Le gouvernement Legault envisage d’aller de l’avant avec l’une des principales recommandations du rapport de la députée caquiste Claire Samson sur la langue, celle de créer un poste de Commissaire à la langue française relevant de l’Assemblée nationale. C’est une idée sensée.
À l’origine, la loi 101 avait prévu la mise sur pied de l’Office de la langue française et de la Commission de surveillance de la langue française. Le premier était chargé principalement de la promotion de la langue française et de la certification des entreprises de 50 employés ou plus. Le second organisme était responsable du traitement des plaintes et du respect de la loi.
En 1984, la Commission de surveillance de la langue française, affublée de l’appellation de « police de la langue » par les médias anglophones, devenait la Commission de protection de la langue française (CPLF). En 1993, le gouvernement Bourassa fusionnait l’Office de la langue française avec la CPLF, l’entité fusionnée devenant l’Office québécois de la langue française (OQLF). En 1997, le gouvernement Bouchard recréait la CPLF, que le gouvernement Landry, en 2002, fusionnait de nouveau avec l’OQLF.
D’aucuns considèrent que l’OQLF, chargé de la promotion de la langue française auprès des entreprises avec lesquelles il doit entretenir des relations constructives basées sur l’information, le dialogue et la collaboration, est en conflit avec lui-même quand il s’agit de sanctionner les contrevenantes.
Mais il y a plus : l’OQLF, sous l’autorité directe du ministre, fut soumis à des pressions politiques quand il fut question de dresser un portrait objectif de la situation linguistique au Québec, un suivi qu’il doit rendre public tous les cinq ans en vertu de la Charte de la langue française.
On se souviendra du règne autocratique de la libérale France Boucher, qui avait livré, en 2008, un rapport quinquennal sur la situation linguistique et 19 études en vrac sans toutefois fournir de constat sur l’état de la langue française au Québec. Par la suite, en commission parlementaire, France Boucher s’en était prise avec insolence au comité de suivi responsable des études et formé de chercheurs éminents, soulignant qu’elle avait dû « nettoyer la soue » à son arrivée à la tête de l’OQLF. Quatre membres du comité de suivi avaient démissionné en guide de protestation.
Les gouvernements Charest et Couillard ont eu tendance à mettre l’accent sur les aspects positifs de la situation linguistique et à gommer les éléments négatifs, ce qui a miné l’objectivité dont doit faire preuve l’OQLF dans son évaluation. « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes », était leur leitmotiv. La crédibilité de l’organisme a été entachée et sa capacité à donner l’heure juste, mise à rude épreuve.
En relevant de l’Assemblée nationale, le commissaire jouirait de toute l’indépendance voulue pour évaluer l’efficacité des mesures de protection et de promotion mises en oeuvre par le gouvernement, y compris en matière de francisation des immigrants. Il pourrait se montrer critique, ce que l’OQLF ne peut manifestement pas faire. Il traiterait les plaintes des citoyens et mènerait des enquêtes, un rôle qui était dévolu à la CPLF. Mais de plus, il devrait assurer le suivi de la situation linguistique et fournir un état des lieux objectif. En prenant sous son aile les activités du Conseil supérieur de la langue française, qui serait aboli, le commissaire pourrait faire des recommandations au gouvernement.
De même, le commissaire devrait scruter les pratiques de l’administration publique, qui doit cesser de communiquer en anglais avec des citoyens ne faisant pas partie de la minorité historique de la langue anglaise. C’est ce que viennent d’ailleurs de réclamer les jeunes caquistes réunis en congrès. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement Legault devra mettre en vigueur l’article de la loi 104 qui veut que l’État communique uniquement en français avec les personnes morales. Le commissaire devrait en outre se pencher sur la bilinguisation croissante de la fonction publique québécoise et sur l’exigence généralisée de bilinguisme imposée à l’embauche dans le secteur privé.
Le gouvernement caquiste ne doit pas oublier l’enjeu de la langue de travail. Inscrit dans la Charte de la langue française, le droit de travailler en français est souvent bafoué. L’État doit s’atteler à la francisation des entreprises de 25 à 49 employés, non visées par la Charte à l’heure actuelle, comme le recommandait le rapport Samson.
Au début de la prochaine année, le gouvernement Legault prévoit présenter son plan d’action sur la langue française. Ce sera pour lui l’occasion de montrer jusqu’à quel point il entend se démarquer de l’indolence et du laisser-faire qui a caractérisé en la matière le règne libéral.
Une erreur s'est glissée dans une version précédente de cet éditorial, à propos de l’article de la loi 104 qui veut que l’État communique uniquement en français (et non en anglais comme il était écrit) avec les personnes morales. Nos excuses.