La crise politique, sur fond de débâcle économique, qui vient de s’ouvrir à Ottawa change complètement les perspectives de l’élection québécoise. Dans le discours du Trône, Stephen Harper avait annoncé son intention de marginaliser le Québec au sein de la fédération canadienne en procédant à une réforme du Sénat mais, surtout, en apportant des modifications à la carte électorale dans le but d’augmenter d’une douzaine de circonscriptions la représentation des provinces de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et de l’Ontario.
Stephen Harper signifiait ainsi qu’il renonçait définitivement à courtiser le Québec pour les sièges qui lui permettraient, lors d’un prochain scrutin, de former un gouvernement majoritaire. Sur les recommandations de son mentor Tom Flanagan, Stephen Harper cherchera désormais sa majorité parlementaire en faisant des gains auprès de l’électorat ethnique des banlieues de Toronto et de Vancouver, où les nouvelles circonscriptions seraient créées.
Le dépôt de l’énoncé économique du ministre des Finances Jim Flaherty confirmait la mise à l’écart définitive du Québec avec la réduction des montants de la péréquation et l’absence totale de mesures pour venir en aide aux secteurs industriel et forestier durement frappés par la crise économique.
Le Bloc et la balance du pouvoir
Mais, par un extraordinaire renversement de situation, le Bloc Québécois peut aujourd’hui poursuivre sur la lancée qui lui a permis d’empêcher la formation d’un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa. Non seulement la victoire du Bloc empêche l’interdiction du droit de grève dans la fonction publique fédérale, le rejet des programmes d’équité salariale et la destruction des partis d’opposition par l’assèchement de leur financement, mais elle permet la formation d’un gouvernement de coalition des libéraux et du NPD. Hier, Harper voulait marginaliser le Québec; aujourd’hui, le Québec se retrouve avec la balance du pouvoir ! Quel revirement !
Toutefois, la crise est loin d’être terminée et il est difficile d’en prévoir les conséquences. Cependant, déjà, nous voyons les forces conservatrices et plusieurs commentateurs politiques de Toronto et de l’Ouest du pays accuser les libéraux et le NPD de poser un acte contre-nature en s’associant aux « séparatistes » du Québec et il n’est pas exclu que nous assistions éventuellement à un ressac anti-Québec dans le reste du Canada.
Rappelons-nous de l’après-Meech
Dans ces circonstances, la crise pourrait facilement mener à une montée de l’effervescence nationaliste au Québec comme au lendemain de l’échec de l’entente du Lac Meech. Les souverainistes se souviennent très bien que l’indépendance leur a alors échappé, même si plus de 60% de la population y était favorable selon les sondages, parce que le Québec était dirigé par le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Il ne faudrait pas se retrouver dans une situation analogue. L’indépendance du Québec semblait, hier encore, une perspective bien lointaine, mais elle pourrait rapidement s’imposer comme la seule issue québécoise à la crise.
Un seul choix : marginalisation ou indépendance
La perspective développée par le gouvernement Harper de pouvoir désormais gouverner le Canada sans le Québec a été saluée avec enthousiasme par des commentateurs politiques chevronnés comme Jeffrey Simpson de Toronto et Norman Spector de Vancouver. À cause d’une conjoncture politique bien particulière, le Québec peut y échapper cette fois-ci, mais la chute du poids démographique du Québec dans la fédération canadienne devra tôt ou tard se traduire par une nouvelle répartition des sièges à la Chambre des communes. On ne pourra s’opposer longtemps au principe démocratique fondamental de la représentation selon la population. Deux solutions sont possibles : un statut particulier pour le Québec – ce qui a déjà été refusé pour bien moins lors de Meech – ou l’indépendance du Québec.
La crise politique actuelle offre une chance inespérée aux forces souverainistes de préparer le terrain pour faire valoir éventuellement leur solution à la crise constitutionnelle canadienne avec l’indépendance du Québec. Mais, pour cela, il faut élire un gouvernement du Parti Québécois à Québec. En laissant la porte ouverte à la tenue d’un référendum sur la souveraineté, Mme Marois maintient cette option au jeu.
Finalement, nous sommes devant un choix similaire à celui qui se présentait à Ottawa. Ou bien nous réélisons un gouvernement dirigé par le conservateur Jean Charest dont il est facile d’imaginer – son premier mandat nous l’a amplement démontré – qu’il prépare pour faire face à la crise des mesures semblables à celles de l’énoncé économique de Jim Flaherty. Ou bien nous nous arrimons à la coalition nouvellement créée à Ottawa avec l’élection du Parti Québécois. Mme Marois pourra alors répéter fièrement qu’elle a les « mains liées » à celles du Bloc Québécois et à celles de tous les souverainistes québécois.
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Marc Laviolette et Pierre Dubuc
Respectivement président et secrétaire de Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre)
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