L'impuissance des Occidentaux. Encore une fois. Gracieuseté du veto russo-chinois au Conseil de sécurité de l'ONU, qui garantit une fois de plus la souveraineté des États, quelles que soient les horreurs couvertes en son nom.
Pourtant, samedi à New York, la proposition soutenue par la quasi-totalité des pays occidentaux et arabes sur la Syrie était tout sauf radicale. Pour répondre aux méfiances russes, les Marocains, Français et Américains qui la parrainaient avaient mis beaucoup d'eau dans leur vin. Beaucoup. C'était une résolution adoucie, symbolique, qui condamnait les violences en Syrie et appuyait, pour l'essentiel, une initiative de la Ligue arabe visant à encourager une transition politique à Damas.
Rien, absolument rien, pour autoriser une action militaire étrangère comme ce fut le cas de la résolution 1973 du 17 mars 2011, au même Conseil de sécurité, qui portait sur la «protection des civils» en Libye. On s'en souvient, ce mandat — adopté grâce à l'abstention in extremis et miraculeuse de Moscou et de Pékin — avait été interprété de façon très élastique par les Occidentaux. L'Alliance atlantique avait résolument soutenu — du haut des airs — le camp des rebelles anti-Kadhafi, outrepassant la lettre de cette résolution.
Russes et Chinois l'ont gardé en travers de la gorge. Samedi, ils s'en sont souvenus. Même en avançant une résolution à portée symbolique, même en raturant et en amendant jusqu'à plus soif, les Occidentaux se sont fait répondre par les deux puissances asiatiques: «Niet! Bu! Pas cette fois!»
Deux pays qui — les Américains n'ayant pas de monopole historique en la matière — ont notoirement «couvert», et couvrent toujours, bon nombre de petits copains dictateurs de par le monde: manifestement, Bachar el-Assad, grand client des Russes, en fait toujours partie...
Après tout, la Russie vend de grandes quantités d'armes à la Syrie: une immense cargaison est encore arrivée au port de Tartous, la semaine dernière. De quoi permettre à Bachar et à sa secte de se défendre encore un certain temps.
Si les manifestations populaires et les défections de militaires se poursuivaient à l'intérieur de la Syrie, il reste possible que les Russes en viennent à considérer Bachar el-Assad comme un allié encombrant. Et du jour au lendemain, sans pour autant souhaiter une «démocratisation» de ce régime... ils pourraient favoriser une révolution de palais à Damas.
Malheureusement pour les Syriens, on n'en est pas là. Pas encore.
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Un mot, pour finir, sur certaines hypothèses extraordinaires qui circulent sur Internet. Tapez «Syrie» + «impérialisme», et vous êtes en plein dedans. Sur les chats, c'est la logorrhée.
Je résume: il n'y a pas de révolte populaire en Syrie, seulement des infiltrations occidentales et des actes de groupuscules terroristes. Les manifestations anti-Assad présentées sur YouTube — littéralement des centaines de films — sont en fait des rassemblements pro-Assad, avec des légendes mensongères. Les 6000 morts de l'ONU sont pure invention. Le peuple dans son immense majorité est avec Bachar. L'Empire, après s'être «fait» la Libye, prépare maintenant l'invasion de la Syrie. Et si vous cherchez bien, vous trouverez même des descriptions de Homs et de Hama... selon lesquelles «rien de spécial» ne se passe là-bas.
Reconnaître que le peuple syrien — mosaïque de communautés et de confessions — ne parle pas d'une seule voix dans ce drame aux mille facettes, que l'opposition est divisée, que chrétiens et alaouites hésitent à se joindre à la révolte, c'est une chose. Reconnaître que Bachar est encore capable de réunir quelques dizaines de milliers de personnes, à Damas ou à Tartous, pour faire un bon film, certes. Ou que, dans cette révolte multiforme, exaspérée et désespérée contre le despotisme policier, il y ait des intégristes islamistes, des germes de racisme ou un début de violence, ben oui!
Mais de là à tirer de ces observations parcellaires des arguments pour discréditer le soulèvement syrien, minimiser la répression sanglante et encore une fois tout expliquer par les menées de l'Empire — unique source du Mal — tout en acclamant la Russie et la Chine, terres de liberté, pour leur bénéfique contribution à la paix et à la justice... il y a un pas que certains franchissent trop vite.
La révolte en Syrie fait partie intégrante du printemps arabe. Ses causes sont fondamentalement arabes et internes.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants
Syrie, l'impuissance
Géopolitique — Proche-Orient
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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