Malgré les risques significatifs pour la santé mis en lumière par les autorités compétentes, Québec n’a jamais alerté la population du déversement de milliers de litres de liquides contaminés aux BPC survenu à Pointe-Claire en mars dernier. Cinq mois plus tard, le site appartenant à l’entreprise Les équipements de puissance Reliance n’a toujours pas été décontaminé et des substances toxiques y sont toujours stockées illégalement.
Ce cas de pollution dévoilé mardi par le Journal de Montréal soulève d’ailleurs de nombreuses questions sur la façon dont les autorités gouvernementales ont jusqu’ici géré le dossier.
Un avis envoyé le 12 août dernier à Reliance par le ministère de l’Environnement révèle en effet que Québec sait depuis la fin mars que des BPC sont entreposés sur un site situé à proximité d’une zone résidentielle, et ce, sans aucune surveillance. La Ville de Pointe-Claire a contacté le 27 mars le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) après avoir constaté la « présence d’huile et d’eau contaminée » dans son réseau d’égout. Ces « 800 à 1200 litres » de liquides - qui contenaient des BPC, tristement célèbres depuis la catastrophe de Saint-Basile-le-Grand - provenaient de réservoirs de Reliance.
Selon ce qu’ont constaté des fonctionnaires dépêchés sur place, l’entreprise tentait déjà de contenir le déversement. La firme Environnement Rive-Nord, mandatée pour effectuer les travaux, a finalement ramassé, au fil des semaines, « environ 200 000 litres d’eaux huileuses » contaminées, selon ce qu’on peut lire dans un document du MDDEFP. Au moins cinq conteneurs ont aussi été remplis de sols imbibés de BPC. La majorité des substances récupérées sont toujours sur place.
Mais les travaux effectués à la demande de Reliance n’ont pas empêché la migration de la pollution. De l’huile toxique a coulé jusqu’au lac Saint-Louis. Des substances cancérigènes et réputées très persistantes se sont donc retrouvées dans le Saint-Laurent, et ce, en amont de nombreuses prises d’eau de municipalités de la région de Montréal.
Risques significatifs
Une situation très préoccupante, selon la toxicologue Maryse Bouchard. La spécialiste de l’effet des BPC sur la santé, qui enseigne à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, est catégorique. S’il y a eu un déversement, le mal est probablement fait. « Une fois dans l’environnement, nous n’avons plus le contrôle sur les BPC », a-t-elle expliqué mardi. Ceux-ci sont connus pour leurs effets chroniques. Et les risques d’incendie sont bien réels, selon elle. Dans ce cas, le panache de fumée aurait pu menacer tout un quartier résidentiel comprenant des écoles et des garderies.
Même Luc Rivard, chimiste employé par le MDDEFP, a clairement mis en garde les autorités contre les risques que représentait ce site. Dans un rapport daté du 13 juin, il a ainsi souligné que « ce site a été et demeure susceptible d’être une source de contaminants persistants et toxiques, dont les conséquences sur la qualité de l’environnement et les risques à la santé humaine sont significatifs ». Il a aussi évoqué une « forte contamination en BPC sur le site », ainsi que l’état de « délabrement » des lieux, la « vétusté » des installations et la « dégradation apparente des équipements ». La Direction de la santé publique de Montréal a formulé les mêmes constats. Elle a aussi demandé en juin au ministère de sécuriser les lieux, mais en vain.
Silence de Québec
En fait, malgré tous les signaux d’alarme, le MDDEFP n’a jamais informé les citoyens du danger auquel ils étaient exposés. La chronologie des événements, relatée dans un document du ministère, démontre pourtant que la situation pose des risques pour la santé humaine et pour l’environnement depuis longtemps.
Ainsi, lors de la deuxième inspection sur le site, le 4 avril, un représentant de Reliance a indiqué aux inspecteurs de Québec que « ces matières sont entreposées sur le site depuis au moins 15 ans ». Qui plus est, « le propriétaire ne tient aucun registre des matières entreposées sur le site ». Cet entreposage est d’ailleurs illégal. L’entreprise s’est vu refuser sa demande dès les années 1980. Frustrée de ce refus, Reliance avait réclamé des dommages et intérêts de plus de 1,7 million à Québec et à Pointe-Claire. La compagnie a perdu devant la Cour supérieure, et a vu sa demande d’appel rejetée en 2002. La principale raison invoquée par la Cour était que l’entreprise n’avait prévu aucun plan d’intervention en cas de sinistre.
À la mi-avril, le MDDEFP a en outre constaté que l’aire d’entreposage du site de Pointe-Claire était « complètement inondée » par des liquides contaminés. Le ministère a alors avisé Reliance que les actions prises « ne sont pas suffisantes » et lui a demandé d’agir. Mais au fil des semaines, puis des mois, l’entreprise n’a jamais fixé le moindre échéancier aux travaux exigés. Ceux-ci comprenaient le blocage de l’accès au site, des travaux de caractérisation de la contamination, mais aussi de nettoyage. Aucun des plans soumis au ministère n’a été conforme aux exigences de Québec. Jusqu’à ce que cette affaire soit publiée par le Journal, il était donc aisé d’accéder au terrain situé boulevard Hymus, à Pointe-Claire. Là, toute personne pouvait avoir accès à des conteneurs pleins de liquides ou de sols contaminés aux BPC.
Le 12 août dernier, le MDDEFP a finalement fait parvenir un « avis préalable à l’ordonnance ». Le ministre Yves-François Blanchet y exige que Reliance sécurise enfin son site, mais aussi qu’elle cesse de recevoir des matières contenant des BPC. Mais surtout, elle doit prendre des mesures pour nettoyer son site et disposer de tout ce qui contiendrait des produits toxiques. Si l’entreprise ne s’y conforme pas, Québec pourrait prendre en charge les travaux et exiger des remboursements, a expliqué mardi le sous-ministre adjoint au MDDEFP, Michel Rousseau. Il n’est également pas exclu que le gouvernement entreprenne des poursuites contre Reliance.
Le gouvernement Marois se défend bien d’avoir voulu cacher quoi que ce soit à la population. « Il n’y a rien eu de caché », a affirmé M. Rousseau, faisant valoir que les interventions du ministère ont été publiées dans le registre d’Urgence environnement. Un court avis ne faisant aucune mention de BPC a effectivement été diffusé le 26 mars. M. Rousseau a en outre souligné que ce n’était pas au ministère d’avertir la population d’un risque pour la santé publique, mais bien à la Direction de la santé publique.
Le ministère ignore pour le moment l’ampleur de la catastrophe et reconnaît que le site pourrait avoir été pollué sur une période de plusieurs années. « Comme il s’agit d’un entreposage illégal, il pourrait y avoir eu de la contamination auparavant », a souligné M. Rousseau.
Déversement de BPC à Pointe-Claire - Québec n’a pas donné l’alerte
Des experts avaient pourtant mis en lumière des «risques significatifs» pour la santé humaine
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