La langue a finalement fait parler d’elle au cours des élections. Plutôt par la bande, mais c’est mieux que le rien du tout des débats télévisés.
Le Livre qui fait dire oui est paru à la mi-septembre. Option nationale y souligne notamment qu’une fois le Québec indépendant « il nous sera possible d’octroyer la citoyenneté en fonction de la connaissance du français ».
C’est de la bonne pédagogie. Le caractère premier de la société québécoise, son caractère français, exige la mise en œuvre d’une pareille disposition.
Deux semaines avant le vote, l’Institut de recherche sur le Québec invite les partis politiques en lice à faire leurs plusieurs propositions visant à renforcer l’identité québécoise dont : « Rendre l’octroi de la citoyenneté canadienne conditionnel à une connaissance suffisante du français pour les personnes résidant au Québec ».
Il reste au Bloc et au Parti québécois à forcer les autres partis à prendre position vis-à-vis d’une telle mesure. On peut s’attendre à ce qu’Ottawa la refuse.
Il sera alors clair qu’il est impossible de mettre en application cette mesure indispensable si l’on continue de faire partie du Canada. C’est cela, faire la pédagogie de l’indépendance.
Dans sa chronique du 1er octobre, Michel David s’attendait à ce qu’au dernier débat, Gilles Duceppe accuse Thomas Mulcair de leurrer les Québécois quand il se dit prêt à étendre les dispositions de la loi 101 aux entreprises québécoises de compétence fédérale. Le refus de Mulcair d’accorder au français le statut de langue de communication interne du NPD au Québec, dont témoigne la lettre d’Alain Picard dans le Devoir du 16 octobre, en dit long à cet égard.
L’occasion était également belle de coincer Mulcair sur l’obligation de connaître le français pour obtenir la citoyenneté canadienne au Québec. Sans cela, la motion du NPD reconnaissant au Québec le droit d’imposer aux immigrants l’apprentissage du français « d’abord et avant tout », adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes en 2009, n’est aussi qu’un leurre.
Duceppe a choisi durant le débat d’attaquer sur d’autres fronts.
C’est plutôt le ministre Jean-Marc Fournier qui a mis à profit le contexte électoral pour attaquer Duceppe. Dans le Devoir du 8 octobre, Fournier clame de nouveau le refus du gouvernement Couillard d’appuyer la proposition du Bloc d’étendre la loi 101 aux entreprises québécoises de compétence fédérale.
Philippe Couillard pratique en effet une pédagogie de l’unité canadienne à vous couper le souffle. Selon lui, au Québec le français se porte à merveille. Il faut donc renoncer à tout renforcement de la loi 101 – d’autant plus que cela risquerait de déclencher des représailles dont pâtiraient les francophones dans le reste du Canada !
Ceux qui veulent étendre la loi 101 aux entreprises fédérales ne visent par conséquent qu’à « promouvoir leur vision d’un Québec séparé d’un Canada anglais », comme l’écrit Fournier, au mépris d’éventuelles conséquences néfastes pour les minorités francophones. Dans l’optique de cette doctrine, Duceppe ne chercherait au fond qu’à faire avancer le projet d’indépendance, en provoquant au moyen de sa mesure une crise linguistique dans le reste du Canada
Ce serait amusant de voir comment, au nom de cette doctrine, Couillard pourrait s’opposer à ce qu’un candidat à la citoyenneté canadienne au Québec soit tenu de connaître le français.
Pour mieux diaboliser les indépendantistes, Fournier martèle le chiffre de 2,6 millions de francophones et « francophiles » à l’extérieur du Québec. À l’édition spéciale de l’émission Couleurs locales de la chaîne Unis, consacrée aux enjeux électoraux qui touchent les minorités francophones, Sylviane Lanteigne, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, renchérit. Elle soutient que ces « communautés […] rassemblent quand même 2,6 millions de personnes qui parlent français dans leur vie, à la maison, qui ne sont pas toutes de langue maternelle francophone, mais qui parlent français dans leur milieu ».
Le Livre qui fait dire oui n’aborde pas la question des minorités francophones. Il faut néanmoins se prémunir contre le prévisible chantage voulant que l’indépendance du Québec conduise nécessairement à leur perte.
Il importe d’abord de prendre le pouls véritable de leur situation. Le 2,6 millions de Fournier et Lanteigne ne correspond en fait qu’au nombre de personnes au Canada anglais qui, au recensement de 2011, ont déclaré connaître le français « assez bien pour soutenir une conversation ».
Cela ne témoigne pas d’un comportement. On peut se dire capable de faire quelque chose sans la faire en réalité.
Quelque 1,6 million des personnes en question étaient de langue maternelle anglaise ou autre. Peu d’entre eux parlaient régulièrement le français « dans leur vie, à la maison, dans leur milieu ». Un test mené par Statistique Canada permet d’estimer qu’environ la moitié ne pourrait même pas soutenir une conversation « assez longue sur divers sujets » en français.
Près d’un million de Canadiens hors Québec se disent ainsi capables de « soutenir une conversation » en français sans être capables de « soutenir une conversation assez longue sur divers sujets » dans cette langue. On peut toujours les appeler « francophiles », comme le fait Fournier, mais leur contribution à la vie en français demeure assurément négligeable. Et c’est parfaitement abusif de chiffrer à 2,6 millions, comme le fait Lanteigne, les effectifs francophones et acadiens hors Québec « qui parlent français dans leur milieu ».
La Commission Laurendeau-Dunton a jugé que l’énumération des minorités linguistiques se ferait le mieux selon la langue d’usage, ou langue parlée le plus souvent à la maison. À partir de 1971, les recensements recueillent cette information.
Entre 1971 et 2011, la population de langue d’usage française à l’extérieur du Québec est passée de 676 000 à 619 000. Et le taux d’anglicisation des personnes de langue maternelle française, mesurée selon leur langue d’usage, est passé de 27 à 40 %.
Voilà le bilan de 40 ans de bilinguisme à la canadienne et de refus de reconnaître l’existence au Canada d’une nation de langue française.
En entrevue avec Couleurs locales, Duceppe a relevé que l’anglicisation continue de compromettre l’avenir des minorités francophones. Les panelistes de cette édition spéciale ont néanmoins convenu, à l’instar de Fournier, que leur situation empirerait advenant l’indépendance du Québec.
Au vu du recul du français comme langue d’usage à l’extérieur du Québec, et du recul du français au Québec même, cela revient cependant à inviter les Québécois de continuer lentement mais sûrement à sombrer avec les minorités.
À l’émission Tout le monde en parle du 4 octobre, Duceppe a résumé de façon saisissante la situation : « Je pense que les Québécois méritent de s’adresser à l’universel en partant de ce que nous sommes. Parce que la triste réalité, c’est qu’il y a une assimilation fulgurante des Franco-Canadiens et des Acadiens. Et si on ne réagit pas, d’ici quelques décennies, ça va être comme dans la chanson Mommy. »
Autrement dit, le régime canadien compromet l’avenir du français tant au Québec que dans le reste du Canada. L’indépendance mettra le Québec, au moins, à l’abri de ce danger.
Duceppe va nous manquer.
Dans ma prochaine chronique je poursuivrai cette réflexion sur les minorités francophones et la pédagogie de l’indépendance.
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