Radar - Sophie Durocher

Deux poids, deux mesures

Vous pensez que le Panthéon est une belle illustration des deux solitudes: le Québec d'un côté, le ROC de l'autre? C'est encore pire que vous pensez.

Anglicisation du Québec

En fin de semaine, Robert Charlebois est allé faire un tour sur une autre planète. Non, il n'a pas pris une navette spatiale, comme Guy Laliberté. Il a simplement pris l'avion pour aller ... à Toronto. Après avoir été intronisé au Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens, il a déclaré au Journal de Montréal: «Qu'on le veuille ou non, c'est le même pays, mais c'est une autre planète.»
Vous pensez que le Panthéon est une belle illustration des deux solitudes: le Québec d'un côté, le ROC de l'autre? C'est encore pire que vous pensez.
Pendant trois années de suite, quand j'étais animatrice à la radio de Radio-Canada, j'ai co-animé le Gala du Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens, ce fameux Songwriters Hall of Fame. Et je n'ai jamais ressenti aussi fort l'ignorance, le mépris et la condescendance que certains anglo-canadiens peuvent avoir envers la culture québécoise.
Les organisateurs du gala nous ont toujours fait sentir (mon équipe et moi) que nous étions là par obligation, pour remplir le quota de Canadiens français requis par le diffuseur, la télévision nationale, payée avec l'argent de tous les contribuables. Notre présence était tolérée, mais il ne fallait surtout pas faire trop de vagues. Puisque aucun d'eux ne parlait français convenablement, il fallait faire toutes les réunions dans la langue de Mordecai Richler. Mes textes de présentation avaient été écrits en anglais puis traduits dans un français approximatif par un traducteur supposément bilingue qui connaissait autant le français que moi je parle le serbo-croate. Et quand j'ai osé émettre le début du commencement d'un soupçon de grincement de dents, on m'a fait comprendre que la qualité du français était le dernier de leur souci (insérez ici un soupir de résignation et d'exaspération).
Sur scène, on m'a demandé de ne pas me tenir trop près du co-animateur, puisque toutes mes présentations allaient être coupées au montage pour la diffusion à la CBC et qu'il ne fallait pas que je dérange mon co-animateur ni qu'on me voie la binette à l'écran. Le segment francophone du gala recevait la portion congrue : moins de temps, moins de recherche, moins de moyens, moins de visibilité.
À plusieurs reprises, les organisateurs du côté francophone et moi avons émis l'humble hypothèse que le gala pourrait se tenir, en alternance, une année à Toronto et une année à Montréal. Nous pensions naïvement que cela pourrait ouvrir le ROC à la richesse de la culture qui se fait ici, dans la belle province. Vous auriez dû voir comment cette suggestion a été accueillie. C'est comme si on avait émis l'idée que la reine d'Angleterre fête son anniversaire dans une soue à cochon. Un gala prestigieux qui se tiendrait dans un trou comme Montréal? Mais vous n'y pensez pas. La culture, au Canada, c'est à Toronto que ça se passe, et pas ailleurs. Understood?
Deux solitudes, ça veut surtout dire deux poids deux mesures. En 2007, Joni Mitchell et Jean-Pierre Ferland ont été intronisés lors du même gala. Mais à voir le traitement accordé à l'un et à l'autre, on aurait pu croire que l'auteur du Petit roi était un petit débutant qui avait poussé deux ou trois chansonnettes sympathiques. J'avais beau essayer de faire comprendre à mes « Toronto friends » que, pour nous, Ferland était aussi prestigieux que Mitchell l'était pour eux, que sa chanson Je reviens chez nous avait voyagé à travers le monde, qu'Une chance qu'on s'a faisait partie de l'ADN collectif de 7 millions de Québécois, j'avais l'impression de leur parler chinois. Ferland, d'ailleurs, était aussi à l'aise à ce gala qu'un poisson sur une bicyclette. «Je ne me sens pas chez moi ici», disait-il. Et il avait bien raison. J'avais ressenti le même double standard en 2006 quand Leonard Cohen et Gilles _Vigneault avaient été intronisés lors du même gala.
Souvenez-vous quand Claude Dubois a été intronisé à ce Gala du Panthéon, il était outré que les artistes francophones soient coupés au montage lors de la diffusion à la télé de la CBC, un geste qu'il avait qualifié de «raciste» et d'«anti-francophone».
Mon seul regret, c'est qu'au gala de cette année, Charlebois n'ait pas chanté sa chanson Indépendantriste : Faut qu'on s'sépare/ y faut qu'on splite/ C'est toi qui pars/ ou moi j'te quitte/ Prends le Pacifique/ j'garde l'Atlantique/ Forever indépendant triste»


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