Chaque fois qu’un individu fait une sortie alarmiste pour nous informer que l’homme, la planète, la démocratie ou la paix sociale sont perdus ou à moins une de l’être, je hausse un sourcil. Et plus le message est extrême, plus il est digne d’un bon film catastrophe américain bien pourri, plus je roule des yeux.
Il ne sera aucunement question ici de remettre en cause l’immense responsabilité générale qu’il nous revient de prendre pour la planète et le fait qu’on ait sévèrement déconné, écologiquement parlant, ces deux derniers siècles. Il n’est pas non plus question de fermer les yeux sur le continent de plastique ni sur notre culture du gaspillage, pas plus que sur la déforestation sauvage et sur tout ce que l’activité humaine a de plus irresponsable. Toutefois, là où j’ai envie de mettre le holà, c’est à ces discours propagés par ces mêmes prédicateurs d’apocalypse prochaine qui, s'ils parlent aujourd'hui d'environnement plutôt que de jugement dernier, sévissaient déjà il y a plus de 2000 ans.
Très tôt, dans ma jeune vie intellectuelle, je me suis passionnée pour l’histoire des religions. Sur la manière qu’elles avaient de parvenir à mettre le grappin et à forcer leur conception du monde sur l’esprit des gens, et à s’enraciner profondément dans leurs vies à travers les moindres structures et coutumes sociales. À force de patauger dans ces eaux, je me suis bien vite rendu compte que tout le succès d’une entreprise dogmatique, religieuse ou pas, repose toujours sur trois principes de base : le manichéisme, qui rejette toute nuance pour départir le Bien du Mal, la peur et la culpabilité.
Le manichéisme a de pratique qu’il permet l’affrontement net hors des zones grises où on hésite encore à descendre celui qui, pas plus tard qu’hier, était notre voisin, au nom d’une idée ou d’une croyance. La peur, quant à elle, trouve tout son génie dans le fait qu’elle pousse, dans un premier temps, à l’immobilisme morbide, puis dans un second, quand la panique s’en mêle, à ne plus réfléchir du tout et à accepter n’importe quoi, même les idées les plus sordides, comme une guerre civile, un génocide ou l’acclamation d’une dictature. Enfin la culpabilité a de payant qu’elle contraint par le cœur et l’esprit à l’obéissance civile, morale et spirituelle. C’est ce qui fait que, de tout temps, des préceptes magnifiques et honorables comme l’amour du prochain, la paix dans le monde ou encore la sauvegarde de notre précieuse planète, en viennent à se traduire concrètement par les pires violences ou les plus indicibles confusions sociales.
Sauf que je me dis qu’au-delà de ces épouvantails et oiseaux de malheur, qui parient depuis toujours sur notre sentiment de solitude et d’impuissance devant les évènements, il y a un monde qui n’attend pas pour vivre et qui est las des prophéties à deux ronds qui ne se réalisent jamais et qui nous font perdre un temps précieux à tous. D’où l’impérative nécessité d’être apocalypto-sceptique. Car, à mon avis, il faut bien se donner une chance quelque part. Personne ne connaît l’avenir, alors tous les paris sont nécessairement ouverts, non?
Posons la question simplement : si l’humanité a déjà franchi le point de non-retour, à quoi bon s’enlever les doigts du nez et se lancer dans les actions réparatrices? Pourquoi, puisque l’acte de fin est, semble-t-il, déjà signé, ne pas profiter du confort de l’immobilisme et de l’irresponsabilité jusqu’à ce que la terre, les volcans, la mer et le ciel ne nous engloutissent une bonne fois pour toutes?
Maintenant, parlons concrètement : comment s’imagine-t-on vraiment pouvoir faire une différence à l’échelle planétaire autrement qu’en commençant par nous prendre en main, ici, pour protéger cet Éden entre tous qu’est le Québec? En devenant un exemple de responsabilité et de bienveillance sociale et écologique? Nous ne pouvons que faire notre part et encourager, par l’exemple de nos réussites prochaines, les autres nations à emboîter le pas. Plusieurs pays dans le monde ont déjà érigé en fierté et en exemple cette grande prise de conscience et de responsabilité, alors qu’est-ce qui nous empêche, à notre tour, de nous en faire une fierté collective et nationale?
Je me dis que l’autodétermination d’un peuple, sans même parler d’indépendance, commence le jour où ce dernier arrête de faire aveuglément confiance à tous sauf à ses instincts. Le jour où il décide de se faire une tête par lui-même sur tout ce qui le préoccupe et le concerne, au lieu de se laisser être l’esclave de discours subjectifs qui se prétendent être des vérités indiscutables.
En bref, un peuple prend les rênes de son destin le jour où il commence à se faire confiance. Ça fait plus de 2000 ans qu’on nous annonce que la fin est pour bientôt. Que des illuminés nous font des peurs pour mieux remplir les bancs de leurs temples ou leurs cartes de membre. C’est un vieux spectacle mille fois refait et dont les costumes empestent la vieille boule à mites. Il est temps, je crois, de se calmer les nerfs, si on veut donner un vrai bon coup de collier, car rester calme ne veut certainement pas dire ne rien faire. Au contraire, puisque nous aurons besoin de tout notre calme pour nous acquitter intelligemment et durablement de la tâche qui est dévolue à notre époque : celle de réparer deux siècles d’insouciance, de gaspillage et de cupidité.
Et, vous voulez que je vous dise? Le plus beau là-dedans, c’est que nous avons tout ce qu’il faut pour réussir.