Athènes brûle tandis que le pays inventeur de la démocratie la voit aujourd'hui se dissoudre dans la dépression économique et l'humiliation nationale. La semaine dernière, les démissions en cascade se sont succédé au sein du gouvernement grec, alors que les chiffres des nouveaux sacrifices exigés de la population s'accumulaient d'une façon affolante: baisse de 22 % du salaire minimum, réduit à 586 euros mensuels (soit un peu plus de 5 dollars l'heure pour 35 heures par semaine); suppression supplémentaire de 15 000 emplois publics; nouvelles privatisations. En outre, l'impôt sur tous les revenus augmentera encore de 4 % en 2012, y compris pour un professeur du secondaire pouvant désormais gagner à peine 660 euros par mois. Sans compter les hausses de l'électricité (+9 %), de la TVA (+10 %), un nouvel impôt sur l'immobilier (entre 600 et 1000 euros par an), déjà décidés l'an dernier. Les rues d'Athènes se couvrent de nouveaux pauvres; toute une classe moyenne se voit peu à peu clochardisée. Ce sont ces gens-là — bien au-delà des quelques centaines de casseurs habituels — qui ont manifesté hier, par dizaines de milliers, dans les rues d'une capitale en feu. Cette nouvelle misère, plus une absence totale d'espoir (la super-austérité transformant la récession en dépression de longue durée), plus la révolte de voir les quelques gros bonnets habituels (les fameux armateurs grecs défiscalisés, plus l'intouchable et richissime Église orthodoxe) échapper aux mesures: tout cela jette dans la rue un peuple en colère. La question «morale» de savoir dans quelle mesure les Grecs (dirigeants comme contribuables) ont été les artisans de leur propre malheur — par leurs étourderies, évasions et tricheries fiscales du passé — devient presque secondaire. La démocratie représentative se vide peu à peu de son contenu lorsque le Parlement et le conseil des ministres, en proie à un sauve-qui-peut spectaculaire (six ministres et une vingtaine de députés ont pris la clé des champs depuis une semaine), votent ces programmes le pistolet sur la tempe. Un pistolet tenu par les autorités de Bruxelles et de Berlin, qui ne se gênent même plus pour dire aux Grecs: «Non, vous ne décidez plus rien, c'est nous qui faisons les budgets, c'est nous qui faisons les programmes: vous signez ici, c'est tout!» Ce qui se passe aujourd'hui en Grèce pourrait, demain, survenir au Portugal, en Italie, en Espagne... Des pays qui, malgré l'accalmie des deux derniers mois, restent dans la ligne de mire des détenteurs de dettes et des bien-pensants punitifs de Berlin. Si la Grèce fait bel et bien faillite et sort de l'euro, ces trois-là pourraient vite se retrouver dans l'oeil du cyclone. Quand on y pense: ce sont là quatre pays européens qui ont tous connu — le dernier, jusqu'en 1975 — des régimes fascistes ou fascisants produits par des crises et des tensions sociales aiguës. L'Histoire pourrait-elle se répéter au XXIe siècle? *** Vous avez entendu parler des «trilemmes», ces situations qui s'apparentent à des dilemmes... mais opposent trois éléments au lieu de deux? Il y en a de plusieurs genres, dont celui qui dit que «vous ne pouvez pas être tout à la fois A, B et C» (ou «avoir» à la fois A, B et C). Quand deux termes sont présents, le troisième est exclu. Si vous avez A et B, C est hors de portée; si vous avez A et C, B n'est pas possible, et si vous avez B et C, alors c'est A qui devient inaccessible. Un exemple... C'est l'oeuvre d'un philosophe cynique, manifestement désabusé par la politique et le militantisme: «On ne peut pas être tout à fois militant, intelligent et honnête.» (Essayez les trois combinaisons... ça marche! Selon cet adage cynique, deux de ces qualités excluent forcément la troisième.) Aujourd'hui, c'est un nouveau trilemme qui accable les Grecs, énoncé par l'économiste turc Dani Rodrik dans son ouvrage The Globalization Paradox (non encore traduit). Un trilemme qui pourrait nous rejoindre tous, un jour ou l'autre, même si Rodrik le situe dans le cadre de l'Union européenne et de la monnaie commune: «Au XXIe siècle, on ne peut pas avoir tout à la fois la mondialisation, la démocratie et un État-nation souverain.» Ingénieux et angoissant. Il faudra certainement y revenir. *** François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants francobrousso@hotmail.com
Désintégration en Grèce
Athènes brûle tandis que le pays inventeur de la démocratie la voit aujourd’hui se dissoudre dans la dépression économique et l’humiliation nationale.
Géopolitique — Union européenne
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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