Sur ce site, dès le 5 mars 2018, était pronostiquée la possibilité d’une coalition entre la Ligue de Matteo Salvini et le M5S de Beppe Grillo, soit une alliance des populistes de droite et de gauche. Les seconds étaient alors arrivés en tête des élections législatives, avec 32 % des suffrages, tandis que les premiers se contentaient d’un « modeste » 17 %. D’où la nomination du très incolore Giuseppe Conte à la présidence du Conseil, un peu chargé de compter les points entre les deux turbulents alliés.
Plus d’un an après, les rapports de force ont changé. Matteo Salvini occupe le terrain politique et médiatique avec le brio – et la morgue ? – qu’on sait. En face, son alter ego de « gauche », Luigi Di Maio, vice-président du Conseil des ministres et, accessoirement, ministre du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, a peu à peu été réduit à un simple rôle de figuration.
D’où la décision de Matteo Salvini d’en appeler à de nouvelles élections. Pari risqué, certes, mais l’homme en a l’habitude. Tout d’abord quand il passe d’un sécessionnisme lombard – l’argent de la riche Italie du Nord doit rester au Nord et ne surtout pas subvenir aux besoins des pauvres du Sud, éternels « assistés » – à une sorte de jacobinisme local. Résultat ? Après cette révolution copernicienne, c’est dans le talon de la Botte que la Ligue peut désormais se targuer de résultats électoraux des plus flatteurs. Comme quoi, en Italie, rien n’est jamais impossible.
Mais pourquoi renverser la table, à quelques semaines de la rentrée politique ? Matteo Salvini : « Je demande aux Italiens les pleins pouvoirs pour faire ce qu’on a promis lors de la campagne électorale, sans subir de ralentissements. » Il est un fait que, pour lui, le M5S devenait plus un frein qu’un moteur. Il en est un autre que les sondages s’annoncent des plus favorables : 37 % d’intentions de vote pour la Ligue et 6,5 % pour Frères d’Italie, parti susceptible de lui servir d’aile droite.
De quoi constituer une majorité fiable et solide ? Pourquoi pas, pareille configuration existant déjà en Hongrie, avec les souverainistes du Fidezs, le parti de Viktor Orbán et les nationalistes du Jobbik. Voilà qui n’est pas forcément gagné d’avance, mais pas perdu non plus, sachant qu’en face vient de naître une coalition globale, allant du M5S au Parti démocrate de l’insubmersible Matteo Renzi, ancien président du Conseil. La posture de l’homme fort, seul contre tous et avec les « pleins pouvoirs », n’est évidemment pas pour déplaire à Matteo Salvini.
À en croire Lorenzo Castellani, politologue italien des plus réputés et cité par L’Opinion de ce lundi 12 août, ce tropisme n’a rien de nouveau sous le soleil du Tibre : « Silvio Berlusconi a été perçu comme un homme dangereux par une partie du pays, tout comme Matteo Renzi. Tous les leaders italiens ont essayé d’incarner la figure du décisionnaire, parce qu’il est très difficile de contrôler et de changer l’Italie. » Intéressant.
Mieux : « Voilà pourquoi je ne crains pas qu’une victoire de Matteo Salvini se traduise par un virage réellement dangereux pour la démocratie libérale. » Encore plus intéressant.
En fait, le débat qui agite le microcosme politico-médiatique local réside en une possible sortie de l’euro – voire de l’Europe –, laquelle pourrait mettre cruellement à mal ce qui demeure de construction européenne, l’Italie en étant l’un des pays fondateurs.
Et là, sorte d’hommage du vice fait à la vertu, le même Lorenzo Castellani conclut : « Si on arrive à ce scénario extrême, le changement de système institutionnel italien est possible : sortir de l’euro et de l’Europe signifierait l’isolement international et l’autarcie économique. Seul un gouvernement autoritaire pourrait gérer une telle situation cauchemardesque. »
Pour conduire un « gouvernement autoritaire », Matteo Salvini pourrait effectivement être l’homme de la situation, même assurant, non sans raison : « On me traite de dictateur, mais un dictateur ne demande pas de voter. »
Décidément, ces Italiens nous étonneront toujours. En bien, généralement.