Le « bon » docteur Arruda répétait encore hier que le défi des autorités gouvernementales était de construire un avion en plein vol. Eh bien, arrive ce qui devait arriver : l’avion s’écrase. Pourtant, dans une nation qui se vante de posséder une grappe industrielle en aéronautique, on devrait savoir qu’il faut construire l’avion AVANT de l’autoriser à s’envoler !
Nous en avons une nouvelle preuve ce matin avec le reportage de Magdaline Boutros dans Le Devoir. « Des milliers de personnes âgées ou vulnérables résidant à domicile n’ont plus accès à leurs services de soutien habituels, ce qui fait craindre à certains intervenants qu’un ressac se produise et que des clients, faute de soins, finissent par engorger les hôpitaux et les CHSLD », écrit-elle.
Il y a environ 342 000 personnes au Québec qui reçoivent des soins à domicile, selon une étude de Louise Boivin (voir plus bas). Plus de 37 000 personnes leur procurent ces soins, dont à peine 6 210 proviennent du secteur public (CLSC). Au cours des cinq dernières années, le nombre d’heures de soins à domicile de longue durée, tous programmes et tous prestataires confondus, a augmenté de 59,7%. Au cours de la même période, la part des fournisseurs privés a augmenté de 168% et celle du secteur public a diminué de 30%.
Les préposés à domicile n’ont pas le droit à la prime de 4 $ l’heure consentie aux préposés des résidences privées pour aînés ni à la prime de 4 % à 8 % offerte par le gouvernement Legault à de nombreux employés du réseau de la santé. Est donc arrivé ce qui devait arriver, plusieurs ont préféré la prestation d’urgence de 2000 $ par mois du gouvernement Trudeau ou offrir leurs services dans les CHSLD pour toucher les primes.
Il faut se rappeler que la privatisation des soins à domicile provient de Sommet du déficit Zéro de Lucien Bouchard. Avec le virage ambulatoire, les soins à domicile étaient appelés à se développer. Plutôt que d’en confier la responsabilité au réseau des CLSC, on a voulu « économiser » en favorisant la création d’entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EÉSDAD), employant des personnes – en grande majorité des femmes – à bas salaire et non-syndiquées (avec la bénédiction de certains leaders syndicaux et de groupes féministes et communautaires). Voilà le résultat aujourd’hui !
Pour un portrait de la situation, nous vous invitons à lire l’article particulièrement éclairant de Louise Boivin dans Le Devoir ce matin. (Une nécessaire voix collective pour les «anges gardiennes»).
Louis Boivin a aussi rendu publique dernièrement une étude sur la place des secteurs public et privé dans la prestation des services d’aide à domicile au Québec depuis la réforme Barrette de 2015. Nous vous en présentons un bref résumé.
De quoi parlons-nous?
Louise Boivin connaît bien le milieu de l’aide à domicile. Détentrice d’un Ph.D., cette professeure au département de relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) a réalisé plusieurs recherches sur le sujet.
Elle a récemment publié une analyse statistique descriptive sur la place des secteurs public et privé dans la prestation des services d’aide à domicile (SAD) de longue durée au Québec, depuis la plus récente réforme de l’organisation et de l’administration des services sociaux et de santé, communément dénommée réforme Barrette, entrée en vigueur en avril 2015 (1). C’est de son étude que nous extrayons le portrait suivant de la situation.
Avec le vieillissement de la population, l’aide à domicile est de plus en plus importante. Au cours des cinq dernières années, entre 2013-2014 et 2018-2019, le nombre d’heures de SAD longue durée, tous programmes et tous prestataires confondus, a augmenté de 59,7%.
Cette augmentation des heures de SAD a principalement été confiée aux fournisseurs privés (agences de travail temporaire et les entreprises d’économie sociale en aide à domicile) par les CISSS/CIUSSS. Elles ont augmenté de 168% chez les fournisseurs privés, de 31% dans le cadre du Chèque emploi-service (CES) et pratiquement stagné dans le secteur public (+4,3%). La part des heures de SAD de longue durée dispensées par le secteur public a donc diminué de 30% depuis la réforme Barrette.
Usagères et usagers
Au Québec, 342 000 personnes ont eu recours aux services de soutien à domicile en 2017-2018. L’étude de Louise Boivin porte sur deux catégories de services :
Précisons que l’étude ne porte que sur les SAD de « longue durée », c’est-à-dire les services qui s’adressent à des personnes « dont l’état de santé physique ou psychosocial est stable (…) parmi les personnes ayant une incapacité significative et persistante ou une incapacité légère pour les activités de la vie domestique uniquement ».
Ces services sont dispensés dans les lieux suivants :
Le personnel
Les travailleuses et les travailleurs rémunérés dispensant les SAD, en majorité des femmes, peuvent être regroupés dans plusieurs catégories, mais les statistiques analysées par Louise Boivin se rapportent à des services qui sont dispensés, en théorie, par les quatre premières catégories suivantes :
Le Chèque emploi-service (CES) est l’une des modalités du programme gouvernemental appelé « allocation directe » et il fonctionne comme suit. Dans chaque territoire administratif du Québec, le CISSS/CIUSSS octroie un nombre d’heures de services à la personne usagère après avoir établi un plan de services basé sur une évaluation des besoins. La personne usagère peut embaucher un.e employé.e de son choix et elle est considérée par le MSSS comme son employeur au sens juridique.;
Détérioration de l’emploi, du travail et des services
Dans ses recherches antérieures sur la réorganisation des services et du travail à la suite de la réforme Couillard de 2003, Louise Boivin a constaté une forte déqualification du travail et une précarisation de l’emploi pour les salarié.es du secteur privé, mis implicitement en concurrence avec les salarié.es du secteur public, pour l’exécution de tâches similaires.
Cette dégradation a renforcé, écrit-elle, la division sexuelle et raciale du travail dans ce secteur d’activités où la main-d’œuvre est féminisée et composée, dans les grandes agglomérations urbaines, d’une proportion importante de personnes racisées et/ou immigrantes.
Plus spécifiquement, elle a répertorié ceci: faibles salaires, avantages sociaux et niveaux de formation exigée; horaires à temps partiel fragmentés sur la journée; variabilité et imprévisibilité de ces horaires et de la rémunération; remboursement des frais d’utilisation du véhicule nuls ou insuffisants; exigences de « disponibilité permanente juste-à-temps » avec contreparties salariales nulles ou inadéquates; précarisation de la protection des droits du travail.
Les résultats préliminaires de ses recherches à la suite de la réforme Barrette de 2015 montrent que la situation n’a pas changé, malgré le contexte de pénurie accrue de main-d’œuvre.
Réactions du secteur public
Louise Boivin cite une récente étude de la FSSS-CSN sur l’impact de la multiplication des acteurs privés en SAD sur l’emploi, le travail ainsi que sur l’accessibilité des services et leur qualité. Près de 2700 auxiliaires aux services de santé et sociaux (ASSS) du secteur public y ont participé.
En voici les principales conclusions. Face à la présence croissante du privé, plus de 26% des répondant.es disent craindre pour leur emploi et 51% craignent pour l’avenir de leur titre d’emploi au sein de leur CLSC.
Les témoignages recueillis pointent une série d’éléments parmi lesquels : concentration des cas lourds vers les ASSS; tâches accrues à la suite d’erreurs attribuées aux acteurs privés; interventions d’urgence et surcharge des ASSS lors de ruptures de services privés; problèmes de communication avec le personnel du secteur privé; formation dans le secteur privé jugée insuffisante; substitution croissante de la liste de rappel et d’ouverture de postes publics par le recours au secteur privé; sentiment de perte de contrôle sur la qualité des soins; insatisfaction à l’égard des services du secteur privé exprimée par les usagers et usagères à des ASSS (FSSS-CSN)
Crédit photo : canva.com