DSK voyait grand

Il est généralement loué pour avoir redynamisé cette institution et l'avoir placée au coeur de la crise financière mondiale depuis 2008.

DSK à New York



Un des favoris de la gauche pour déloger le président français Nicolas Sarkozy. Dominique Strauss-Kahn (notre ), directeur général du Fonds monétaire international, a été arrêté samedi à New York pour agression sexuelle.
: MANDEL NGAN, ARCHIVES AFP


Oublions la situation personnelle de Dominique Strauss-Kahn et intéressons-nous plutôt à ce qu'il a fait du Fonds monétaire international. Il est généralement loué pour avoir redynamisé cette institution et l'avoir placée au coeur de la crise financière mondiale depuis 2008.
Cet activisme, qui servait sa notoriété personnelle, contrastait avec la discrétion de ses prédécesseurs français comme Michel Camdessus et Jacques de Larosière. Ceux-ci avaient réorienté le FMI de sa fonction ancienne de prêteur aux États menaçant ruine vers un nouveau métier de conseil aux gouvernements.
Avant DSK, le FMI avait donc cessé d'être le pompier chargé d'éteindre les incendies et de prêter à fonds généralement perdus: s'inspirant des théories monétaristes, les économistes du FMI convertissaient peu à peu les dirigeants des pays pauvres à mieux gérer leurs finances en amont, en particulier grâce à la création de banques centrales indépendantes. Le décollage des pays pauvres, Afrique incluse, dans les années 90, dut beaucoup à ces bons conseils qui ont fait quasiment disparaître l'hyperinflation de notre planète.
Naguère contesté dans son rôle de prêteur de dernier recours à des chefs d'État peu fiables (Eltsine, Moubarak), le FMI avait gagné l'estime générale dans cette nouvelle fonction de conseiller. Au désespoir tout de même d'un grand nombre des fonctionnaires du FMI, environ 10 000, privés d'utilité réelle. Kenneth Rogoff, qui a été l'économiste en chef du FMI avant l'ère DSK, estime que l'organisation a, en réalité, besoin de 300 économistes qualifiés, guère plus.
DSK, au contraire, a choisi d'en revenir au passé: il s'est attaché l'affection du personnel en restaurant le FMI comme vaste bureaucratie internationale. Crise ou pas crise, et politicien avant tout, DSK voyait grand. La crise fut une aubaine: DSK a essayé de positionner le FMI en gouvernement économique mondial. Bloqué par les Américains, les Chinois et les Allemands, il n'y est pas parvenu, mais grâce à un lobbying actif, il a obtenu le renforcement de ses ressources.
Sous DSK, le FMI a prospéré. Au bénéfice de qui? De lui-même et de son directeur général. Mais a-t-il contribué à résoudre, voire à limiter, la crise financière mondiale?? DSK aurait voulu prêter tous azimuts aux pays en difficulté: à l'exception de petits pays comme la Hongrie, cela lui fut justement refusé par le G8 et le G20. Les gouvernements se sont opportunément souvenus que les prêts du FMI sont rarement remboursés et qu'ils perpétuent donc les causes foncières de la faillite.
Faute de prêter directement, DSK aura beaucoup encouragé les gouvernements et les banques centrales à secourir les pays les plus mal gérés, la Grèce en particulier. Or, on savait au FMI depuis Dominique Strauss-Kahn des années que les comptes grecs étaient truqués: sauver les États voyous par des prêts de faveur, ce fut la politique du FMI dans les années 80, avec laquelle DSK voulait bizarrement renouer. Certes, le FMI posait des conditions à ses prêts, mais ces conditions n'étaient jamais respectées (sauf par des gouvernements très sérieux comme la Corée du Sud) et le FMI n'avait aucun moyen de les imposer.
Au total, on comprend comment le management du FMI par DSK servait DSK et sa bureaucratie; on ne voit pas en quoi il conduisait vers un régime financier mondial plus rationnel. Et DSK, politique oblige, n'a jamais osé s'attaquer aux manipulations du yuan par le gouvernement chinois, bien qu'il s'agisse là d'un facteur essentiel des déséquilibres mondiaux.
Si Milton Friedman était encore des nôtres, il rappellerait comme il le faisait déjà dans les années 70, que le FMI a été créé en 1945 pour empêcher les dévaluations compétitives des années 30. Près d'un siècle plus tard, ce problème n'existe plus et le FMI est avant tout une bureaucratie en quête désespérée d'une mission. Après DSK, doutons que le FMI soit réduit aux 300 économistes souhaités par Rogoff: mais espérons que cette grenouille cesse d'enfler.
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Guy Sorman
_ Économiste, l'auteur a publié plusieurs ouvrages, notamment «L'économie ne ment pas» (Fayard, 2008), traduit en plusieurs langues.


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