La crise économique qui a débuté aux États-Unis est généralement présentée comme le résultat de politiques néolibérales appliquées par la droite républicaine depuis des années, voire des décennies. Bien que cela soit vrai, une analyse plus poussée pourrait révéler que les Démocrates de gauche ont aussi une part moindre mais réelle de responsabilité.
Cette part de responsabilité découle d'abord du fait que la gauche américaine a accepté l'économie de marché. Dès lors, puisque les crises cycliques sont inhérentes à l'économie de marché, elle ne peut simplement imputer l'entière responsabilité de la crise à la droite. Certes, les Démocrates ont traditionnellement eu l'intention de réduire les effets négatifs du capitalisme dont les inégalités et les crises récurrentes, et ce essentiellement à l'aide de politiques de redistribution des ressources. Mais cette intention s'est grandement amoindrie au cours des dernières décennies, car les priorités de la gauche partout en Occident ont changé, passant de la lutte pour les travailleurs à la valorisation de la diversité. Dès lors, il ne s'agissait plus de taxer les classes supérieures pour ensuite augmenter les dépenses publiques et ainsi redonner aux travailleurs des classes moyennes et populaires. Non, il s'agissait plutôt pour la gauche de défendre prioritairement les minorités, entre autres avec toutes sortes de politiques de discrimination positive. Du coup, des gouvernements de gauche pouvaient se prétendre progressistes alors même qu'ils appliquaient des politiques néolibérales, telles des réductions de dépenses et des dérèglementations. Ce fut le cas particulièrement aux États-Unis sous les administrations démocrates de Carter et surtout de Clinton. On se souviendra que dès 1993 Clinton annonça une réduction des dépenses publiques, qu'il réalisa avec l'appui du Congrès républicain à partir de 1994, et un allègement de la réglementation du secteur bancaire qui avait été alourdie par l'adoption du Federal Deposit Insurance Corporation Improvement Act de 1991.
Or, la dérèglementation du secteur bancaire et l'abandon partiel par la gauche de cette politique de redistribution comptent parmi les causes principales de la crise actuelle. En effet, comme on entend dire partout, à l'origine de cette crise il y a les difficultés d'institutions qui ont accordé des prêts hypothécaires à des gens qui n'avaient pas les moyens de les rembourser. Mais ce qu'on entend dire moins souvent, c'est que si ces gens n'ont pas pu faire face à leurs obligations c'est parce que, entre autres à cause des politiques néolibérales des Républicains et des Démocrates, pendant longtemps les ressources des ménages des classes moyennes et populaires parmi lesquelles les minorités sont surreprésentées ont augmenté beaucoup trop modestement, alors que celles des ménages de classes supérieures s'envolaient littéralement. Et comme cela survenait en période de croissance économique, les classes moyennes et populaires étaient pourtant en droit de souhaiter une augmentation de leur niveau de vie, surtout qu'elles étaient au fait de l'opulence croissante des mieux nantis.
Si cette explication permet de mieux comprendre pourquoi autant d'Américains ont désiré obtenir d'importants prêts hypothécaires malgré leurs faibles revenus, elle ne nous renseigne guère sur les multiples raisons qui ont poussé des créanciers à leur accorder ces prêts. Pour mieux saisir une de ces raisons, il faut notamment revenir sur l'autre aspect de la mutation de la gauche, soit son choix de faire de la défense des minorités plutôt que de la défense des travailleurs sa priorité. En effet, depuis le Community Reinvestment Act, promu par la gauche du Parti démocrate puis adopté sous Carter en 1977 et renforcé sous Clinton en 1995, Fannie Mae et Freddie Mac ainsi que les banques américaines sont fortement encouragées par le département américain du logement à s'assurer que davantage de prêts soient accordés à des personnes appartenant à des minorités, principalement des Afro-Américains et des Hispano-Américains. C'est entre autres ce qui explique que parmi les débiteurs en défaut qui furent à la fois la source et les premières véritables victimes de la crise, on retrouve un très grand nombre de représentants de ces minorités. Bien sûr, il était légitime et nécessaire de vouloir que les personnes issues de minorités aient accès à des prêts hypothécaires, mais la prémisse justifiant le Community Reinvestment Act, soit que les créanciers sont tous racistes, est fausse, comme le prouve la facilité avec laquelle les Sino-Américains ont toujours pu emprunter. La vérité est plutôt que, avant l'adoption de cette loi, les créanciers accordaient peu de prêts aux Afro-Américains et aux Hispano-Américains tout simplement parce que ces derniers avaient trop peu de ressources.
Bref, même si la droite est la grande responsable de la présente crise, la gauche américaine a aussi une part de responsabilité parce qu'elle a failli à sa tâche en matière de redistribution des ressources, préférant les politiques de discrimination positive, et que cela a eu des effets néfastes pour tous, à commencer par les minorités.
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Guillaume Rousseau
Doctorant en droit à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Crise économique: et si la gauche américaine était aussi responsable...
la dérèglementation du secteur bancaire et l'abandon partiel par la gauche de cette politique de redistribution comptent parmi les causes principales de la crise actuelle.
Crise mondiale — crise financière
Guillaume Rousseau35 articles
L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
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