L'ambassadeur américain au Canada a bien raison d'être insulté des résultats du sondage international publié la semaine dernière dans La Presse, le Toronto Star, ainsi qu'au Mexique, en Grande-Bretagne et en Israël.
Ce n'est peut-être pas "normal", en effet, que les citoyens du plus grand allié naturel des États-Unis considèrent que le président américain est un des personnages les plus dangereux de la planète. Mais on aura beau accuser le sondage, irrévérencieux sans aucun doute, on aura beau dire qu'il présente une vision simpliste... c'est tout de même là qu'en sont rendues nos relations, ou plutôt notre perception du pouvoir à Washington. Les élections d'hier n'y changeront rien - elles suggèrent au contraire qu'on n'est pas seuls à tenir en piètre estime George W. Bush.
En même temps, les débats sur les relations avec les États-Unis sont un thème éternel de la politique canadienne. Ce pays s'est tout de même construit littéralement par opposition et par résistance aux États-Unis.
Ce qui est vraiment extraordinaire, c'est de voir combien, en 40 ans, les choses se sont renversées. Aux élections fédérales de 1963, le premier ministre John Diefenbaker, conservateur, s'est fait battre par les libéraux de Lester B. Pearson... en bonne partie parce qu'on l'a accusé d'être "antiaméricain".
À l'époque, c'étaient les libéraux qui étaient plus favorables à la politique étrangère américaine, et les conservateurs plus réticents. À la Maison-Blanche, John F. Kennedy s'impatientait des hésitations du gouvernement conservateur, qui n'a pas voulu le suivre immédiatement lors de la crise des missiles cubains. Diefenbaker, avant de déployer la défense canadienne, demandait que des preuves plus convaincantes soient apportées de la présence de missiles nucléaires soviétiques au pays de Fidel Castro.
Kennedy, contrairement à Bush, incarnait le progressisme, et avait la faveur des libéraux. Il n'en avait pas moins une politique étrangère musclée - c'est lui qui a envoyé les premiers contingents importants de soldats américains au Vietnam. Kennedy, qui n'était pas préparé à se faire dire non, exigeait du gouvernement canadien de poster sur son territoire des missiles nucléaires, les fameux Bomarc, pour défendre le continent.
Diefenbaker accepta pour les missiles... mais à condition qu'ils ne soient pas chargés de têtes nucléaires. Pearson, Prix Nobel de la paix, soutenait au contraire la demande américaine: il fallait coopérer à la stratégie nucléaire américaine contre l'URSS. Les Américains étaient furieux contre Diefenbaker et les journaux de l'époque très critiques à son endroit.
Dans son classique de la science politique canadienne, Lament for a Nation, George Grant écrivait dans les années 60 que le nationalisme canadien était mort pour ainsi dire avec la défaite de Diefenbaker. Les partisans du modernisme étaient forcément pro-américains à l'époque, et avec eux, l'idée même de souveraineté canadienne devenait illusoire, déplorait Grant. Ceux qui avaient des réticences face aux États-Unis, comme Diefenbaker, étaient des conservateurs encore attachés à la Grande-Bretagne, donc les ruraux, les gens de petites villes, qui ne faisaient plus le poids face aux puissants des grandes villes.
"Nous ne sommes plus en présence de deux grandes puissances nucléaires de force égale. À mon avis, les États-Unis jouissent, de nos jours, d'un pouvoir prépondérant dans le monde, sans l'ombre d'un doute. Cet avantage (...) peut engendrer une grande tentation. Quand on est le garçon le plus costaud de la cour de récréation, il est très tentant de bousculer tous les autres."
Ces paroles, qui ressemblent à ce qu'on entend à gauche depuis plusieurs années, ont été prononcées par le ministre conservateur des Affaires extérieures, Howard Green, en 1963. Elles disent combien le Canada, mais aussi les États-Unis, ont pu changer en 40 ans.
Après les bouleversements spectaculaires des années 60 et 70, où les mouvements progressistes explosaient aux États-Unis (du féminisme à la contre-culture, au pacifisme, etc.), la politique américaine et le discours public du dernier quart de siècle ont vu une renaissance des conservateurs américains et une domination des républicains.
Il n'est donc pas si étonnant de voir que ce sont les conservateurs canadiens, aujourd'hui, qui sont en meilleure intelligence avec la présidence. On peut ajouter à cela que les conservateurs canadiens se sont américanisés, vu que plusieurs ont trouvé de l'inspiration dans les doctrines de la nouvelle droite. Qui s'est le plus fermement opposé à la politique étrangère américaine depuis 35 ans? Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien. Qui ont été les champions de la bonne entente depuis 20 ans? Brian Mulroney et, apparemment, Stephen Harper.
Il y a à l'oeuvre plusieurs phénomènes que George Grant ne pouvait pas prévoir... mais sur lesquels l'ambassadeur David Wilkins pourra se pencher pour digérer les sondages... et les résultats d'hier.
Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca
États-Unis: Élections de mi-mandat
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