Il est des philosophes qui aident à découvrir la pensée d’autrui. Alain de Benoist en fait partie. Fondateur de la Nouvelle droite, mouvement créé pour donner à la droite une assise intellectuelle et culturelle face à la déferlante de mai 68, Alain de Benoist s’est toujours efforcé de critiquer l’idéologie dominante.
Après avoir dénoncé les excès du marxisme et du freudisme, il n’est guère étonnant qu’il s’attaque aujourd’hui au libéralisme. L’intérêt de ce philosophe réside dans ses vastes références idéologiques, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite même si ces deux termes ne veulent pas dire grand-chose. Ainsi, l’auteur a beaucoup étudié Nietzsche, Marx, Heidegger, Evola, Sorel, Spengler, Freud ou encore Gramsci. C’est son livre sur Carl Schmitt qui a retenu notre attention : Carl Schmitt actuel, publié en 2007, dans lequel le philosophe explique une partie de la géopolitique américaine à l’aune de la pensée schmittienne.
Professeur de droit à l’université de Berlin pendant le troisième Reich, Carl Schmitt était loin d’être soutenu par la majorité du parti nazi qui voyait en lui un catholique un peu trop hégélien. Il n’était donc pas assez racialiste. Connu pour être un juriste hors pair, Schmitt a aussi développé un certain nombre de théories sur la politique et la guerre. À l’inverse d’Ernst Jünger, il n’attribue à la guerre aucune valeur esthétique et aucune vertu rendant à l’existence toute sa vitalité. Pour l’auteur allemand, la politique implique nécessairement la conflictualité.
C’est pourquoi, il faut toujours distinguer ses ennemis de ses amis. Ne pas désigner ses ennemis ou avoir une incertitude quant à la qualité d’ennemi ou d’ami constitue un immense danger et relève d’une vision impolitique. Selon Clausewitz, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Il voit donc ce qu’il y a de politique dans la guerre. Carl Schmitt voit ce qu’il y a de conflictuel dans la politique.
La théorie sur la désignation de l’ennemi a pris un certain sens après la chute du mur de Berlin lorsque les américains se sont retrouvés sans ennemi. Il a fallu s’en créer. La première étape est toujours de soutenir des régimes clairement islamistes. La deuxième étape est de se retourner contre eux en invoquant les droits de l’homme.
La dernière étape est d’occuper leurs pays pour y voler toutes les ressources minières ou pétrolières. Une autre méthode semble aussi assez à la mode : soutenir l’opposition aux nationalistes arabes et mettre aux pouvoirs des islamistes souvent proches de la nébuleuse Al-Qaïda et, le cas échéant, de l’Arabie Saoudite et du Qatar, alliés des américains.
La manière de faire la guerre a changé au cours du Moyen-âge au cours duquel elle a été codifiée. Schmitt oppose les guerres morales, les plus dévastatrices selon lui, aux guerres neutres qu’il privilégie. Une fois désigné, l’ennemi devient juste dans la mesure où il est reconnu. Il devient au titre d’ennemi titulaire d’un certain nombre de droits et de devoirs comme par exemple de ne pas s’attaquer aux tiers (les enfants, les femmes et les civils).
Lorsqu’on ne reconnaît plus à son adversaire le caractère d’humain, ce qui est le propre des guerres morales, ce dernier est assimilé au mal qu’il faut éradiquer par tout moyen. Dans ce paradigme, l’ennemi n’est plus un être politique mais un être moral. Les guerres morales entraînent donc une guerre totale et une destruction totale. Les interventions américaines relèvent évidemment de la notion de guerre morale. L’exemple le plus édifiant est probablement l’intervention en Irak au nom de la lutte contre l’axe du mal.
Le juriste allemand s’est aussi beaucoup intéressé au terrorisme qu’il définit comme étant une guerre en temps de paix. Par définition, le terrorisme ne cessera jamais. Pour les américains, il est assimilé au mal. La guerre totale ne prendra donc jamais fin. Sa critique de l’état d’urgence est en ce sens très intéressante. Pour lui, l’exception est par nature imprévisible.
Il est donc inutile de fixer à l’avance les moyens permettant d’y répondre. Dans une telle situation, le souverain doit décider. Il a donc le pouvoir de suspendre la loi. Schmitt récuse donc clairement le rationalisme constitutionnel en vertu duquel le souverain doit toujours respecter la règle de droit. « L’exception est à la règle ou à la norme ce que la guerre est à la paix ». C’est ce qui explique que les américains sont en état d’urgence permanent puisque la guerre contre le terrorisme ne prendra jamais fin.
Carl Schmitt s’est aussi intéressé à l’opposition terre-mer. La terre est assimilé à l’enracinement, à la règle tandis que la mer constitue le lieu de la liberté absolue, d’où l’impact du commerce maritime dans le développement du capitalisme. Dans une guerre, la mer, mais aussi l’air, permettent de détruire tout le commerce de l’ennemi et d’établir des blocus.
On pense naturellement au blocus maritime et aérien que les irakiens ont subi sous Saddam Hussein et qui a abouti à la mort de 500 000 enfants, dont personne ne parle jamais. Là encore, ce sont des tiers qui ont péri par l’effet de la guerre morale.
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