Sous ce titre, John Dewey (1859-1952) a publié en 1897 un texte dans lequel il exprimait ses convictions et ses espérances en éducation et disait ce qu’il ambitionnait d’accomplir dans l’école expérimentale qu’il avait fondée. En hommage à celui qui reste un des grands penseurs de l’éducation, toutes époques confondues, et au moment de commencer cette série de chroniques sur l’éducation au Devoir, je le lui emprunte aujourd’hui.
Je prends ma nouvelle tâche très au sérieux et je considère que c’est, en même temps qu’un honneur, une grande responsabilité. L’éducation est en effet à mes yeux, comme je pense qu’elle l’est pour la plupart d’entre vous, une question d’une importance impossible à minorer et dont on devrait autant que faire se peut discuter sans partisanerie.
Mais il faut aussi admettre que le concept d’éducation est un de ceux dont les philosophes disent, avec raison, qu’ils sont par essence controversés et sujets à débats : des gens informés et de bonne foi peuvent donc avoir à son sujet de profonds désaccords.
J’abats donc mon jeu.
Convictions
Je pense que l’éducation est la formation de l’esprit par l’acquisition de savoirs fondamentaux et qu’elle vise par elle la construction de l’autonomie du sujet et la formation du citoyen.
Je pense que l’école est un merveilleux moyen de transmettre de l’éducation, mais qu’il n’est pas le seul possible.
Je pense qu’il lui revient aussi, avec sa mission d’éducation qui la distingue, de socialiser et de qualifier.
Je pense que des décennies de recherche crédible en de nombreuses disciplines (philosophie, psychologie, sociologie, sciences cognitives, économie, notamment) ont produit en éducation d’importantes données probantes sur une foule de sujets et que ce serait courir un immense péril de les ignorer. La récente réforme de l’éducation nous l’a d’ailleurs encore montré.
Je pense néanmoins que ces données cruciales sont insuffisantes à elles seules pour penser l’éducation, et pas seulement parce qu’elles sont parfois incertaines ou aux implications imprécises : c’est que cette lourde tâche suppose aussi l’adoption de valeurs et une vision claire et cohérente de la nature et des fins de l’éducation.
Je pense que la philosophie joue sur ce plan un rôle qui est irremplaçable.
Je pense encore que les enseignantes et enseignants remplissent une fonction cruciale dans la construction et l’amélioration de l’édifice social et qu’en somme, pour le dire avec les mots de mon cher Bertrand Russell (1872-1970), ils sont des gardiens de la civilisation. Nous devons avoir envers eux des attentes, des exigences, mais aussi des reconnaissances à cette hauteur.
Je pense enfin qu’au Québec, en éducation, nous avons accompli de grands progrès depuis l’historique rapport Parent. Mais des défis nombreux, parfois gigantesques et pour certains totalement nouveaux sont apparus.
Pour n’en nommer que quelques-uns : l’état souvent déplorable de nos infrastructures ; la formation et les souvent mauvaises conditions de travail des maîtres ; la terrible désertion professionnelle que l’on constate chez eux ; les changements ponctuels auxquels on procède rapidement et qui sont parfois malavisés ; la question de savoir que faire du cours Éthique et culture religieuse (ECR) ; le financement du système et celui de l’école privée ; la question de la laïcité ; celle des inégalités, notamment devant l’école ; le péril méritocratique qui s’ensuit ; la place et la valorisation de la formation professionnelle ; les dangers de la commercialisation de la recherche ; les dangers que lui fait aussi courir la place qu’y prend l’idéologie ; l’immense débat sur les méthodes pédagogiques à privilégier ; le rôle de l’école dans la question de l’intégration et de la francisation des immigrants ; ce que nous attendons de nos cégeps et universités ; la réponse à apporter aux troubles d’apprentissage ; les pénuries d’enseignants.
Et j’en passe.
On en conviendra : voilà de vastes enjeux et d’immenses questions.
Que fait le modeste chroniqueur devant tout cela, et avec les convictions qui sont les siennes ?
Ce que cette chronique vous proposera
Périodiquement et au fil des publications savantes, je vous tiendrai d’abord au courant de résultats de recherche pertinents et importants.
Ensuite, je partagerai ici des analyses philosophiques de concepts qu’il est crucial de connaître pour se faire une idée la plus claire possible de ce qu’est l’éducation et pour la défendre contre d’autres plausibles interprétations.
Je vous raconterai aussi, parfois, le vécu sur le terrain d’acteurs de l’éducation.
Je me livrerai enfin à des analyses de questions d’actualité, le plus souvent armé de ce qui précède.
On me permettra de terminer en avouant un espoir secret que je caresse. Je pense en effet, et l’ai souvent écrit, que le Québec est mûr pour une réflexion d’ensemble sur l’éducation, pour ce que j’appelle une « commission Parent 2.0 ». J’aimerais que ce que je proposerai ici contribue à rendre crédible cette idée.