Après l'article de The Gazette du 25 juin 2011 qui rappelait le bicentenaire de la guerre de 1812 oubliée au Québec («The war Quebec forgot»), voilà qu'il y eut un article dans La Presse du premier octobre 2011, intitulé «Bicentenaire de la guerre de 1812. Les Québécois peu intéressés par les festivités», faisant état d'un rapport commandé par le gouvernement Harper pour mettre sur pied une campagne publicitaire faisant la promotion des célébrations entourant le bicentenaire de cette guerre.
Une capsule publicitaire pour la télévision pour célébrer l'unité canadienne en utilisant la commémoration de 1812 a déjà été préparée au coût de 1,5 million de dollars. Le gouvernement Harper prétend que «le pays n'existerait pas si l'invasion américaine de 1812-1814 avait réussi», comme si tel avait été l'enjeu en 1812.
Or il faut savoir que la très grande majorité des historiens américains ne considèrent pas du tout la conquête du sol canadien comme étant une des causes de cette guerre. Bien sûr, une fois la guerre déclenchée entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, il s'est trouvé des politiciens comme Thomas Jefferson qui se sont mis à rêver de l'acquisition du «British North America».
Vraies causes d'une guerre
Mais quelles étaient les véritables causes de cette guerre? Le Royaume-Uni, en guerre alors contre la France napoléonienne, pratique un blocus contre les navires qui approvisionnent la France. Les États-Unis, pays neutre, approvisionnaient la France. Les Britanniques veulent non seulement étouffer économiquement la France, mais empêcher la flotte marchande américaine de prendre trop d'importance et de lui porter ombrage.
Les Américains déclarent alors la guerre aux Britanniques, non seulement pour défendre la liberté du commerce international, mais aussi parce que des Britanniques ont arrêté des navires américains qui ont recruté des marins britanniques qu'ils considèrent comme des déserteurs. De plus, les Américains n'acceptent pas que les Britanniques soutiennent des autochtones des États-Unis en leur fournissant des armes. On se souviendra qu'après 1763, date du traité de Paris où la France céda le Canada, les Britanniques avaient créé une réserve amérindienne entre les Appalaches et le Mississippi. En 1787, les États-Unis, devenus un pays indépendant, avaient mis fin à cette situation en créant des États comme l'Ohio. Or voilà que les Britanniques fournissent maintenant des armes aux autochtones, ce que ne tolère pas le gouvernement américain.
Voilà les enjeux de cette guerre qui eut lieu en pleine mer, ainsi qu'à Washington, à la Nouvelle-Orléans et dans la région des Grands Lacs. L'idée de s'emparer du Canada n'était pas l'objectif des Américains, quoi qu'en dise le ministre de Patrimoine canadien, James Moore. Même le site de Parcs Canada ne fait pas mention de la menace de l'annexion du Canada comme enjeu explicite de cette guerre, que certains Américains qualifient de «seconde guerre d'indépendance des États-Unis». Par conséquent, le Québec n'a absolument rien à célébrer de cette guerre entre l'Empire britannique et les États-Unis.
La «bataille» de Châteauguay de 1813
Il est exact qu'il y a eu un raid à Châteauguay en 1813 avec des échanges de coups de feu sporadiques lorsque les troupes du Bas-Canada dirigées par Charles de Salaberry, et formées de quelques centaines de miliciens canadiens et d'une vingtaine d'Amérindiens, ont repoussé des miliciens américains qui s'étaient aventurés en sol canadien pour tenter d'occuper les lieux pour empêcher tout approvisionnement vers le Haut-Canada. La «bataille» de Châteauguay, où il n'y a pas vraiment eu de corps à corps, ne dura que quatre heures et n'a rien à voir avec l'unité nationale.
Lors de la «bataille» de Châteauguay, le but des milices américaines, qui ne faisaient d'ailleurs pas partie de l'armée régulière, n'était pas d'attaquer le Canada. Les Américains n'avaient alors aucune visée d'annexion du territoire canadien. Car en 1783, les Américains avaient déjà doublé leur territoire en faisant l'acquisition de la réserve située entre les Appalaches et la rive droite du Mississippi. Ils avaient acheté de la France en 1803 l'immense territoire entre le Mississippi et les Rocheuses. L'annexion du Canada n'était pas alors dans leur plan.
Par le traité de Gand de 1814, ratifié en 1815 et qui mit fin au conflit, on retourna au statu quo. Mais les Américains y gagnaient sur plusieurs points: l'Angleterre mettait fin au soutien des Amérindiens du territoire américain et c'était la fin du contrôle commercial avec la France.
De quoi célébrer?
Pourquoi célébrer une guerre qui a donné satisfaction aux Américains et qui a consacré le début des pertes considérables des Amérindiens vivant en sol américain? Le Québec n'a rien à célébrer de cette guerre qui n'a pas à voir avec l'unité nationale, car il n'y a jamais eu, en 1812, de menace d'invasion du territoire par les États-Unis. Pourtant, le gouvernement Harper compte célébrer avec faste ce bicentenaire et ériger un monument en l'honneur de cette guerre dans la région de la capitale fédérale pour célébrer, selon ses termes, «les efforts héroïques déployés par l'armée et la marine britannique, les miliciens volontaires francophones et anglophones ainsi que les Alliés des Premières Nations en vue de repousser l'invasion». On est prévenu: le ministre du Patrimoine et le premier ministre Harper comptent «souligner le courage des héros de cette guerre durant tout le mois d'octobre 2012»!
C'est ainsi que l'argent des contribuables du Québec servira au développement du nationalisme canadian. Le gouvernement fédéral ne manque pas une occasion pour construire sur des mythes son identité et développer le nation building canadian. S'il y a une guerre dont les Québécois devraient pourtant se souvenir, c'est plutôt celle de la conquête britannique du 13 septembre 1759, qui entraîna notre défaite.
Le 10 février 2013 marquera les 250 ans du traité de Paris consacrant la cession de notre pays à l'Angleterre, mais cette date ne fait pas partie des événements que le gouvernement Harper rappellera. On apprend aujourd'hui que c'est plutôt en 2015 que le gouvernement conservateur compte bien marquer le 200e anniversaire de naissance de Sir John A. Macdonald. En 2012, il fêtera aussi le jubilé de diamant d'Elizabeth II.
***
Robert Comeau - Historien
Guerre américano-britannique de 1812
Détournement d'histoire pour développer l'unité canadienne
1812 - l'État historien
Robert Comeau14 articles
Professeur associé au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé