De nombreux aléas

L'affaire Mulroney-Schreiber


Les apparences sont parfois trompeuses. Qu'elle soit présidée par un juge ou un magistrat retraité, une commission d'enquête n'a rien à voir avec une cour de justice. En principe, cette officine étatique n'est que le prolongement du pouvoir exécutif. En faisant rapport au gouvernement sur un problème d'intérêt public, l'organisme d'enquête est censé servir le bien commun. Tel fut le cas de la Commission Johnson sur l'effondrement d'un viaduc à Laval.

L'acte de naissance d'une commission d'enquête relève du bon vouloir d'un premier ministre. Il en va de même de la teneur du mandat qui lui est confié. L'expérience démontre qu'une commission d'enquête, contrainte de naviguer en eau trouble, aura tendance à se comporter comme un bateau ivre.
Lorgnant les premières loges, la classe journalistique salive goulûment. Dès la mise en spectacle d'une enquête publique, le problème est de savoir jusqu'où l'objectif recherché sera respecté, et à partir de quand, inversement, il sera instrumentalisé, voire perverti.
Souvent, les médias portent une part de responsabilité quant au dévoiement d'une commission d'enquête. Ils deviennent la loupe du processus de spectacularisation. Sous prétexte de clarté pour le public, on grossit le trait de la simplification. Il arrive même qu'on passe du simple au simplisme. Les règles de procédure régissant l'inquisition du commissaire-enquêteur sont habituellement si poreuses que tout se mélange.
Faut-il le rappeler? Dans le forum d'une commission d'enquête, la présomption vaut preuve!
En principe, la détermination des faits et la recherche de la vérité doivent s'effectuer dans un cadre normatif respectant les valeurs fondamentales suivantes: la dignité de la personne, le droit à la réputation et la présomption d'innocence.
L'ancien juge en chef de la Cour suprême, Brian Dickson, a déjà dit que la présomption d'innocence - pierre angulaire de notre système judiciaire et de notre société démocratique - protège autant la liberté de l'innocent passé en justice que la réputation de celui qui est sommairement jugé sur la place publique.
Présomption d'innocence
Hélas, dans l'esprit des gens, cette règle cardinale n'est que l'envers d'une présomption de fait: la culpabilité probable. En effet, dans un État de droit, sans la contamination des esprits par un sentiment de culpabilité présumée, on n'aurait guère besoin de la présomption d'innocence.
Autrement dit, devant le commissaire-enquêteur (et un très large auditoire), Brian Mulroney aura le très lourd fardeau de prouver son innocence. Ensuite, sera peut-être rétablie la présomption du même nom. À l'évidence, c'est le pari qu'il semble disposé à relever. Laissons-lui la chance de s'expliquer.
Le Parlement canadien a sagement prévu, dans sa Loi sur les enquêtes, que la rédaction d'un rapport défavorable à un citoyen ne saurait intervenir sans que la personne concernée n'ait, au préalable, reçu un préavis suffisant de la faute imputée et, surtout, sans avoir eu la possibilité de se faire entendre.
La Cour suprême (affaire du sang contaminé) a convenu qu'une bonne réputation représente la valeur la plus prisée pour la plupart des gens. D'où, l'exigence d'équité procédurale dans la conduite d'une commission d'enquête.
Qu'est-ce à dire au juste?
S'agissant d'enquête gouvernementale, l'une des circonstances importantes devant être prise en compte a trait au caractère public des audiences et à la télédiffusion des débats. Ces éléments augmentent d'autant l'impact des travaux d'une commission d'enquête sur les participants et les témoins. La nature inquisitoire d'un processus d'enquête publique n'en comporte pas moins une atteinte potentielle aux droits des personnes. Par ses travaux, une commission d'enquête peut avoir un impact important sur la carrière et la réputation de tout un chacun dont le nom figure au coeur, voire même à la marge, de la tempête politique.
Sur la foi de la preuve administrée devant lui par ses propres procureurs, le commissaire désigné ne pourra conclure à l'existence d'une faute que si ses conclusions de fait sont nécessaires à la réalisation de l'objet de son enquête.
En somme, l'ampleur de son investigation (ou ses débordements potentiels) sont liés aux précisions du mandat rédigé par le gouvernement. Il reste à voir les finesses d'analyse et les savants calculs politiques qui vont guider le premier ministre Harper dans la rédaction du mandat de la commission d'enquête.
Sous réserve de la teneur et des limites de son mandat, rien n'empêche le commissaire désigné d'entendre en privé les témoins périphériques et, dans une étape préliminaire, de résumer cette preuve en la rendant publique. Ensuite, il pourrait concentrer ses efforts sur les acteurs principaux visés par l'enquête.
N'en déplaise aux amateurs de spectacle, cette façon de faire aurait le net avantage de raccourcir les audiences publiques et de sauver aux contribuables quelques millions de dollars…
***
Jean-C. Hébert
L'auteur est avocat.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé