rien du scoop de l’année.
Évidemment, il n’en faut guère plus pour que les esprits s’échauffent. L’occasion, et ce, toujours à propos d’esprits, d’avoir des nouvelles de Frédéric Lefebvre, ancien porte-flingue de Nicolas Sarkozy, qui demande la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les liens entre Steve Bannon et le RN.
Dans la foulée, un autre ancien sarkozyste, Frank Riester, actuel ministre de la Culture, assure que Marine Le Pen « joue contre les intérêts de la France ». Un jour poutinienne, la voilà désormais trumpiste : on ne savait pas les proches de l’ex-Président aussi sourcilleux sur l’indépendance de la nation, surtout vis-à-vis de « l’ami » américain. D’ores et déjà, la principale intéressée annonce vouloir porter plainte pour « diffamation ».
L’affaire est d’autant plus savoureuse qu’en la matière, il suffit de se reporter aux révélations de WikiLeaks, rapportées par Le Monde du 30 novembre 2010, pour savoir où sont les véritables américanolâtres. Là, on y apprend beaucoup sur « Sarkozy l’américain »… Ainsi, en 2005, alors qu’il est ministre de l’Intérieur, on lit ceci : « Sarkozy s’est lamenté de l’état troublé des relations entre les États‐Unis et la France au cours des dernières années, écrit le diplomate » [Allan B. Hubbard, conseiller économique pour la France de George W. Bush, NDLR]. « Affirmant que c’est quelque chose que lui “ne ferait jamais”, il a évoqué l’utilisation, par Chirac et Villepin, du veto de la France au Conseil de sécurité [de l’ONU] contre les États‐Unis en février 2002 [sur l’invasion de l’Irak] comme étant une réaction injustifiable et excessive. »
Mieux : « Ils m’appellent “Sarkozy l’Américain”, a‐t‐il dit. “Eux considèrent que c’est une insulte, mais je le prends comme un compliment.” Sarkozy a souligné à quel point il “se reconnaît dans les valeurs américaines”, écrit le même diplomate. » Le reste est à l’avenant. C’est-à-dire accablant.
Après, que veut exactement Steve Bannon ? Quelle est la part de l’officiel et de l’officieux ? Et, surtout, agit-il seul ou avec l’aval de la Maison-Blanche ? Il y a sûrement un peu des deux. Ce qui explique la méfiance dont une Marine Le Pen ou un Matteo Salvini font preuve à son égard (voir notre article de décembre dernier).
En effet, il est parfaitement logique que ce qui se passe en France puisse, au plus haut point, intéresser des pays tels que les USA ou encore la Russie. Que ce soit pour Washington ou Moscou, la perspective d’une victoire du Rassemblement national aux élections européennes ou à la prochaine élection présidentielle fait partie des hypothèses de travail. Que le Kremlin y voie la possibilité d’un réchauffement de ses relations avec la France, cela paraît évident.
Le cas américain est probablement plus complexe, s’agissant là de peut-être anticiper une victoire populiste en France, tout en s’assurant que, dans une telle configuration, la remise en cause de l’axe transatlantique ne soit pas à l’ordre du jour. Aux USA, si les gouvernements peuvent changer, les intérêts fondamentaux, eux, demeurent immuables.
Peut-on, alors, avancer que le rôle d’un Steve Bannon consiste à seulement prendre la température locale, même si surévaluant manifestement son rôle ? Oui, sans prendre grand risque de se tromper. L’agent d’influence est un grand classique du genre, le tout étant de ne pas se laisser influencer.