Rona vendue aux Américains

Couillard trop mou pour défendre nos fleurons

Quand l'État baisse les bras, Québec Inc. s'écroule

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Couillard au pouvoir, c'est le massacre à la tronçonneuse de tout ce qui définit le Québec sur les plans politique, économique, social et culturel

Ceux qui s'attendaient à ce que la Caisse de dépôt et placement du Québec intervienne pour empêcher la vente de Rona au géant américain Lowe's se faisaient des illusions. La Caisse a réagi comme tous les autres fonds d'investissement: elle a fait ses comptes, calculé son bénéfice et accepté de vendre ses actions sans états d'âme.

Pourquoi? Parce que c'est précisément le mandat qu'elle a obtenu du gouvernement libéral précédent et de l'actuel. L'appui au développement et au maintien des entreprises du Québec Inc. est relégué loin parmi ses préoccupations. Elle investit maintenant davantage dans l'immobilier à Londres, New York ou Rio, injecte de fonds dans le réseau électrique australien, finance des centres commerciaux un peu partout et rêve même de se lancer dans le transport en commun. C'est du sérieux, elle n'a pas de temps à perdre dans la quincaillerie.

La Caisse détient pourtant un bloc d'actions de 17% de Rona, cela mérite qu'elle s'y attarde suffisamment pour tenir compte de l'intérêt des employés, des fournisseurs et de la société québécoise avant d'avaliser la transaction. Le communiqué du 2 février annonçant qu'elle a accepté la proposition de Lowe's est toutefois lapidaire: «La Caisse estime que la transaction mènera au maintien ou à la croissance de l'activité économique générée par les bannières Rona au Québec». Voilà! C'est ce qu'elle appelle «faire fructifier l'argent de nos clients, les déposants, tout en contribuant au développement économique du Québec».

On voit mal cependant comment le déménagement du centre de décision de Rona, de Boucherville à Moorsville aux États Unis, fera augmenter l'activité économique générée par ses bannières. «C'est une perte pour les 1000 employés du siège social à Boucherville et tous ceux leur fournissent des services, comptables, avocats ou autres professionnels requis par l'entreprise», estime André H. Gagnon. Membre du conseil d'administration pendant 36 ans et président du CA de 2002 à 2007, M. Gagnon a participé à l'essor du quincailler et se montre désolé de ce qui arrive. Il s'attend d'ailleurs à ce que ces emplois glissent éventuellement vers le siège américain de Lowe's au sud de la frontière.

«Nous avons connu de belles années pendant cette décennie alors que nous étions en pleine expansion avec l'ouverture de nombreux magasins, dont les grandes surfaces, et des acquisitions importantes de l'Ontario jusqu'en Colombie-Britannique», raconte-t-il avec fierté. Mais les années suivantes ont été décevantes en raison de la situation économique et du ralentissement dans la construction.

De 2001 à 2005, les revenus nets de Rona sont passés de 1,8$ milliards à 4,0$ milliards et ses profits par action, de 0,36 $ à 1,51 $. Son titre, qui valait environ 6,30 $ début 2003, a atteint un sommet de 26,00 $ en avril 2005. À compter de 2007, la croissance des profits de Rona est devenue négative. En 2010, elle réalisait des revenus de 4,8 $ milliards mais ses profits par action étaient de seulement 1,09 $.

Lorsque Lowe's a fait une première offre d'achat en 2012, le gouvernement du Québec et les marchands Rona ont refusé net. Ils comptaient sur l'appui d'Investissement Québec et de la Caisse de dépôt qui avaient acquis des blocs d'actions importants. L'affaire semblait réglée, mais certains fonds de l'extérieur du Québec continuaient néanmoins d'exercer des pressions sur la direction pour obtenir de meilleurs rendements, affirme M. Gagnon. Finalement en novembre 2012, la Caisse s'entend avec des fonds ontariens et américains pour exiger le départ du président directeur général Robert Dutton après 20 ans de loyaux services.

Un nouveau conseil d'administration prend la relève et choisit Robert Sawyer pour diriger la société. Sur deux ans, Rona ferme près de 300 magasins et licencie 5000 employés mais le cours de l'action plafonne. Après quelques années de restructuration, les revenus en 2014 sont de 4,1$ milliards et les profits par action de 0,70 $. Cette même année, la marge bénéficiaire après impôt s’est chiffrée à 2,0 % alors que le rendement de l’actif moyen au cours de cet exercice a été d’un maigre 3,6 %.

Lowe's revient à la charge à l'automne 2015 et profite de la faiblesse du dollar canadien pour présenter une nouvelle offre d'achat de 3,2$ milliards. Cette fois, la Caisse et les fonds étrangers, qui ont acquis près de la moitié des actions de Rona, s'entendent. Le conseil d'administration recommande aux marchands, maintenant minoritaires, et aux autres actionnaires d'accepter la proposition du géant américain. Pour les hauts dirigeants, cette vente est un pactole de $40 millions dont $20 millions pour le PDG Robert Sawyer et 8$ millions pour le V-P aux Finances Dominique Boies. Sont-ils trop bien payés pour laisser partir Rona aux dépens de ceux qui ont construit cette entreprise: «Ce sont de bons joueurs de poker», commente M. Gagnon.

La décision du conseil d'administration sera soumise aux actionnaires lors d'une assemblée extraordinaire, le 31 mars prochain à Montréal, mais les jeux sont déjà faits croit M. Gagnon. La proposition de Lowe's de 24$ par action est alléchante puisqu'elle constitue une prime de 104% par rapport au cours de clôture de l'action ordinaire qui était de 11.77$ le 2 février dernier et de 38% par rapport au sommet qu'elle a atteint pendant le 52 dernière semaines.

Le chef de l'opposition officielle, Pierre-Karl Péladeau, a exhorté le premier ministre Couillard à «prendre ses responsabilités» pour garder la propriété de Rona entre des mains québécoises, mais ce dernier refuse de bloquer la transaction. La Caisse de dépôt, qui détient un bloc d'action de 17%, doit simplement s'abstenir de déposer dans l'offre de Lowe's les actions qu'elle détient dans Rona et la transaction ne se réalisera pas, a déclaré M. Péladeau. Il a souligné que la mission de la Caisse de dépôt était de développer le Québec et non seulement de gérer le fonds de pension des Québécois.

Rona a été un succès commercial québécois depuis sa fondation en 1939. Force est toutefois d’admettre que sa performance financière laissait sérieusement à désirer depuis quelques années, estime le directeur général de l'Institut de la gouvernance Michel Nadeau. La nouvelle équipe avait reçu le mandat de redresser la situation mais elle n'est pas parvenu à garder le contrôle de l'entreprise aux mains des Québécois.

Comme la Bourse et le monde des affaires sont impitoyables, l'entreprise la plus forte l'emporte, surtout si l'État baisse les bras face aux prédateurs étrangers. C'est notamment ce qui s'est produit lorsque le gouvernement du Québec, sous Charest et Couillard, est demeuré impassible lors de la vente de plusieurs sociétés dont les sièges sociaux ont ensuite quitté le Québec au cours de la dernière décennie.

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Gilles Paquin32 articles

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Ancien directeur de la section politique au quotidien La Presse. Journaliste pendant 35 ans, il a aussi travaillé à la radio et à la télé de Radio-Canada ainsi qu'aux quotidiens Le Droit à Ottawa et au Montréal-Matin. Il a été correspondant et envoyé spécial dans de nombreux pays en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2016

    Je crains que P.K.P. ne soit pas en mesure de faire avec RONA tout le millage politique qu’il espère (et qu’il mérite indéniablement) auprès de l’électorat.
    Dès lors que les électeurs réaliseront que l’ensemble des quincailleries d’avant l’avalement de RONA par Loew’s continueront d’offrir le service après cette opération financière, la situation du siège sociale « au Québec » ne pèsera pas lourd. On pourra compter une fois encore sur une presse à genoux, sur un gouvernement à genoux, toute une gang à genoux, pour faire valoir qu’ils ont dû mener ferme une autre de ces rudes batailles, auxquelles ils Nous ont trop habitués.
    Une fois encore, nos faiblards auront mené une bataille à genoux. Et c est à peine tristes qu’ils seront à la fin, lorsqu’ils se seront inclinés une fois encore devant les immenses forces des immenses marchés de l’immense mondialisation. Tout les dépasse, cette gang de mollusques. La vérité toute simple, c’est qu’ils sont à genoux depuis le départ jusqu’à la prochaine arrivée, ce sont des agenouillés du départ, comme ceux de RONA sont des « inclinés » depuis le départ jusqu’à la conclusion de l’avalement qu’ils n’ont jamais cessé de souhaiter…
    La glace de ce dossier-là est trop mince pour que P.K.P. puisse y faire beaucoup de millage. Ce n’est pas un dossier véritablement porteur pour celui qui est debout. C’est n dossier trop mou, ramolli par des mous, dont c’est la profession de tout ramollir à leur seul profit.

    Mais cependant, P.K.P. s’illusionnerait grandement s’il sous-estimait l’indifférence de l’électorat à l’égard de RONA et de tout le Québec inc.
    Québec Inc est une chose, l’électorat en est une autre. Le premier s’intéressera sérieusement à P.K.P. seulement lorsque son parti sera au Pouvoir. Le second s’intéressera à lui seulement si lui-même s’intéresse à Nous…
    Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire ceci : c’est Nous qui sommes les véritables incontournables…Quant à nous, les indépendantistes, nous n’avons évidemment rien à attendre de ceux et celles qui sont genoux, mais rien à attendre non plus de ceux qui sont déjà si fiers d’être seulement « inclinés »… L’électorat reste le seul juge légitime. À P.K.P. de s’adresser seulement à ceux qui comptent vraiment…Car…Car après le West Island, Québec inc est l’allié le plus fidèle de la belle province…

  • Archives de Vigile Répondre

    15 février 2016

    ''Couillard trop mou pour défendre nos fleurons''
    Croyez-vous vraiment que c'est par mollesse que Philippe Couillard s'abstient de défendre nos fleurons?

  • Pierre Gouin Répondre

    15 février 2016

    Je pense que c'est beaucoup plus grave que de la mollesse. Il y a chez Couillard, comme chez Charest, une volonté féroce de briser le Québec.

  • Gaston Carmichael Répondre

    15 février 2016

    En Novembre 2012, quand on a congédié Dutton, le titre de Rona ne valait que $11.05. On a alors engagé Sawyer pour redonner de la vigueur boursière à Rona.
    Le pauvre Dutton n'était rémunéré qu'à hauteur de $2M/année. Apparemment, Sawyer était tellement bon qu'il valait trois fois plus, soit $6.6M. Notons que dans cet article, on dit aussi que M. Sawyer avait droit à une prime de départ de $4.2M, en cas de départ dû à une prise de contrôle de Rona.
    Dans cet autre article du Devoir, on apprend que «La rémunération incitative qu’on lui a accordée à son arrivée était arrimée à la performance financière et boursière de Rona au cours des trois années subséquentes (plusieurs éléments de sa rémunération devenaient « encaissables » en début d’année 2016)»
    M. Sawyer arrivait donc au terme de son contrat. Le titre de Rona ne vivotait toujours qu'autour de $11. Il avait donc lamentablement échoué. M. Sawyer se savait donc assis sur un siège éjectable, et à risque imminent de perdre tous ces millions en prime de rendement et en prime de départ.
    Par un heureux hasard, Lowes s'est pointé dans le décor juste à ce moment là. On pourrait quasiment penser que c'est M. Sawyer qui a invité Lowes à reconsidérer la prise de contrôle de Rona.
    En bout de ligne, c'est vrai que pour les actionnaires ce fut une bonne affaire. Toutefois, pour Sawyer, c'était une affaire en or.
    Tout le monde y gagne, sauf peut-être l'économie du Québec. Mais qui se soucie de ça?
    C'est un peu comme si en finale de coupe Stanley, un joueur plutôt médiocre tout au long des séries, compte le but gagnant en supplémentaire de la septième partie.