Normalement, quand on doit se rabattre sur un " plan B ", c'est que nos affaires ne vont pas bien. Pour Jean Charest, en ce moment, ce serait plutôt le contraire : pondre en vitesse un plan de campagne hâtive pour profiter de la conjoncture favorable.
Après André Boisclair, la semaine dernière, c'est au tour de Jean Charest de faire un court pèlerinage à Paris. Disons que les nouvelles qui attendent le chef libéral à son retour sont meilleures que celles qui se sont abattues sur son adversaire péquiste cette semaine.
M. Boisclair a retrouvé un parti en révolte qui s'interrogeait publiquement sur la possibilité de changer de chef avant les élections toutes proches. M. Charest, lui, retrouvera un parti sur le pied de guerre qui n'attend que son signal pour se lancer en campagne.
Et l'idée de déclencher des élections dès février pour un scrutin en mars tente fortement le premier ministre. Sur le terrain, les organisateurs ont un pied sur le frein, un pied sur l'accélérateur. Encore un ou deux bons sondages, et ils obtiendront le feu vert qu'ils attendent impatiemment.
Et le budget fédéral, alors? Tant pis, se dit-on chez les libéraux. Idéalement, Jean Charest aurait attendu, en effet, le budget fédéral pour avoir en main les chiffres du règlement du déséquilibre fiscal. Mais Stephen Harper a décidé que ce budget sera déposé le 20 mars seulement, et les demandes de Jean Charest pour qu'il devance cette date ne l'ont pas fait changer d'idée.
Ce n'est peut-être, après tout, qu'un mal pour un bien. Le vent est bon en ce moment pour les libéraux de Jean Charest, alors pourquoi attendre M. Harper? Depuis l'automne dernier, des stratèges du PLQ plaident qu'il vaut mieux aller en élections avant le budget fédéral parce qu'il est plus facile de réclamer à Ottawa que de devoir se défendre de ne pas avoir obtenu suffisamment.
En plus, on peut penser que le budget fédéral tomberait en même temps que la campagne provinciale, ce qui mettrait beaucoup de pression sur M. Harper. Il serait malvenu, en effet, de laisser tomber Jean Charest à un moment aussi crucial. Stephen Harper sait que le reste du Canada le tiendrait responsable de l'élection du Parti québécois. Au point où il en est, M. Harper a plus besoin de Jean Charest que l'inverse. La défaite des libéraux à Québec mettrait un terme abrupt à sa politique de la main tendue.
Avec des élections québécoises comme enjeu, il est assuré que les libéraux et les néo-démocrates laisseraient passer le budget Harper pour ne pas nuire à Jean Charest. Même Gilles Duceppe deviendrait un allié précieux pour M. Charest en poussant Stephen Harper à en faire plus pour le Québec.
Le risque, évidemment, c'est de recevoir trop peu et de se faire accuser en pleine campagne électorale de vouloir régler le déséquilibre fiscal contre un plat de lentilles. Mais on entend parler ces jours-ci d'un montant avoisinant les deux milliards, ce qui fait pas mal de fric, tout le monde en conviendra.
En déclenchant rapidement des élections, Jean Charest obéirait par ailleurs au vieux principe politique qui dit qu'il est toujours préférable de garder son sort entre ses propres mains, de gérer soi-même son échéancier. Autrement dit, en matière d'élections, mieux vaut s'organiser soi-même plutôt que de se faire organiser.
En plus, il prendrait le Parti québécois de court, au moment où il se remet d'une crise et où son chef est affaibli. André Boisclair restera en poste, mais il a été sérieusement ébranlé. Scénario idéal pour les libéraux, qui cherchent justement à imprégner dans l'esprit des électeurs que M. Boisclair n'a pas l'étoffe d'un premier ministre.
Enfin, des élections rapides stopperaient l'ADQ avant qu'elle ne gagne trop de terrain. Pour le moment, le parti de Mario Dumont semble gruger davantage au PQ, mais s'il monte de quelques points, il débordera nécessairement dans l'assiette libérale.
Évidemment, l'opposition accusera Jean Charest d'incohérence et d'opportunisme s'il devait déclencher les élections avant le budget fédéral, mais les péquistes seraient plutôt mal placés pour critiquer, eux qui réclamaient à grands cris des élections dès l'automne dernier.
De toute façon, ce genre de critique sur le moment choisi pour déclencher un scrutin ne dure généralement jamais plus de 24 heures. Une fois que les caravanes sont parties, on ne regarde pas longtemps en arrière. Pas le temps, l'actualité débordante des campagnes est bien trop accaparante.
Jean Chrétien a fait le coup deux fois aux partis d'opposition, en 1997, au moment où le Manitoba vivait les pires inondations de son histoire récente, et en 2000, alors qu'il était lui-même incapable de dire où était l'urgence de déclencher des élections après moins de trois ans et demi de mandat. Il a été vivement critiqué, on lui a promis un ressac fatal dans l'électorat, mais il a remporté des majorités les deux fois.
En politique, la plus grande force d'un parti se trouve le plus souvent dans la faiblesse de ses adversaires.
Et pour une fois que Jean Charest se trouve du bon côté de l'équation, pas étonnant qu'il soit fébrile
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