Il a fallu une question, posée in extremis par le journaliste Hugo Lavallée de Radio-Canada, pour que Legault tempère son enthousiasme devant l’absence statistique d’augmentation d’hospitalisations et de patients aux soins intensifs, lors du point de presse du 7 avril.
Le journaliste lui a demandé s’il ne faudrait pas inclure dans les statistiques du jour les personnes qui sont « hospitalisées » dans les CHSLD. Une question d’autant plus pertinente que le ministre venait d’annoncer qu’il déménageait une bonne partie du personnel des hôpitaux vers le CHSLD.
Il a aussi été nécessaire qu’un autre journaliste demande au « bon » docteur Arruda la ventilation des décès en fonction du lieu et de l’âge pour qu’on apprenne que 44% des décès avaient eu lieu dans les CHSLD et 20% dans les résidences pour personnes âgées !
Des statistiques qui ne sont pas étonnantes, déclarait la journaliste Martine Biron de Radio-Canada, en rappelant que, depuis des années, les CHSLD défraient la manchette pour la pauvreté des soins qui y sont prodigués, les repas immangeables et l’absence de personnel.
La situation est encore plus dramatique, si on en croit les reportages de ce matin dans La Presse+ (« C’est l’enfer ») et dans le Journal de Montréal (Une catastrophe se dessine au CHSLD Sainte-Dorothée).
Les CHSLD, c’était la « question du jour », déclarait Mario Dumont sur les ondes de TVA, « plus que les courbes » présentées par les experts de la Santé publique.
La parole masquée
Ce matin dans la section Idées du Devoir, une cinquantaine d’infirmières, de médecins, de pharmaciens, d’épidémiologistes, d’intervenants sociaux et scientifiques signent un texte « Pour un ‘‘masque’’ non médical », invitant « tout le monde à porter un masque non médical dans l’espace public comme mesure de protection supplémentaire pour compléter toutes celles déjà mises en place par les autorités ».
Cette position tranche avec celle du « bon » Dr Arruda qui, hier encore, minimisait l’importance du masque en affirmant que son effet était unidirectionnel, c’est-à-dire qu’il ne servait qu’à bloquer les émissions du porteur vers son entourage et ne protégeait d’aucune façon le porteur. Si tel est le cas, Dr Arruda, comment justifier que le personnel soignant porte un masque ? Sûrement pas pour protéger les malades qui sont déjà infectés ! Il serait temps qu’un journaliste lui pose la question.
Ce ne sera pas le « merveilleux pigeon voyageur » Patrice Roy qui, après une entrevue avec le microbiologiste Karl Weiss, qui défendait le port du masque, a repris le discours contraire du Dr Arruda !
Que le tandem Legault-Arruda nous dise enfin la vérité sur le port du masque. Elle se résume à ceci : On ne recommande pas le port du masque pour l’ensemble de la population parce qu’il y a pénurie de masques !
Pourquoi y a-t-il pénurie? Parce que nous n’en avons pas stocké. Pourquoi ne pas en avoir stocké? Par crainte de « gaspiller », rapporte Le Devoir du 4 avril, citant la porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Louise Quintin.
« Il est important de comprendre que ces équipements ont des dates d’expiration. Le réseau de la santé ne pourrait pas, par exemple, commander d’énormes quantités de masques et de combinaisons, au cas où celles-ci seraient nécessaires dans 5, 7 ou 10 ans », fait valoir la porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Louise Quintin, dans un échange avec Le Devoir.
À ces propos, le Dr Karl Weiss répliquait que l’État québécois aurait très bien pu constituer une réserve de centaines de milliers, voire de millions, de masques de protection au fil des dernières années. « Vous pouvez faire cela. Ça s’appelle de la gestion de stock. D’abord, ce sont des masques qui se gardent très longtemps. Deuxièmement, vous pouvez écouler dans le réseau un certain pourcentage de masques chaque année et les remplacer au fur et à mesure », a-t-il déclaré au Devoir.
« Donc, les masques qui vont être périmés dans l’année qui vient, au lieu que les hôpitaux en achètent, je leur envoie des masques et puis j’en rachète d’autres. C’est toute une gestion de réserve stratégique. Ç’a été fait dans le passé [dans les forces armées notamment]. Ça se fait », poursuit-il.
L’État comptait ses sous, on compte maintenant les morts
En fait, la pénurie de masques et d’autres équipements de protection est le résultat de négligence, « criminelle » pouvons-nous aujourd’hui affirmer, des autorités québécoises. Tout cela au nom de l’austérité.
Et des journalistes encensent aujourd’hui le Dr Barrette qui essaie de se refaire une vertu sur les ondes radiophoniques et dans La Presse+. Le toujours « naïf » (?) Patrick Lagacé écrit que le Dr Barrette a choisi de mettre « la patrie avant les partis », pour qualifier ce qui n’est qu’une opération de « blanchiment de réputation ».
Et, faut-il rappeler que le Dr Arruda est à la tête de la Direction de la santé publique depuis 2012. Auparavant, il a été impliqué dans la gestion du SRAS en 2002 et dans la crise du H1N1 en 2009.
Aujourd’hui, La Presse+ cite un sondage qui donne un taux de satisfaction de 88% au premier ministre Legault pour sa gestion de la crise. On peut affirmer que sa courbe de popularité a atteint son pic. À la condition que les journalistes, qui viennent de se réveiller, poursuivent leur travail d’enquête, malgré le fait que leurs propriétaires cognent à la porte des gouvernements pour quémander des sous. Comme le déclarait Gérald Godin, dans un texte que nous avons mis en ligne cette semaine :
« Quelle est la guerre que les journalistes doivent livrer ? La guerre du contrôle sur la salle de rédaction. Toute autre lutte est futile. Tels sont les objectifs, au fond, que doivent se fixer les journalistes, où qu’ils travaillent, s’ils veulent avoir droit au respect de leurs lecteurs plutôt que de leurs boss. Dans le grand tout de la libération, une des luttes primordiales passe par ce chemin. »