Think big, s'tie !

Des extravagances «francophoniques» pour nous engluer

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Nos pires ennemis sont parmi nous

Le lancement du Réseau des villes francophones et francophiles d’Amérique (RVFFA) a inspiré à Jean-Benoît Nadeau, chroniqueur au Devoir, des propos encore plus extravagants que ceux du ministre Jean-Marc Fournier.

Nadeau prétend dans sa chronique du 9 novembre 2015 que le RVFFA « intéressera les 20 millions de francophones du Canada et des États-Unis, et autant de francophiles ». Ça pulvérise le « 2,6 millions de francophones et francophiles » du Canada hors Québec selon Fournier. J’y reviendrai.

D’après Nadeau, le RVFFA est « une manière de renaissance du vieux concept du " Canada français ", mais à la sauce francophone 2015 ». C’est « le retour dans la famille francophone canadienne » de Fournier, à l’échelle continentale.
Nadeau estime que les Québécois doivent « redécouvrir leur véritable histoire – celle d’un peuple qui est chez lui au Wisconsin, au Wyoming, au Nouveau-Mexique ou au Rhode Island ». Encore plus songé que le « Mais si chez eux, c’était aussi un peu chez nous ? » de Fournier touchant le Canada hors Québec.

« Comme l’expliquait le maire [Régis] Labeaume, écrit encore Nadeau, " il y a 33 millions de francophones dans les Amériques […] Avant de vouloir développer le français, occupons-nous donc de ce qui est là ". »
33 millions ? J'y reviendrai aussi.

Ce gros chiffre aidant, Nadeau et Labeaume laissent entendre, dans la seconde moitié de cet énoncé, que ça ne presse pas de renforcer le statut du français face à l’anglais au Québec.

« Régis Labeaume espère un nouveau modèle de défense du français », nous apprenait Le Devoir du 15 juin dernier. « Les défenseurs de la langue française nuisent à leur cause en opposant le fait français à l’utilisation [de] l’anglais, a estimé [le maire] Labeaume. " Le militantisme francophone contre le bilinguisme, ça ne marche pas. Ça va prendre un militantisme francophone culturel plus moderne, plus ouvert " a indiqué le maire Labeaume, jugeant le message de revendication actuel " éculé, usé, érodé car approprié à des fins politiques ", par exemple par le mouvement souverainiste. »

La communauté de vues entre Labeaume et Fournier est parfaite. Ils dénigrent l'urgence d'agir en faveur du français au Québec comme n'étant rien qu'un stratagème indépendantiste.

Jusqu’où Nadeau est-il partie prenante dans cette combine ?
Comme nouveau modèle de défense du français, le RVFFA, organisme de promotion touristique parrainé par le maire Labeaume et le Centre de la francophonie des Amériques (CFA), me paraît aussi éculé, usé et érodé que le projet de rabaisser le Québec au rang de foyer principal des francophones du Canada que poursuivent Fournier et Couillard.

Remarquez que le CFA, créé par Jean Charest en 2008, relève du ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne. C'est-à-dire de Fournier.

Côté chiffres, maintenant. Pour mieux cerner l’usage qu’en fait Nadeau, examinons aussi quelques-unes de ses extravagances antérieures et allons-y progressivement, du Canada hors Québec jusqu'à l'ensemble du monde.

Nadeau affirme dans sa chronique du 9 février 2015 que « bien des Québécois connaissent très mal le Canada » et que le nombre de francophones hors Québec « oscille entre un et trois millions, selon la manière dont on fait le compte ».

Il exclut la manière de compter que la commission Laurendeau-Dunton jugeait préférable, laquelle donne 0,6 million de francophones hors Québec, selon la langue principale parlée à la maison.

Encore plus fantasque que Fournier, Nadeau compte comme francophone tout Canadien qui se dit capable de parler français. Il y en a 2,6 millions hors Québec. Ça fait 3 millions selon Nadeau, qui aime les chiffres bien ronds.

Nous savons qu'environ un million de ces individus ne pourraient « soutenir une conversation assez longue sur divers sujets » en français. Les compter comme francophones est abusif.

Le 10 novembre 2014, Nadeau avait qualifié d'« artificielle et ridicule » la distinction entre parler le français comme langue première et connaître le français comme langue seconde. C’est tout le contraire. Gommer cette différence compromet la juste appréciation des choses.

Parmi les « 20 millions de francophones au Canada et aux États-Unis » de sa chronique du 9 novembre 2015, Nadeau inclut sûrement les 10 millions de Canadiens qui disent savoir parler français. C’est déjà trompeur. Mais d’où tire-t-il un autre 10 millions aux États-Unis ?

Une manchette dans Le Soleil du 20 octobre 2015 nous met la puce à l’oreille : « 11 millions de francophones dans la mire de Québec ». Le texte précise que Labeaume « veut tabler sur 11 millions de locuteurs [du] français aux États-Unis » pour les attirer à Québec au moyen de son RVFFA.

Vérification faite, ce 11 millions ne regroupe que des États-uniens d’ascendance ou d'origine ethnique française. Par surcroît, 8 millions d’entre eux sont d'origine mixte, c'est-à-dire d'ascendance française mélangée à d'autres origines. La grande majorité de ces « francophones » ne savent sans doute pas parler français.

Les seules données du U.S. Census Bureau portant sur la langue indiquent que 1,3 million d’États-uniens parlent parfois ou toujours le français à la maison et que, parmi eux, 80 % savent parler l'anglais « très bien ». Il est plausible que la plupart ne parlent le français au foyer qu'à titre de langue secondaire.

Quoi qu’il en soit, d’où pourrait-on prendre 9 autres millions d’États-uniens sachant parler français ? Il serait mal avisé de les extrapoler à partir d'inscriptions à des cours de français, vu la perte de compétence constatée par Statistique Canada parmi les Canadiens hors Québec qui ne font qu'apprendre le français à l'école.

Quant aux 20 millions additionnels de francophiles au Canada et aux États-Unis, selon Nadeau, comme dirait Clotaire Rapaille, autre star du marketing, the sky’s the limit.

Que penser alors des 33 millions de francophones dans l'ensemble des Amériques, selon Labeaume et Nadeau ? Dans sa chronique du 23 février dernier intitulée « On est 30 millions, faut se parler », Nadeau nous entretient des « 20 à 30 millions de francophones des Amériques […] parmi les 275 millions de francophones dans le monde ».

Vingt millions, trente millions, quelle différence ? Think big, ’stie !
Nadeau tente d'accréditer sa trentaine de millions en tirant un gros chiffre de La langue française dans le monde 2014. Cette publication de l’Organisation internationale de la Francophonie affiche en effet un total mondial de 274 millions de personnes sachant parler français. Elle n’en compte, cependant, que 18 millions dans l'ensemble des Amériques. Ses auteurs n'ont pas jugé digne de foi le reste des 33 millions de Labeaume et Nadeau – qui se trouvent, par ailleurs, véhiculés aussi par le CFA.

Le 10 novembre 2014, Nadeau fait dire à cette même publication que la population francophone dans le monde a augmenté de 50 millions depuis l’édition de 2010. L’étude explique pourtant que cette croissance phénoménale provient, pour l’essentiel, de l’ajout dans l’édition 2014 de plusieurs pays additionnels, riches en habitants sachant parler français, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie.

L’étude précise que dans l’ensemble de pays étudié en 2010, qui comptait alors 220 millions de francophones, « nous recensons [en 2014] 228 millions de francophones ». Donc, une croissance réelle de 8 millions.

Un exalté de l’« avantage francophone » – pour reprendre une autre formule chère à Fournier – et qui joue de la sorte avec les chiffres et les mots, ne fait pas que nous induire en erreur. En le diluant dans une francophonie largement fantasmée, il banalise le caractère unique du Québec et détourne notre attention de l’urgence d’agir contre son anglicisation.


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4 commentaires

  • Gaëtan Lavoie Répondre

    13 décembre 2015

    Variations sur le même thème
    Les Jeux de la francophonie canadienne, une initiative de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, se veulent un des plus grands rassemblements jeunesse francophones du Canada. Ils sont financés par le gouvernement du Canada, par l’entremise du ministère du Patrimoine canadien. Les Jeux présentent une programmation unique où plus d’un millier de jeunes exercent leurs talents en art, en leadership et en sport, célébrant ainsi une jeunesse fière de faire partie de la francophonie canadienne.
    En tant que bénévole, j’ai eu l’occasion de participer à l'édition 2014 de ces J.F.C. qui s'est déroulée du 23 au 27 juillet 2014 à Gatineau, Québec. J’ai été quelque peu surpris d’entendre la plupart des athlètes, entraîneurs et accompagnateurs des provinces et territoires non seulement parler anglais entre eux, mais également s’adresser aux bénévoles de Gatineau en anglais. Ayant informé de cette incongruité le président d’honneur, M. Benoît Pelletier, celui-ci me répondit que les consignes étaient claires : tout devait se dérouler en français. C’était peut-être le cas dans les cocktails auxquels l’ancien ministre du gouvernement Charest a participé, mais certainement pas sur les plateaux de sport où l’on m’avait affecté. Les parents et entraîneurs du ROC devant lesquels je déplorais cette situation me rappelèrent simplement que les associations sportives de leurs régions respectives avaient beaucoup de mal à recruter des athlètes et des entraîneurs francophones. En conséquence, la plupart de ces derniers provenaient des établissements scolaires offrant des programmes d’immersion en français. Il me fut facile de valider cette information lors de mes conversations sur le terrain.
    C’est donc dire que le ministère du Patrimoine canadien s’adresse surtout aux non-francophones lorsqu’il finance ces activités de sensibilisation en vue d’assurer la sauvegarde et l’épanouissement de la culture et de la langue françaises au Canada. Je me réjouis fort de cet engagement du Canada envers les manifestations culturelles et sportives en français. Par contre, il faudra qu’on m’explique pourquoi Patrimoine Canada refuse toujours de subventionner le festival L’Outaouais en fête qui, bon an mal an, s’efforce d’apporter en français, aux citoyens canadiens, du bonheur pendant cinq jours, et d’instiller beaucoup de fierté dans notre réalité francophone. Prétexte : le mandat du festival L’Outaouais en fête (organisme communautaire) ne cadre pas dans la mission de Patrimoine Canada, dont l’énoncé apparaît ci-dessous.
    Le ministère du Patrimoine canadien formule des politiques et réalise des programmes visant à favoriser la participation de tous les Canadiens à la vie culturelle et civique commune. Il appuie les initiatives qui sollicitent la participation des Canadiens et qui les rendent fiers de notre patrimoine riche et diversifié. Les principales activités du Ministère comprennent le financement d’organismes communautaires et d’autres organismes externes pour promouvoir les avantages de la culture, de l’identité et du sport auprès de la population canadienne. Ce volet représente environ 80 pour cent de son budget total. (Réf. http://www.pch.gc.ca/fra/1266237377392 ).
    On ne s’étonne plus qu’une des exigences liées au poste de directeur général soit la maîtrise du français et de l’anglais, tant à l’oral qu’à l’écrit. N’avions-nous pas noté le même empressement à respecter cette exigence lors des Jeux d’hiver de 2010 à Vancouver ?

  • François A. Lachapelle Répondre

    13 décembre 2015

    Merci Charles Castonguay pour cette confrontation critique avec les chiffres gonflés aux stéroïdes par des idiots utiles et nuisibles.
    Oui, pensons globalement, mais agissons localement. Comment se fait-il que les LABEAUME-FOURNIER(le ministre ado)-NADEAU J.-B.(LE DEVOIR) puissent extrapoler globalement et joyeusement, mais incapables de mesurer la portée de leurs actions localement.
    L'inadéquation entre leur pensée magique et les faits d'anglicisation galopante de la jeunesse du Québec est évidente dans les médias et sur la place publique, dans les transports en commun.
    La promotion en français de la culture québécoise par des francophones comme LABEAUME-FOURNIER-NADEAU devrait être évidente. Ils en sont incapables et le motif principal est la "grosse tête" du succès par la gloire et par une "fausse" prospérité économique.
    L'enflure des LABEAUME-FOURNIER-NADEAU est un hochet qui fait diversion au profit des fédéralistes "canadians" et qui alimente l'acculturation et l'indifférence de plus grand que la seule ville de Québec: sous le leadership de la ville de Québec, tout le Québec veut s'engluer dans une dépersonnalisation universaliste.

  • Claude Richard Répondre

    12 décembre 2015

    Si Labeaume voulait faire quelque chose pour le français, il s'arrangerait pour que son Festival d'été de Québec et les autres spectacles sur les plaines reflètent la culture du Québec et de la francophonie. À l'heure actuelle, Québec n'est qu'une immense caisse de résonance pour la culture anglo-américaine. Alors, quand l'humble maire de Québec vient parler de "nouveau modèle de défense du français", il est aussi crédible qu'un batteur de femme qui parlerait d'un "nouveau modèle de féminisme". Il ferait mieux de se taire tout simplement. Mais ce n'est pas facile pour lui...
    Félicitations monsieur Castonguay! Vous avez brillamment pulvérisé les bobards de Jean-Benoît Nadeau!

  • Marcel Haché Répondre

    12 décembre 2015

    Jean Marc Fournier est élu par l'électorat le plus anti-Nous et le plus anti-Québec de tout le Québec, de tout le Canada et de toutes les amériques.
    Et ça fait longtemps que Le Devoir manque à tous ses devoirs, pis pas un peu, en s'tie.