Le fait divers, surtout dans sa version sanglante et meurtrière, fascine. Les médias populaires en ont toujours fait leur nourriture principale, satisfaisant ainsi l'appétit d'un grand public qui en redemande. Pour un Pierre Bourdieu qui dénonce l'abus médiatique de «cette sorte de denrée élémentaire, rudimentaire de l'information qui est très importante parce qu'elle intéresse tout le monde sans tirer à conséquence et qu'elle prend du temps», on trouve un Roland Barthes qui explique cette fascination en notant que le fait divers «est structurellement une information totale et immanente, puisqu'il ne nécessite aucune connaissance de son avant et de son après pour être compris».
Au Québec, l'éditorialiste Mario Roy justifie la présence médiatique du fait divers en affirmant qu'il «est l'ultime révélateur des lignes de fracture d'une société, de ses gouffres moraux, de ses hypocrisies, de ses lâchetés et de ses injustices. Le révélateur, aussi, des failles de l'âme humaine, de tout ce qu'on aimerait mieux ne pas y voir».
Le chroniqueur historique outaouais Raymond Ouimet, dans ce débat, se range dans le deuxième camp, celui de ceux qui accordent une valeur symptomatique au fait divers. «Le crime, écrit-il dans l'avant-propos de Crimes, mystères et passions oubliés, ignore les barrières de classes et il éclaire, sous un angle différent, les personnes et les choses du passé. Son étude révèle la simplicité et les secrets d'une réalité quotidienne; c'est en quelque sorte la porte arrière de l'histoire qui permet d'aller à la rencontre des passions et des faiblesses humaines, folie comprise. Miroir d'un passé vivant, le crime reflète une manière de voir et de penser, et constitue un baromètre de la civilisation.»
Un tel point de vue est bien sûr contestable. Toutes les époques ont eu leurs détraqués et leurs enragés, et il est loin d'être évident que ces derniers représentent autre chose qu'eux-mêmes. Il reste qu'ils ont existé et agi dans des contextes particuliers que leurs gestes peuvent faire ressortir. Ainsi, les cinq histoires sordides que raconte Ouimet dans cet ouvrage offrent, en effet, un point de vue original et passionnant sur le Québec d'hier.
Une d'entre elles met en vedette Amédée Papineau, fils du célèbre Louis-Joseph, grand chef des Patriotes. Amédée meurt en novembre 1903, à l'âge de 84 ans. Jusque-là, rien de spécial à signaler. Or, 76 ans plus tard, la fille du dernier médecin à avoir vu et soigné Papineau fait des déclarations qui lancent la rumeur selon laquelle Amédée serait mort empoisonné. Qu'est-ce que cette histoire?
Il faut savoir qu'Amédée est un original. Il accuse G.-É. Cartier, père de la Confédération, d'avoir «aidé à noyer notre province française du Québec dans une majorité anglaise», mais il prône l'annexion du Québec aux États-Unis et correspond avec ses enfants en anglais! Il abjure, de plus, la foi de ses pères et fréquente Chiniquy, qui célèbre la victoire anglaise sur les plaines d'Abraham.
Sur un plan plus privé, Amédée n'est pas moins excentrique. À 75 ans, il s'éprend de Jane Iona Curren, 22 ans, une de ses servantes au manoir de Montebello. Il déclare d'abord l'avoir adoptée, avant de l'engrosser et de l'épouser! Jane, sa vie durant, se plaint de malaises mystérieux aux causes tout aussi obscures. «Sans doute n'est-il pas tous les jours facile d'avoir pour mari un homme de l'âge de son grand-père et dont les activités manquent sans doute d'attrait aux yeux de la jeune femme, note malicieusement Ouimet. La maladie ne serait-elle pas, pour Iona, une façon de s'évader fréquemment du manoir et ainsi s'éloigner de son vieil époux?» La malade, en tout cas, vivra jusqu'à 76 ans et, devenue veuve, mariera un de ses médecins.
La rumeur de l'empoisonnement provient donc de la fille du docteur Barolet et repose sur une mystérieuse piqûre qu'Amédée déclarera avoir reçue, alors que Barolet n'y est pour rien. Qui cache quoi dans cette affaire? L'histoire ne le dit pas.
Autres faits divers
Les autres faits divers racontés par Ouimet sont plus classiques et ont tout du crime passionnel, une hypothèse plausible dans le cas de Papineau aussi. En 1900, encore à Montebello, Stanislas Lacroix, un jaloux fini, assassine sa femme et un vieillard. Il sera pendu. En 1929, à Montpellier, toujours dans la région de l'Outaouais, Marie Beaulne, une femme pauvre à la «sexualité gourmande», et son amant, Philibert Lefebvre, sont condamnés à mort pour l'empoisonnement à la strychnine du mari, Zéphyr Viau. «Dieu seul donne la vie, et Dieu seul a le droit de la reprendre», déclare le juge en les envoyant à la potence. Était-il conscient que son geste contredisait ses paroles, demande Ouimet, en rappelant que, déjà à l'époque, plusieurs voix s'opposaient à la barbarie de la peine de mort.
En 1930, à L'Annonciation, petit village entre Mont-Laurier et Saint-Jovite, Arthur Nantel est tué par balle derrière sa boutique. Sa femme, Maria Jolicoeur, et l'amant de cette dernière, Édouard Thomas, sont accusés et se dénoncent mutuellement. Elle sera acquittée, mais ostracisée par la population, et lui, condamné à mort. En 1934, enfin, à Lachute, les deux enfants du boucher Grégoire Raymond meurent d'empoisonnement. La coupable serait-elle Aurore Lavigne, ex-maîtresse de l'homme? A-t-elle envoyé les chocolats à la strychnine qui ont tué les petits? Le rôle du couple Raymond n'est pas clair non plus. On ne saura jamais, d'ailleurs, le fin mot de cette triste affaire.
En nous plongeant dans le noir d'un certain passé québécois, Raymond Ouimet contribue à «l'étude du crime au Québec», mais nous offre surtout cinq récits historiques captivants. Doit-on se sentir coupable de prendre plaisir à les lire?
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louisco@sympatico.ca
Crimes, mystères et passions oubliés
o Raymond Ouimet
o Vents d'Ouest
o Gatineau, 2010, 264 pages
Essais québécois
Dans le noir du passé québécois
Cinq récits historiques captivants
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