(Washington) Gordon Sondland, un diplomate proche de Donald Trump, a directement impliqué mercredi le président des États-Unis dans les demandes controversées faites à l’Ukraine, qui lui valent une procédure explosive de destitution.
L’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne a déclaré que le milliardaire républicain avait bien conditionné une rencontre bilatérale avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky au lancement, par Kiev, d’enquêtes contre les démocrates américains. Il a aussi assuré avoir acquis la conviction qu’une aide militaire cruciale à l’Ukraine dépendait également de l’ouverture de ces enquêtes, même s’il a reconnu que Donald Trump ne lui avait pas personnellement fait état d’un tel lien.
« Nous avons suivi les ordres du président », a dit Gordon Sondland lors de son audition publique devant les parlementaires qui ont engagé une enquête pour mettre en accusation le locataire de la Maison-Blanche.
Il a notamment assuré que c’était « à la demande expresse du président » que les diplomates chargés du dossier ukrainien avaient accepté, malgré leurs réserves, de travailler avec son avocat personnel Rudy Giuliani.
Or, l’avocat a d’emblée fait pression pour que Kiev accepte d’enquêter sur les démocrates américains et sur le groupe gazier Burisma, qui avait alors, dans son conseil d’administration, Hunter Biden, fils de Joe Biden, bien placé pour affronter Donald Trump à la présidentielle de 2020.
« Donnant-donnant »
Cette procédure d’« impeachment » a été lancée par les démocrates après la révélation d’une conversation téléphonique du 25 juillet au cours de laquelle Donald Trump avait demandé à Volodymyr Zelensky d’enquêter sur les Biden. L’ex-homme d’affaires new-yorkais clame que son appel était « parfait » et dénonce une « tentative de coup d’État ».
L’opposition veut toutefois savoir si le 45e président des États-Unis a abusé de son pouvoir pour exercer un chantage sur Kiev à des fins électoralistes.
« Y a-t-il eu un “donnant-donnant” ? », a demandé Gordon Sondland devant des élus de la Chambre des représentants. S’agissant d’une rencontre Trump-Zelensky à la Maison-Blanche, « la réponse est oui », a-t-il affirmé sans détour.
S’agissant d’une importante aide militaire suspendue par la présidence, Gordon Sondland a aussi reconnu avoir dit à des responsables ukrainiens que son dégel était conditionné à l’ouverture de ces enquêtes chères à Donald Trump.
« En l’absence d’explication crédible pour sa suspension, je suis parvenu à la conclusion que la reprise de l’aide sécuritaire n’interviendrait pas tant qu’il n’y aurait pas une déclaration publique de l’Ukraine s’engageant à mener les enquêtes », a-t-il témoigné. Il s’agissait d’une « déduction » partant du principe « que 2 “2=4 ».
Pressé par les élus des deux bords, il a maintenu que le président Trump ne lui avait « jamais dit directement que l’aide était conditionnée » aux enquêtes.
Mais ses multiples conversations avec le locataire de la Maison-Blanche ne lui ont pas non plus fait changer d’avis. « J’étais absolument convaincu » d’un tel lien, a-t-il martelé, estimant que cette condition était « largement claire pour tout le monde ».
Il a également mouillé le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, connu pour être l’homme fort de la politique étrangère de Donald Trump, et le vice-président Mike Pence. Affirmant avoir évoqué avec eux sa « déduction logique » d’un lien aide-enquêtes, il n’a pas fait état de démarches de leur part pour l’en dissuader.
L’équipe de Mike Pence a aussitôt démenti en avoir jamais parlé avec Gordon Sondland.
Trous de mémoire
Cet homme d’affaires nommé ambassadeur après avoir financé la campagne Trump intéresse particulièrement l’opposition, car c’est un témoin direct, qui s’est régulièrement entretenu avec le président américain de sa politique ukrainienne. Or l’une des lignes de défense des républicains est de moquer une accumulation de témoignages de seconde main.
Mais Gordon Sondland avait eu jusqu’ici quelques problèmes de mémoire, et a dû plusieurs fois compléter sa première déposition, réalisée mi-octobre à huis clos, après avoir été confronté aux témoignages d’autres témoins, qui lui ont attribué une position centrale.
L’ambassadeur a rejeté la responsabilité de ces trous de mémoire sur la Maison-Blanche et le département d’État, qui refusent de coopérer avec l’enquête et lui ont barré l’accès aux archives.
Le camp républicain, qui fait bloc derrière le président et n’hésite pas à attaquer la crédibilité des témoins, semblait partagé sur la stratégie à adopter face à cette audition embarrassante.
D’une part, Donald Trump a minimisé sa proximité avec Gordon Sondland. « Je ne le connais pas très bien. Je ne lui ai pas beaucoup parlé », a-t-il balayé depuis les jardins de la Maison-Blanche.
Mais d’autre part, les élus républicains ont mis l’accent sur les nombreuses conversations entre les deux hommes et ont estimé que le témoin avait de facto blanchi le président sur les soupçons de chantage « aide contre enquêtes ».
Si les démocrates, qui contrôlent la Chambre des représentants, devraient parvenir à mettre en accusation le président, le dernier mot reviendra ensuite au Sénat, à majorité républicaine, rendant pour l’heure très improbable une destitution.
Mike Pompeo fragilisé
Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, déjà fragilisé dans l’affaire ukrainienne au cœur d’une procédure de destitution contre Donald Trump, a été impliqué mercredi dans plusieurs décisions controversées par le témoignage de Sondland.
Ce dernier a déclaré devant le Congrès que Mike Pompeo et les plus hauts dirigeants du département d’État avaient toujours était tenus au courant de ses démarches.
« Nous avons tenu les dirigeants du département d’État et les autres au courant de ce que nous faisions. Le département d’État soutenait totalement notre implication dans les affaires ukrainiennes, et savait qu’un engagement » de l’Ukraine « à lancer des enquêtes était un de nos objectifs », a-t-il dit.
Il a dévoilé des échanges de courriels montrant que le secrétaire d’État américain saluait son « bon travail ».
Les démocrates accusent Donald Trump d’avoir exigé des enquêtes visant les démocrates en échange d’une visite de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche et du dégel d’une aide militaire cruciale.
Gordon Sondland a expliqué avoir dit aux responsables ukrainiens que le dégel de l’aide était conditionné aux enquêtes, assurant l’avoir fait sur la base de ses propres « échanges » avec Mike Pompeo.
Prié de préciser si le secrétaire d’État était au courant du fait qu’il pensait que la visite et l’aide étaient conditionnées au lancement des enquêtes par Kiev, l’ambassadeur a répondu : « oui ».
« Vous a-t-il dit qu’il n’y avait aucun lien, que vous aviez tort ? », lui a demandé un élu.
« Pas que je me souvienne », a-t-il affirmé.
Gordon Sondland a aussi rapporté que Mike Pompeo avait personnellement demandé à ses diplomates de travailler avec l’avocat personnel du président Trump, Rudy Giuliani, accusé d’avoir mené une diplomatie parallèle auprès de l’Ukraine.
« Aussi loin que le 24 septembre, le secrétaire d’État Pompeo demandait à Kurt Volker », émissaire officiel pour l’Ukraine, « de parler avec Rudy Giuliani », a témoigné l’ambassadeur auprès de l’UE.
Il s’agit du jour où la Maison-Blanche a publié la transcription d’un appel de juillet au cours duquel Donald Trump demandait à Volodymyr Zelensky d’enquêter sur ses rivaux démocrates.
Mike Pompeo a vivement dénoncé la procédure de destitution engagée par les démocrates, mais est aussi très critiqué par de nombreux diplomates de carrière pour avoir laissé tomber ses employés qui ont accepté de témoigner devant le Congrès. Certains d’entre eux ont été personnellement attaqués par Donald Trump.
Gordon Sondland a aussi déploré que le département d’État et la Maison-Blanche lui aient refusé l’accès aux archives pour préparer son audition.