Il n’y avait pas grand monde chez les indépendantistes qui s’attendait à une couverture intéressante de la course à la chefferie du Parti québécois. Dès le départ, les catégories avaient été fixées : référendite aiguë et charte de fermeture, les candidats étaient campés dans des balises confortables pour les bonimenteurs. Plusieurs avaient cependant redouté ce qui s’est effectivement produit et n’ont pas tardé à se désoler de voir les candidats tomber à pieds joints dans le marécage. Et les choses se sont déroulées comme le mauvais vaudeville que souhaitaient s’offrir ceux-là qui ne demandaient pas mieux que de « passer à autre chose », c’est-à-dire, en clair, à la politique de minoritaire content.
Au moment d’écrire ces lignes, les choix ne sont pas faits, mais le véritable résultat est d’ores et déjà connu : le PQ a raté son rendez-vous. Le spectacle qu’a donné le caucus n’est rien moins que désolant. S’il fallait s’inquiéter de l’état de santé du parti, il est désormais plus que temps de s’inquiéter des effets de son délabrement intellectuel sur le mouvement national et l’idée d’indépendance. Loin d’avoir inspiré les appels au dépassement et les efforts de renouvellement authentique des paramètres de notre lutte, l’aspiration à l’indépendance a été littéralement dévoyée.
On n’aurait jamais cru la voir placer dans l’ombre des épouvantails que dressent les adversaires. Ça ne s’invente pas : on aura entendu des milliers d’arguments pour dire les dangers de la liberté. Pour ne la faire désirer qu’en désespoir de cause. Lorsque nous n’aurons plus d’autres choix que de mettre l’honneur au clou. Lorsque nous pourrons enfin considérer notre pays comme un immense mont-de-piété. Un pawn shop du rêve avorté. C’est affligeant et honteux. Et nous aurons à vivre longtemps avec cette démission.
Le refus de faire le bilan de la situation nationale depuis que Lucien Bouchard lui-même a cédé l’initiative historique vient de trouver son point d’aboutissement. C’est l’enfermement dans le déni. La politique provinciale est devenue le seul horizon des débats dans ce parti. Un horizon marqué par la peur, cette vieille composante de notre tradition politique. La confiance en soi qui a été une des notions cardinales de la culture du mouvement indépendantiste est littéralement disparue de la philosophie de l’action.
Pas d’appels à se dépasser. Pas d’invitation à faire valoir ce qu’il y a de meilleur dans nos réalisations. Ou si peu. Trop peu, pour ne pas accréditer la thèse d’un doute malsain sur la capacité de réaliser l’indépendance avant que le régime canadian ne parvienne à casser les ressorts essentiels à la cohésion nationale. L’essentiel de l’offre politique provinciale repose désormais sur un seul et même socle : la reconnaissance et l’intériorisation de la domination canadian.
Elle se construit sur un effet de miroir, les fédéralistes inoffensifs donnant la réplique aux velléitaires de tout acabit. Le PLQ ne fait plus peur au Canada, mais il peut encore faire peur aux Québécois. Les autres se contentent d’avoir peur de leur ombre. Courtiers en frayeurs, les partis provinciaux se répondent désormais pour freiner l’élan vital de la nation.
Bardé des garanties que lui apporte une minorité de blocage, le Parti libéral du Québec n’est plus qu’un agent de corrosion non seulement des consciences de ses artisans, mais aussi des institutions qui rendent possible notre existence nationale. La corruption n’est pas seulement son modus operandi, c’est le cœur du rapport politique qui structure le sens de sa présence dans notre vie nationale. Jadis instrument de l’Indirect rule et agent de soumission, son rôle de gardien du Canada a muté depuis le référendum de 1995, il n’est plus qu’agent de pourrissement de la nation.
Le Canada désormais n’a plus besoin de lui. L’État canadian s’est organisé pour se passer de ces intermédiaires méprisables. Il a obtenu leur reddition sans condition. Il n’avait besoin que de les enfermer dans leur propre peur. La grande frousse de 1995 aura suffi pour qu’ils acceptent eux-mêmes de ruiner ce qui leur conférait un mince rapport de marchandage. Inconditionnels du Canada, ils sont devenus inutiles. En renonçant à tout point de vue national, le PLQ a perdu le seul moyen qu’il avait pour se donner du jeu au bout de sa laisse. C’est ce qui a distingué Robert Bourassa de ses successeurs. En abandonnant eux-mêmes l’instrumentalisation du sentiment national, les libéraux du Québec ont quitté le Canada réel. Ils ont sabordé leur fonds de commerce avec lui. Ils ne lui font plus peur et ne peuvent même plus faire semblant. Il ne leur reste plus qu’à bazarder l’héritage. Et ils le font sans vergogne. Drapés dans le moins d’État, dans le tout au marché et dans les meilleures occasions d’affaires. Et avec la certitude de pouvoir compter sur la division du vote majoritaire entre deux factions de timorés velléitaires.
La course à la direction qui s’achève ne trouve pas d’abord son sens dans la fossilisation du Parti québécois, mais bien plutôt dans la décomposition du politique. Celle qui reporte à la semaine des trois jeudis le fardeau de persévérer dans son être. L’enlisement dans le renoncement, qui aura marqué cet exercice dans un PQ désormais campé dans la peur sourde de lui-même et de ce qu’il pourrait avoir été, achèvera de placer les années qui viennent sous le signe de la régression minoritaire.
Pour la troisième fois en un siècle, le mouvement d’émancipation se brise sur les mêmes écueils. Des écueils semés là par la nature du régime de domination qui s’exerce sur nous et qui n’a de cesse de saper notre cohésion nationale. Des écueils auxquels certains vont tenter de s’accrocher comme autant de naufragés. Ils trouveront du réconfort dans la condescendance dont le Québec fera l’objet toutes les fois qu’il s’agira d’en usurper les réalisations, de lui faire avaler des décisions contraires à ses intérêts ou à ce qu’il est.
Ce qui se décompose sous nos yeux n’a donc pas fini de susciter d’inquiétantes réminiscences. Il faut relire Gaston Miron pour en bien comprendre le sens et les effets. Le destin minoritaire de la vie agonique a repris son cours. Les médias se chargeront de la mise en scène et ne renonceront à rien pour semer la médiocrité. Et nous déporter dans l’amnésie à bord de puissantes machines à détruire les racines. À nous faire aimer la peur, à nous la faire confondre avec la prudence. Et surtout à nous faire croire que nous n’aurons été qu’un épisode risible d’une époque révolue. À nous convaincre que ce qui aura commencé n’aura valu que pour être mieux abandonné en cours de route. En nous présentant comme une distraction l’envie d’en finir. En multipliant les occasions de chercher des reposoirs où déposer la fatigue qui a eu raison d’Hubert Aquin.
Tout est encore à recommencer.
Éditorial
Courtiers en frayeurs
«Ces rendez-vous que l'on cesse d'attendre...» - Claude Léveillé
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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